mercredi 22 août 2007

L'environnement politique américain est défavorable au Parti républicain

Si les dynamiques de campagne interdisent encore tout pronostic, même les conservateurs chrétiens prennent conscience de ce que l'environnement politique est défavorable au Grand Old Party.

Certes, les dynamiques de la campagne des élections présidentielle et congressionnelles de 2008 interdisent encore tout pronostic. Les candidats "insurgés" – cherchant à subvertir les candidats "établis" – continuent de proliférer dans un champ politique largement ouvert puisque ni le président ni son vice-président n'est candidat. L'avant-primaire consiste toujours à mobiliser les soutiens internes et externes au parti, en convaincant de son éligibilité (electability) et en recherchant un soutien informel (invisible primary), en peaufinant son image (name recognition) et en calculant le timing de sa déclaration de candidature au moment où les États rivalisent pour l'organisation de primaires précoces – le Super Tuesday (la série de primaires des États du Sud) pourrait se tenir dès janvier.

Mais l'environnement politique de la campagne est structurellement et conjoncturellement défavorable au GOP. Structurellement d'une part. Il est historiquement difficile pour un parti de remporter trois présidentielles successives tant l'électorat aspire alors au changement. L'identification partisane nationale a déjà basculé du parti de l'éléphant vers celui de l'âne depuis 2002 – de 43 à 35% pour le premier contre 43 à 50% pour le second. Indiscipline budgétaire, interventionnisme fédéral, rejet de la libéralisation du système de l'immigration ou encore faillite stratégique en Irak ont aliéné au GOP les conservateurs fiscaux, les Hispaniques et les indépendants. Conjoncturellement d'autre part. Le départ du tacticien politique Karl Rove démotive le camp conservateur et démobilise la base républicaine en confirmant que l'Exécutif en général – son lame-duck président en particulier – passe en mode gestion des affaires courantes. Les thèmes conservateurs mobilisateurs subissent une décote. L'interventionnisme étatique sur les enjeux sociaux est mieux accepté à mesure que croît la perception d'inégalités sociales tandis que, simultanément, l'attachement aux valeurs sociales traditionnelles (structure familiale, mariage hétérosexuel, thématiques pro-life – anti-avortement, anti-euthanasie, anti-financement public de la recherche sur les cellules souches embryonnaires), l'expression d'une forte conviction religieuse et la pertinence perçue du recours à la force armée pour gérer les relations internationales et garantir la paix déclinent. Le caucus congressionnel républicain se désagrège, insatisfait par ses candidats pour la présidentielle et divisé à l'occasion du vote de législations populaires controversées. Au contraire, les candidats démocrates maintiennent une certaine cohésion partisane, dominent le processus de levées de fonds (de plus en plus numériques) et capitalisent sur l'illusion d'une solution simple à des problèmes complexes en manipulant antiélitisme et populisme socioéconomique – de la renégociation de l'Accord de libre échange nord-américain à l'atténuation des inégalités de revenus en passant par les protectionnismes anti-OMC en général et antichinois en particulier, ou encore la création d'une couverture maladie universelle.

Même les conservateurs chrétiens prennent conscience de ce que l'environnement politique est défavorable au GOP. La Christian Right, notamment le noyau conservateur évangélique, élargit ainsi son agenda moral traditionnel (réviser la décision Roe vs. Wade, rétablir la prière à l'école, contenir les droits des homosexuels, etc.) aux enjeux environnementaux (protéger l'environnement), socioéconomiques (lutter contre la pauvreté, réguler le port des armes à feu) et de politique étrangère (promouvoir l'interventionnisme extérieur) pour évaser sa base électorale et maximiser sa capacité d'influence du pouvoir politique.

samedi 18 août 2007

Karl Rove, meilleur tacticien que stratégiste politique

Karl Rove quitte ses fonctions en septembre. Rétrospectivement, le directeur adjoint du personnel de la Maison-Blanche et assistant-conseiller du président a été meilleur tacticien que stratégiste politique. Ses succès tactiques cachent mal une faillite stratégique.

Certes, Rove est un brillant tacticien politique en tant qu'architecte de nombreuses victoires électorales républicaines, non seulement de George W. Bush aux élections pour le gouvernorat texan de 1994 et 1998 – assurant le réalignement républicain du Lone Star state – puis aux présidentielles de 2000 et 2004, mais encore du Grand Old Party (GOP) aux congressionnelles de 2000 puis – historiques en ce que la majorité présidentielle est sortie renforcée pour la première fois depuis 1936 – de 2002 et 2004. Il a révolutionné les techniques de campagne électorale pour identifier et démarcher l'électorat républicain potentiel en vue de revitaliser et remobiliser la base conservatrice du GOP (les conservateurs sociaux et moraux) tout en ralliant l'électorat indépendant volatile et en grignotant l'électorat démocrate chez les minorités américaine-africaine et hispanique. Supervisant la stratégie (issues, message, financement) et l'organisation (sondages, médias) des campagnes, il a systématisé le microtargeting des sympathisants (la modélisation informatique des "cibles" à partir de bases de données démographiques suivie d'un mailing direct suivant les préceptes du marketing), perfectionné les techniques de levée de fonds et veillé activement au taux de participation. Rove a marqué la quête mais aussi l'exercice du pouvoir. Il a micro-géré les affaires courantes de la Maison-Blanche, contrôlant strictement la discipline de l'équipe présidentielle, veillant à la loyauté des équipiers, verrouillant la hiérarchie, assurant la consonance des messages de l'administration et calculant méthodiquement les implications politiques des décisions et non-décisions du chef de l'Exécutif.

Mais, rétrospectivement, Rove est un mauvais stratégiste politique en tant que fossoyeur de son but affiché – réaligner graduellement l'électorat national pour pérenniser la domination républicaine au-delà des présidences Bush. Si le GOP a perdu sa double majorité aux congressionnelles de mi-mandat en 2006 – moins pour s'être enlisé en Irak que corrompu – et peine à sécuriser certaines circonscriptions électorales en dépit du redécoupage partisan des districts (gerrymandering), Rove l'a surtout compromis en privilégiant la politics à la policy dans la recherche de victoires électorales immédiates mais provisoires faute de gouvernance effective et en laissant en friche la recomposition du paysage politique américain pour avoir fait l'économie d'un Risorgimento républicain. Il a politisé l'administration, notamment le département de la Justice. Il a aliéné au GOP la sympathie d'électorats-clefs en polarisant le système partisan – manipulant excessivement les thématiques du populisme culturel (avortement, mariage homosexuel, port des armes à feu) et de la sécurité nationale (terrorisme, Irak) – suivant une politique des clivages qui consiste à diviser pour conquérir via la mise en œuvre de politiques publiques ciblées. La réduction des impôts et la privatisation partielle du régime de sécurité sociale n'empêchent pas les conservateurs fiscaux de taxer l'administration Bush d'activisme fédéral et d'indiscipline budgétaire. Les sous-financements publics des organisations religieuses et des initiatives et programmes faith-based ainsi que du No Child Left Behind Act (paramétrant les standards éducationnels) frustrent respectivement la droite chrétienne – les évangéliques mais aussi certains Américains-Africains – et des indépendants soucieux de la qualité de l'éducation déjà échaudés par la mobilisation de la base conservatrice. La réticence au compromis politique corollaire d'un esprit partisan a privé le GOP du soutien bipartisan nécessaire pour voter les principales promesses législatives de politique intérieure. Le rejet de la libéralisation du système de l'immigration – un enjeu politique pourtant bipartisan – déçoit ainsi les Hispaniques.

Si le départ de Rove risque de démotiver le camp conservateur au moment où s'intensifie la campagne des élections présidentielle et congressionnelles de 2008, le président Bush pourrait néanmoins transformer la défection en compromis politique pour rétablir le dialogue interinstitutionnel avec la majorité démocrate – peut-être en vue d'élaborer une stratégie bipartisane de sortie de conflit en Irak?