L'impact de la série d'attentats déjouée par les services britanniques de la sécurité intérieure le 10 août sur la campagne des élections de mi-mandat de novembre 2006 aux États-Unis est d'ores et déjà important. Le terrorisme a réintégré les principaux enjeux électoraux. Comme en 2002 et 2004, les manœuvres électorales visant à instrumentaliser l'enjeu sécuritaire à des fins politiques se multiplient, chaque parti pensant pouvoir en retirer un gain relatif. La sécurité est déclinée: elle est nationale, intérieure, portuaire ou encore aérienne.
Si l'électorat aspire dans son ensemble au changement de majorité politique, il ne perçoit pas le parti démocrate comme crédible en matière de sécurité nationale. Au contraire, le parti républicain jouit traditionnellement d'une présomption de compétence dans ce domaine. Mais plusieurs variables instables demeurent: les acteurs internationaux tentés de promouvoir leur agenda en influençant l'opinion publique américaine à l'approche des élections congressionnelles. Or, l'électorat serait réticent à changer de direction politique s'il percevait les intérêts nationaux menacés.
Les conditions d'un impact électoral favorable
Trois principaux enjeux électoraux sont désormais susceptibles de dominer la campagne des élections de mi-mandat: l'économie, l'intervention militaire en Irak et la guerre globale contre le terrorisme. Leur impact électoral diffère. A priori, l'impact des dossiers économiques avantagerait le parti démocrate tandis que la guerre globale contre le terrorisme favoriserait les républicains.
Alors que l'enjeu fait l'objet d'une polarisation partisane extrême, l'impact de l'intervention militaire en Irak est fonction de sa présentation. Cet impact avantagera les démocrates s'ils parviennent à découpler/détacher l'intervention militaire en Irak de la guerre globale contre le terrorisme en convainquant que la première nuit à la seconde: une distraction détournant l'attention, démobilisant les ressources, voire contribuant à l'insécurité nationale. Cet impact favorisera le parti républicain s'il parvient à coupler/rattacher l'intervention militaire en Irak à la guerre globale contre le terrorisme en convainquant que la première est l'un des théâtres de la seconde, son "front central".
Certes, l'administration républicaine peut se prévaloir de trois succès récents sur le théâtre d'opérations irakien: la relative réussite des scrutins de 2005 (30 janvier, 15 octobre et 15 décembre 2005), l'investiture du nouveau gouvernement permanent (20 mai 2006) et l'élimination du commandant de l'Organisation al-Qaida en Mésopotamie (7 juin 2006). Mais le contribuable américain supporte de plus en plus mal le coût de l'intervention (environ 300 milliards de dollars; 8 milliards par mois en 2006) tandis que la situation militaro-sécuritaire continue de se dégrader sur le terrain en dépit du lancement dans Bagdad, le 14 juin dernier, de l'opération conjointe "en avant ensemble".
La stratégie républicaine et ses limites
La stratégie républicaine prévoit d'instrumentaliser l'enjeu de la sécurité nationale de cinq manières: en y rattachant un Irak présenté comme le "front central" de la guerre contre le terrorisme, en insistant sur les conséquences négatives d'une défaite de celle-là sur celle-ci, en soulignant qu'aucun attentat ne s'est produit sur le sol américain depuis 2001, en insistant sur l'inexistence d'une position (philosophie) démocrate unifiée et en assimilant toute critique à un défaitisme contre-productif voire une négligence ou un antipatriotisme nuisible. Le conseiller politique du président, Karl Rove, le prévoit expressément afin de mobiliser au-delà de la base conservatrice du parti (laquelle est acquise sur les enjeux sociaux liés aux valeurs). Le président du Comité de campagne républicain à la Chambre des représentants, Tom Reynolds, rappelle qu'aucun enjeu ne mobilise plus la base électorale de son parti que le terrorisme et/ou les positions démocrates en matière de lutte contre le terrorisme. Le président du Comité national républicain, Ken Mehlman, n'hésite pas le 9 août à qualifier les démocrates de "défaitocrates" ("defeatocrats"). Dans son allocution radiodiffusée hebdomadaire du 12 août, le président George W. Bush participe à cette mobilisation par la peur: en appelant à ne pas oublier les leçons du 11 septembre, il alimente la demande de sécurité. Appliquée en 2002 puis 2004, cette stratégie s'est déjà avérée efficace.
Après avoir mis en cause pendant la campagne présidentielle de 2004 les accomplissements militaires du candidat John Kerry au cours de la guerre du Vietnam, le groupe Swift Boat Veterans for Truth planifie une campagne de relations publiques (contre-manifestations, publicités négatives à la télévision, campagnes sur l'Internet, etc.) contre le représentant démocrate John Murtha. Le parti républicain stigmatise cet ancien faucon démocrate (premier vétéran du Vietnam élu au Congrès, promoteur traditionnel du recours à la force armée et de l'effort de défense) depuis qu'il a demandé le 17 novembre 2005 le retrait des troupes américaines d'Irak, au motif qu'elles étaient devenues une partie du problème plutôt que de sa solution.
La difficulté pour le parti républicain consiste à concilier l'intervention militaire en Irak et la guerre globale contre le terrorisme. Si l'objectif du rattachement de l'opération Iraqi Freedom à la guerre globale contre le terrorisme est de relégitimer la première par la seconde, le parti républicain court le risque que la seconde ne soit finalement délégitimée par la première.
La stratégie démocrate et ses limites
La stratégie démocrate prévoit d'instrumentaliser l'enjeu de la sécurité nationale de deux manières: en intensifiant les critiques contre l'administration Bush et en proposant résolument une alternative crédible unifiée en matière de contre-terrorisme. Plusieurs figures démocrates assurent la critique de l'administration républicaine en matière de sécurité nationale lato sensu – de la résilience d'al-Qaida aux tests de missiles nord-coréens en passant par l'immigration illégale, les tentatives d'attentats, le programme nucléaire iranien et l'intervention militaire en Irak. Le président de la Commission nationale démocrate, Howard Dean, critique cette dernière au cours de la campagne présidentielle de 2004: elle est selon lui nuisible à la lutte anti-terroriste, enrayant notamment la mise en œuvre complète des recommandations de la Commission sur le 11 septembre 2001. Le sénateur Russell Feingold demande dès 2005 le retrait des troupes américaines d'Irak. Depuis sa campagne pour la primaire démocrate du Connecticut en 2006, le vainqueur du sénateur Joseph Lieberman, Ned Lamont, critique vigoureusement l'intervention militaire en Irak. Le président du Comité de campagne démocrate au Sénat, Charles Schumer, dénonce le 11 août la politisation puis l'instrumentalisation de la peur. Le président de la minorité démocrate au Sénat, Harry Reid, avance de son côté que les politiques des États-Unis à l'égard de la Corée du nord et du Moyen-Orient alimentent l'insécurité nationale.
Le parti démocrate met ainsi un terme définitif au consensus bipartisan en matière de sécurité nationale qui a longtemps prévalu après 2001. Entre-temps, les républicains s'étaient toutefois efforcés de capitaliser sur le ralliement de temps de guerre des démocrates aux politiques de la Maison-Blanche tout en soulignant leur défaut de crédibilité.
Outre l'impératif de renforcer la discipline partisane, la difficulté pour le parti démocrate est double. Premièrement, concilier les 8 et 10 août 2006, le rejet de l'intervention militaire en Irak d'un côté et les impératifs de la lutte anti-terroriste de l'autre. Deuxièmement, souligner que l'insécurité nationale persiste sous l'administration républicaine fait in fine courir au parti démocrate le risque de mobiliser l'électorat en faveur de son adversaire.
Les interférences extérieures auront le dernier mot
Quelles que soient les stratégies des partis démocrate et républicain pour instrumentaliser l'enjeu sécuritaire, les comportements de plusieurs acteurs tentés de promouvoir leur agenda via l'exercice d'une influence sur l'opinion publique américaine à l'approche des élections congressionnelles sont autant de variables instables mais déterminantes. Etatiques ou non, ces acteurs sont les terroristes transnationaux de type al-Qaida, les insurgés sunnites et les miliciens chiites en Irak, la milice chiite du Hezbollah et le gouvernement iranien. Les prochaines semaines seront décisives.
A priori, l'électorat serait réticent à changer de direction politique en cours de crise si, par exemple, un nouvel attentat était perpétré sur le sol américain. Un tel évènement pourrait toutefois définitivement invalider l'argumentaire républicain d'une Amérique plus sûre depuis le 11 Septembre 2001.
samedi 12 août 2006
vendredi 11 août 2006
Al-Qaida déjouée?
Une fois encore, Londres est la cible première du terrorisme transnational et al-Qaida paraît le coupable tout désigné. Pour autant, si l'implication de l’organisation terroriste devait être confirmée dans la série d'attentats somme toute classique déjouée par les services britanniques de la sécurité intérieure, l'organisation terroriste ne jouerait au plus qu'un rôle indirect.
Un scénario "classique"
Un scénario "classique"
400 jours après les attentats londoniens du 7 juillet 2005, ces tentatives semblent confirmer quatre tendances lourdes du terrorisme djihadiste en général et de la mouvance djihadiste européenne en particulier. Premièrement, le transport aérien civil reste une cible privilégiée car l'avion concentre des cibles faciles et incarne le caractère transnational de la menace. Deuxièmement, le mode opératoire (au moins neuf candidats à l'attentat suicide devaient, à mi-parcours, mettre à feu des explosifs liquides dissimulés dans des bagages) s'inscrit dans la continuité des attentats (également déjoués) planifiés par Ramzi Yousef en 1994 ou Richard Reid en 2001("shoe bomber"). Troisièmement, Londres demeure l'un des principaux centres de planification des opérations sur le théâtre européen. Majoritairement composée de citoyens britanniques d'origine pakistanaise, les cellules londoniennes ont su maintenir leur capacité de nuisance après les attentats de juillet 2005 – et ce même si leur infiltration (quasi inévitable étant donné le nombre d'individus impliqués) trahit leur vulnérabilité. Quatrièmement, les candidats à ce type d'attentats suicides sont, cette fois encore, des immigrés de seconde génération dont l'islam est d'autant plus radical qu'ils sont nouvellement pratiquants, en quelque sorte de "born again", et dont la principale motivation est la perception selon laquelle l'Occident guerroie contre l'Islam Ce scénario confirme donc le maintien de sanctuaires terroristes au sein des grandes villes occidentales.
L'éventuel rôle indirect d'al-Qaida
Si d'aucuns identifient dans l'ampleur de l'opération et son caractère spectaculaire (multiplicité plus simultanéité) la signature opératoire de l'organisation terroriste al-Qaida, quelques précisions méritent d'être apportés à cette présomption. Intensifiée au lendemain du 11 septembre 2001, la lutte contre la direction et l'infrastructure d'al-Qaida a obligé l'organisation à se décentraliser en un ensemble souple de réseaux régionaux opérant de manière autonome. Au pire, elle se contente désormais de fonctionner comme une société qui commandite et finance les actions terroristes de franchisés locaux auquel elle offre éventuellement l'entraînement. Plus vraisemblablement, elle n'est plus un groupe structuré tissant des liens opérationnels entre ses entités, mais plutôt un mouvement agrégeant à travers le monde des initiatives terroristes mues par un fonds idéologique commun ("like-minded extremists"), en d'autres termes une insurrection islamiste globale. Parce que l'organisation a mué en une constellation atomisée, fragmentée et théâtre de la prolifération de groupes militants sympathisants mais indépendants, al-Qaida ne conduit plus directement de telles opérations: elle ne remplit plus la fonction de commandement et de contrôle. En revanche, le corpus de textes idéologiques que la mouvance produit en arabe remplit trois fonctions. D'abord, il procure aux candidats à l'attentat suicide les incitations individuelles au basculement dans l'action terroriste. Ensuite, il fournit l'idéologie explicative de la rationalité d'une action martyre qui fait de l'individu une arme. Enfin, au sein de l'espace djihadiste, il revêt d'une aura de légitimité les cellules qui s'en prévalent pour agir.
Comme dans le cas des attentats du 7 juillet 2005, l'implication d'al-Qaida ne serait donc qu'indirecte. Ceci exigerait alors des États occidentaux qu'ils examinent les raisons de la mobilisation en faveur du djihadisme sur leur propre territoire.
Comme dans le cas des attentats du 7 juillet 2005, l'implication d'al-Qaida ne serait donc qu'indirecte. Ceci exigerait alors des États occidentaux qu'ils examinent les raisons de la mobilisation en faveur du djihadisme sur leur propre territoire.
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