mardi 30 janvier 2007

Sécuriser Bagdâd: un plan incertain et risqué

Le plan pour sécuriser Bagdâd qui sous-tend la nouvelle stratégie conjointe américano-irakienne est incertain et risqué. Il est incertain au niveau opérationnel car il présente des atouts mais aussi des faiblesses. Il est risqué au niveau stratégique parce qu'il pourrait institutionnaliser la dynamique de guerre civile, ouvrir un nouveau front des violences inter-communautaires et catalyser une résistance nationale voire une insurrection généralisée.

La stratégie annoncée séparément par MM. al-Maliki et Bush pose que la sécurité pré-conditionne la réconciliation nationale et la reconstruction. Elle poursuit l'objectif de créer militairement les pré-conditions sécuritaires et psychologiques d'une solution politique étayée par le progrès socio-économique. Le nouveau triptyque stratégique prévoit la mise en œuvre simultanée d'un volet politique (pressuriser et responsabiliser le gouvernement irakien), d'un volet militaire (réduire les violences inter-communautaire et insurrectionnelle) et d'un volet économique (articuler les besoins socio-économiques à court, moyen et long termes). Le volet militaire priorise au niveau opérationnel de sécuriser la population de Bagdâd, épicentre des violences, et d'irakiser la conception comme l'exécution des plans de sécurité. Au niveau tactique, 8 000 forces de sécurité irakiennes et 7 000 militaires américains s'ajoutent aux 42 000 et 24 000 déjà mobilisés dans la capitale.

Des incertitudes opérationnelles

Le nouveau plan pour sécuriser Bagdâd est incertain au niveau opérationnel. Il présente des atouts mais aussi des faiblesses.

Certes, il présente des atouts. D'abord, il s'inspire des succès contre-insurrectionnels du lieutenant-général David Petraeus (Mossoul en 2003-4) ainsi que du colonel H.R. McCaster (Tall' Afar en 2005) et il tire les leçons de l'échec de l'opération "en avant ensemble" – déclenchée dans Bagdâd en juin 2006, ressuscitée en août puis abandonnée à l'automne. L'augmentation des effectifs militaires américains et irakiens (de 66 000 à 81 000 au total) doit permettre la mise en œuvre effective des préceptes classiques de contre-insurrection: maintenir le contrôle physique des zones préalablement nettoyées (des groupes insurrectionnels sunnites et des milices chiites) puis amorcer leur reconstruction. Militaires américains et irakiens investiront une trentaine d'avant-postes urbains de proximité – répartis dans les neuf zones militaires quadrillant la capitale – à partir desquels ils s'efforceront d'interagir au quotidien avec la population. En tant que nouveau commandant des forces américaines en Irak, c'est du reste Petraeus, co-auteur du manuel de contre-insurrection publié par l'U.S. Army et le Marine Corps en décembre 2006, qui supervisera leurs opérations. Ensuite, il restaure la liberté d'action des troupes à l'encontre des milices arabes chiites en interdisant au gouvernement irakien d'interférer politiquement dans la conduite des opérations militaires et en assouplissant les règles d'engagement du feu. Enfin, il est en soi une opération psychologique. L'annonce de l'augmentation des effectifs fléchit la détermination des entrepreneurs de violence avant même le déclenchement des opérations de combat. La décision prise le 19 janvier par le commandant de l'Armée du Mahdi Moqtada al-Sadr de terminer le boycott politique du cabinet et du Conseil des représentants – où son mouvement détient respectivement six portefeuilles et 32 sièges – l'illustre déjà.

Le nouveau plan de sécurité pour la capitale recèle toutefois de nombreuses faiblesses. Premièrement, l'application des "modèles" de Mossoul et Tall' Afar à une ville de six millions d'habitants deux ans après – alors que l'environnement de sécurité s'est morcelé et complexifié – demeure aléatoire. Deuxièmement, les effectifs supplémentaires déployés restent en-deçà du ratio contre-insurgé (militaire ou policier) par habitants recommandé par la doctrine classique – 1 pour 40-50 soit un quorum de 120-150 000 contre-insurgés pour Bagdâd. Troisièmement, le caractère temporaire de l'escalade militaire convainc les acteurs armés non-étatiques d'esquiver la bataille en passant provisoirement dans la clandestinité. Réorganisés, réarmés et réapprovisionnés, ils se redéployeront une fois l'orage passé. Quatrièmement, en engageant les groupes armés souvent seuls garants des systèmes de défense communautaires, troupes américaines et irakiennes vulnérabilisent les communautés mêmes qu'elles ont vocation à protéger, encourageant ironiquement par-là les violences inter-communautaires. Cinquièmement, un comité de crise présidé par le premier ministre al-Maliki, comprenant les ministres irakiens de la Défense ainsi que de l'Intérieur et le commandant des troupes américaines en Irak, assure le commandement. Cette dualité irako-américaine de la chaîne de commandement méconnaît le principe de l'unité d'effort qui voue la guerre par conseil à l'échec. Sixièmement, la réussite du plan est conditionnée par la bonne volonté du cabinet irakien et l'efficacité de ses forces de sécurité. Or, la police et dans une moindre mesure l'armée nationale irakienne sont peu fiables et manquent de capacités. Elles sont de collusion avec – de même qu'infiltrées par – les insurgés sunnites et les miliciens chiites. Elles n'ont ni artillerie, ni blindés, encore moins de soutien aérien. De l'autre côté, l'engagement du gouvernement de ne pas intervenir contre les milices affiliées aux forces politiques qui le soutiennent – au premier rang desquelles se trouve l'Armée du Mahdi – et de ne pas interférer politiquement dans la conduite des opérations militaires est à l'épreuve. Si certains signaux sont encourageants – al-Maliki se garde de réclamer la libération d'un porte-parole du mouvement sadriste, al-Darraji, arrêté par la Force multinationale le 18 janvier –, l'irakisation de la responsabilité de la sécurité pourrait s'avérer synonyme d'une re-politisation. La multiplication des pressions appliquées contre Moqtada al-Sadr a tout à la fois vocation à déséquilibrer la principale figure chiite d'opposition à l'occupation américaine, à provoquer sa milice, à rompre le lien entre celle-ci et le gouvernement légal et à tester la résolution de ce dernier. Depuis novembre 2006, la Force multinationale mène de nombreux raids dans le bastion mahdiste de Sadr City où elle cible les cellules responsables d'exécutions extra-judiciaires et d'activités criminelles variées. Le 23 janvier, elle annonce que les forces de sécurité irakiennes ont arrêté 16 commandants et 600 combattants de l'Armée du Mahdi au cours de 52 opérations.

Des risques stratégiques

Le nouveau plan pour sécuriser Bagdâd est risqué au niveau stratégique. Il pourrait institutionnaliser la dynamique de guerre civile, ouvrir un nouveau front des violences inter-communautaires et catalyser une résistance nationale (contre l'occupant étranger) voire une insurrection généralisée (contre le gouvernement irakien).

Le plan pourrait d'abord institutionnaliser la dynamique de guerre civile. L'irakisation de la conception et de l'exécution des opérations pourrait, sous la pression communautaire, disloquer les forces de sécurité irakiennes le long des lignes de frictions ethno-confessionnelles, cristallisant ainsi une dynamique en un état de guerre civile inter-communautaire.

Le plan pourrait ensuite ouvrir un nouveau front des violences inter-communautaires. Il mobilise 8 000 militaires de l'armée nationale irakienne supplémentaires. Deux des trois bataillons sont des bataillons kurdes sunnites réputés pour leur fiabilité. Si la non-arabité et le professionnalisme (entraînement, discipline, expérience et cohésion) des bataillons kurdes les rendent a priori moins sensibles aux conflits d'allégeances lors d'opérations menées contre les bastions insurrectionnels et miliciens, leur mobilisation nourrit cependant des craintes. Elle recèle effectivement un triple risque. Elle pourrait vérifier la réputation de brutalité tactique dont les Peshmerga ont hérité lors des opérations de contre-insurrection à al-Falloudjâh et Tall' Afar en 2004-5. Elle pourrait compliquer la conduite des opérations car seuls les officiers kurdes parlent l'arabe – 90% des soldats ne parlent que le kurde. Elle pourrait alimenter la perception stratégique suivant laquelle la communauté kurde sunnite devient actrice de violences inter-communautaires jusqu'alors inter-confessionnelles mais intra-arabes en vue d'étendre sa sphère d'influence. Si la restauration de la liberté d'action du cabinet al-Maliki par rapport aux forces politiques favorables aux milices chiites induit d'engager militairement ces dernières, la contribution des militaires kurdes sunnites pourrait ouvrir un nouveau front des violences inter-communautaires, cette fois non plus seulement inter-confessionnelles mais aussi inter-ethniques.

La communauté arabe chiite a déjà résisté par les armes contre l'occupation étrangère en avril et août 2004 dans les villes de Bassora, Nâssirîyah, al-Amârah, al-Koût, an-Nadjaf et dans le ghetto chiite de la capitale Sadr City. Cette rébellion fut provisoirement perçue comme un tournant de l'après-guerre: la Force multinationale affrontait pour la première fois une opposition armée organisée de la part des Arabes chiites faisant craindre une résistance à deux fronts analogue à celle qui unit à l'été 1920 tribus chiites et sunnites contre la colonisation britannique. Les représentants de la communauté chiite avaient finalement privilégié l'opposition politique conventionnelle à la lutte armée en concluant la trêve du 26 août 2004 – fermant ainsi la parenthèse d'une union sacrée tactique entre Chiites et Sunnites scellée dans la "résistance nationale" contre l'occupant étranger.

Le plan pourrait enfin catalyser une résistance nationale voire une insurrection généralisée. L'hypothèse du soulèvement chiite reste virtuelle 2004. Mais l'opération de sécurisation de Bagdâd risque précisément de la réaliser. L'engagement militaire de l'Armée du Mahdi parallèlement aux efforts menés pour marginaliser politiquement le mouvement sadriste – reconfigurer l'échiquier politique en formant une alliance pan-communautaire des modérés – diminuera pour Moqtada al-Sadr l'attractivité d'une solution politique négociée, radicalisera sa milice et augmentera son intérêt à basculer dans la résistance armée. Le fait que la troisième journée la plus létale pour les troupes américaines depuis le déclenchement de l'intervention militaire (25 militaires tués le 20 janvier) intervienne au lendemain de la décision d'al-Sadr de terminer le boycott du parlement et du gouvernement n'est pas fortuite. Par-là, le bras armé du mouvement sadriste peut éroder les forces matérielles et morales de la coalition – afin d'en contraindre le retrait – à l'abri de la réintégration de son bras politique au système partisan. Al-Sadr pourrait dès lors être tenté de nouer une coopération tactique ad hoc trans-communautaire avec certaines formations partisanes sunnites radicales (l'Association des oulémas musulmans) et certains groupes insurrectionnels sunnites (l'Organisation al-Qaida en Mésopotamie) à la faveur d'une volonté convergente de résister à l'occupation étrangère. Pis, cette "résistance nationale" chiito-sunnite contre les troupes étrangères pourrait finalement glisser vers l'insurrection généralisée contre un gouvernement irakien perçu comme le ventriloque de l'administration américaine et le cheval de Troie des intérêts kurdes.

mercredi 10 janvier 2007

The Taliban's fire spreads

If the ongoing empowerment of the neo-Taliban-driven insurgency is not contained, Kabul could become, once again, the capital of the "Islamic Emirate of Afghanistan", 10 years after being taken the first time. The deficit of security - physical, economic and political - that marks the transition since the Taliban's ouster in 2001 threatens to close a window of opportunity inasmuch as the population will eventually pledge allegiance to the actor it perceives as the less-bad provider of security and government.

Certainly, the population will wait until it perceives a culminating point announcing a decisive swing of fortunes for either the Taliban or the government. As things stand, this balance is increasingly in the Taliban's favor.

An insurgency is a protracted political-military struggle that jointly resorts to terrorist action, guerrilla tactics and social-political mobilization to create chaos among the population. At the same time, support among the population is canvassed, using the rationale that the government is incapable of assuring security. Like an arsonist fireman, the insurgent creates a problem (instability), and then strives to become indispensable to the solution (stabilization). The success of an insurgency springs from the encounter between an ideology-driven leadership and a dissatisfied population base, on the security, economic or political level. The insurgent's and counter-insurgent's objectives are obviously antagonistic. The counter-insurgent has to reduce the level of violence, take control of the provinces and eradicate the conditions that stoke the movement, to mobilize the support of the local population to isolate and then asphyxiate the insurgents.

Both sides aim to win the hearts and minds of the people, but disillusionment among the Afghan population is as profound as the post-conflict expectations were high after 23 years of armed hostilities when the Taliban were first driven out. A poll by the Asia Foundation last summer revealed that the Afghan population was first and daily concerned with unemployment, the weak economy, security uncertainty and poverty. But the number of soldiers deployed and the international aid raised for the post-conflict reconstruction of Afghanistan per inhabitant remains exceptionally low. Despite the many international conferences for donors (Tokyo 2002, Madrid 2004, London 2006), analyst James Dobbins of the RAND Corporation estimates aid at US$57 (2000 value) per inhabitant instead of $29 in Germany (post-1945), $206 in Iraq (post-2003), $526 in Kosovo (post-1999) and $679 in Bosnia-Herzegovina (post-1995).

For the government to improve its image before the population is completely alienated, it should quickly act on the social-political demands of the people. It must restore the central government's sovereignty over all of Afghanistan (President Hamid Karzai is teased as being only the mayor of Kabul); re-establish the regular functioning of public services; reduce poverty; secure the rule of law. The international community needs to contribute toward counterinsurgency efforts and reconstruction strategies. At the military level, the number of international forces needs to be increased.

If these efforts are not made, the 1994-96 Taliban strategy is likely to succeed again. First, take Kandahar, then take control of the rural areas in the Pashtun tribal arc, and finally, lay siege to Kabul. The Taliban leadership currently enjoys a psychological ascendancy. Emboldened by its resurgence (and the Iraqi insurgency's successes), it dismisses the idea of a full winter lull, planning on the contrary to intensify its propaganda war and moves to control the capital's support/communication lines. Time is against the counterinsurgents.

Nicolas Martin-Lalande is a researcher with the Raoul Dandurand Chair of Strategic and Diplomatic Studies (www.dandurand.uqam.ca), University of Quebec at Montreal.

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