L'atlantisme des nouveaux États membres de l'UE pourrait freiner la montée en puissance de la coopération de sécurité et de défense européenne. Certes, l'activisme doctrinal, opérationnel et capacitaire des acteurs de cette coopération contraste avec la crise institutionnelle et identitaire de l'UE. Ce dynamisme, qui fait de la PESD l'une des rares politiques européennes non paralysée au lendemain du 29 mai 2005, la place même au cœur des projets de relance du processus d'union européenne en général, et de déblocage de la PESC en particulier. Mais les élargissements de 2004 et 2007 ont "atlantisé" le tropisme diplomatique et stratégique par défaut de l'UE. Tiraillés entre appartenance européenne et solidarité atlantique, le pro-américanisme des nouveaux États membres pourrait freiner l'activisme de l'Europe de la défense alors que les élargissements ont rapproché l'UE de théâtres instables (Transnistrie, Kosovo, Tchétchénie, Abkhazie et Ossétie du sud). A ce titre, l'objectif de la présidence française de l'UE devrait être de conjurer la menace d'un blocage de l'Europe de la défense en rassurant anciens et nouveaux membres sur leurs objectifs de sécurité et de défense respectifs puis en capitalisant sur les intérêts nationaux convergents/complémentaires.
Certes, les nouveaux États membres contribuent activement aux opérations civiles extérieures de l'UE en Bosnie-Herzégovine (mission de police), à Rafah (mission d'assistance au point de passage à la frontière de l'Égypte avec les Territoires palestiniens) et à Kinshasa (mission de police en RD Congo). Ils promeuvent une contribution accrue de l'UE aux opérations de stabilisation et de reconstruction en Afghanistan en partenariat avec l'OTAN. Ils sont engagés dans la Politique européenne de voisinage vis-à-vis des nouveaux voisins orientaux (notamment la région élargie de la Mer Noire) et dans la politique d'association avec les Balkans occidentaux. Ils sont enfin une source d'expertise diplomatique et stratégique sur les nouvelles aires géographiques mitoyennes, de la Biélorussie à la Mer Noire en passant par l'Ukraine, la Russie et les Balkans occidentaux.
Mais Rapallo (l'Allemagne et la Russie rompent leur isolement en 1922), Munich (la France et la Grande-Bretagne concèdent les Sudètes à Hitler en 1938) et la Guerre froide (l'Europe de l'Ouest abandonne l'Europe de l'Est soviétisée) sont des traumatismes historiques qui ont façonné la culture diplomatique et stratégique des nouveaux membres. Celle-ci est lourde de syndromes: d'enfant battu vis-à-vis de la Russie et de défiance à l'égard de l'Europe occidentale. Au contraire, même s'ils souffrent du complexe du "petit État" (redoutant la domination de Washington comme de Bruxelles), ces nouveaux membres sont reconnaissants envers les États-Unis auxquels ils font plus confiance qu'aux capitales de l'Europe de l'Ouest.
Au plan diplomatique, les nouveaux États membres appartiennent à la "nouvelle Europe" de Donald Rumsfeld (22 janvier 2003) – l'Europe atlantiste alignée sur Washington en matière de politique étrangère et de sécurité nationale et qui souhaite par exemple le maintien de militaires américains en Europe. Certains d'entre eux "ont manqué une belle opportunité de se taire" pendant la crise irakienne selon le président Jacques Chirac. Et la majorité a finalement contribué en hommes à l'opération américaine Iraqi Freedom (Pologne, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Slovaquie, République tchèque, Estonie et, avant leur adhésion, Hongrie et Bulgarie) non sans avoir trahi la difficulté d'une position diplomatique commune européenne.
Les nouveaux États membres cherchent auprès des États-Unis un contrepoids extrarégional pour contrebalancer l'hégémonie d'un voisin (Moscou ou Berlin entre lesquels ils sont intercalés) et dans l'OTAN une assurance-vie tout en préservant leur souveraineté nationale. Seule l'organisation de défense collective emmenée par Washington est selon eux capable d'assurer leur sécurité et notamment de prévenir la résurgence de l'influence russe en Europe.
Et cet atlantisme est proportionnel au degré de rapprochement des puissances européennes avec la Russie. Alors que la France et l'Allemagne promeuvent un partenariat stratégique avec la Russie, la Bulgarie et la Roumanie s'accordent avec les États-Unis pour établir des nouvelles bases militaires américaines sur leur territoire tandis que la Pologne et la République tchèque acceptent la mise en place d'un système de défense anti-missile sur le leur. Ces dernières soutiennent au demeurant qu'un tel système protégera l'UE (et ses alliés) contre la menace balistique iranienne, déniera à Téhéran l'opportunité d'une politique du chantage et dissuadera la prolifération balistique, sans pour autant entamer la dissuasion stratégique russe puisqu'il ne soustraira ni l'UE, ni ses alliés, à une seconde frappe. Mais Moscou considère que l'initiative nourrit ipso facto la perception d'une vulnérabilité russe et confirme la volonté de Washington d'exploiter les craintes polonaise et tchèque du voisin dominateur pour transformer leurs territoires en avant-postes militaires.
Au plan stratégique, les nouveaux États membres ne veulent pas devoir choisir entre l'OTAN et la PESD, entre l'Occident et l'Europe. Ils appuient la coopération de sécurité et de défense européenne tant qu'elle n'est pas synonyme d'autonomisation stratégique vis-à-vis de la pierre angulaire de l'alliance de sécurité transatlantique. Ils ont une vision atlantiste plutôt qu'européaniste de la PESD. La première est minimaliste: elle assigne à l'UE un rôle stratégique complémentaire de l'OTAN comme producteur de sécurité non militaire et implique de construire la PESD à l'abri du parapluie transatlantique, i.e. américain. La seconde est maximaliste: elle assigne à l'UE un rôle stratégique autonome de l'OTAN comme producteur de sécurité militaire et implique l'européanisation des structures de l'OTAN, i.e. une identité et un pilier européens au sein de l'Alliance.
Les nouveaux membres cherchent donc à ancrer la PESD au sein de l'organisation politico-militaire transatlantique. Ils promeuvent le partenariat stratégique UE-OTAN visant à améliorer la coopération institutionnelle PESD-OTAN en matière de gestion de crises et de développement capacitaire. Ils rejettent en conséquence l'européanisme orthodoxe de Paris, lequel promeut une identité et une capacité militaire européennes autonomes au sein de l'Alliance et (avec Moscou) le renforcement de l'OSCE. Ils récusent la dynamique européenne développant le volet PESD du pilier PESC comme l'alternative diplomatico-stratégique à la primauté sécuritaire de l'OTAN au sein de l'architecture de sécurité européenne. Ils craignent qu'une organisation de défense collective européenne ne découple le processus décisionnel européen de celui euro-atlantique, ne duplique les structures de planification et de commandement des opérations, n'hypothèque l'engagement otanien des pays européens et ne discrimine les membres de l'OTAN non membres de l'UE (Ankara, Oslo et Washington).
Les nouveaux États membres souscrivent au double objectif de Washington de politiser et globaliser le rôle de l'OTAN au-delà de sa vocation première, d'une organisation de défense collective régionale vers une organisation de sécurité collective globale. Ils s'opposent ainsi aux capitales de la "vieille Europe" qui veulent conserver le rôle de l'OTAN à sa vocation première en tant qu'organisation de défense collective régionale, i.e. une organisation militaire à vocation européenne stricto sensu. Paris exige des frontières pour l'OTAN: il redoute que la politisation-globalisation de l'OTAN souhaitée par Washington ne dégrade l'image européenne, par association avec le concept américain d'une alliance des démocraties, et ne duplique l'ONU seule dépositaire de la légitimité internationale. La France s'oppose à l'élargissement de l'Alliance à la Croatie, à l'Ukraine et à la Géorgie réclamé par les nouveaux membres.
Plus généralement, les nouveaux États membres distinguent les finalités de l'OTAN et de l'UE: l'adhésion à la seconde est souvent conçue comme le volet socioéconomique de l'adhésion à la première. Et ils établissent un rapport de préexistence entre elles: l'occidentalisation précède l'européanisation.
Considérant ces objectifs de sécurité et de défense en apparence antagonistes entre anciens et nouveaux membres, la présidence française de l'UE devrait s'efforcer de conjurer la menace d'un blocage de l'Europe de la défense en rassurant les camps sur leurs objectifs respectifs puis en capitalisant sur leurs intérêts nationaux convergents. En effet, si les élargissements de 2004 et 2007 ont atlantisé l'UE, ils ont aussi européanisé les entrants en tissant de nouvelles loyautés intracommunautaires. Le ministre de la Défense Hervé Morin semble en avoir pris conscience en (re)lançant le débat sur la réintégration de la France au sein des structures militaires intégrées de l'OTAN. Au moment où le retrait français semble moins justifié, réintégrer l'organisation militaire atlantique permettrait aussi à la France de dissiper la perception des nouveaux États membres selon laquelle Paris promouvrait la PESD comme l'alternative stratégique à l'OTAN et, partant, faciliterait leur mobilisation pour relancer l'Europe de la défense.
vendredi 9 novembre 2007
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