vendredi 11 août 2006

Al-Qaida déjouée?

Une fois encore, Londres est la cible première du terrorisme transnational et al-Qaida paraît le coupable tout désigné. Pour autant, si l'implication de l’organisation terroriste devait être confirmée dans la série d'attentats somme toute classique déjouée par les services britanniques de la sécurité intérieure, l'organisation terroriste ne jouerait au plus qu'un rôle indirect.

Un scénario "classique"
400 jours après les attentats londoniens du 7 juillet 2005, ces tentatives semblent confirmer quatre tendances lourdes du terrorisme djihadiste en général et de la mouvance djihadiste européenne en particulier. Premièrement, le transport aérien civil reste une cible privilégiée car l'avion concentre des cibles faciles et incarne le caractère transnational de la menace. Deuxièmement, le mode opératoire (au moins neuf candidats à l'attentat suicide devaient, à mi-parcours, mettre à feu des explosifs liquides dissimulés dans des bagages) s'inscrit dans la continuité des attentats (également déjoués) planifiés par Ramzi Yousef en 1994 ou Richard Reid en 2001("shoe bomber"). Troisièmement, Londres demeure l'un des principaux centres de planification des opérations sur le théâtre européen. Majoritairement composée de citoyens britanniques d'origine pakistanaise, les cellules londoniennes ont su maintenir leur capacité de nuisance après les attentats de juillet 2005 – et ce même si leur infiltration (quasi inévitable étant donné le nombre d'individus impliqués) trahit leur vulnérabilité. Quatrièmement, les candidats à ce type d'attentats suicides sont, cette fois encore, des immigrés de seconde génération dont l'islam est d'autant plus radical qu'ils sont nouvellement pratiquants, en quelque sorte de "born again", et dont la principale motivation est la perception selon laquelle l'Occident guerroie contre l'Islam Ce scénario confirme donc le maintien de sanctuaires terroristes au sein des grandes villes occidentales.

L'éventuel rôle indirect d'al-Qaida
Si d'aucuns identifient dans l'ampleur de l'opération et son caractère spectaculaire (multiplicité plus simultanéité) la signature opératoire de l'organisation terroriste al-Qaida, quelques précisions méritent d'être apportés à cette présomption. Intensifiée au lendemain du 11 septembre 2001, la lutte contre la direction et l'infrastructure d'al-Qaida a obligé l'organisation à se décentraliser en un ensemble souple de réseaux régionaux opérant de manière autonome. Au pire, elle se contente désormais de fonctionner comme une société qui commandite et finance les actions terroristes de franchisés locaux auquel elle offre éventuellement l'entraînement. Plus vraisemblablement, elle n'est plus un groupe structuré tissant des liens opérationnels entre ses entités, mais plutôt un mouvement agrégeant à travers le monde des initiatives terroristes mues par un fonds idéologique commun ("like-minded extremists"), en d'autres termes une insurrection islamiste globale. Parce que l'organisation a mué en une constellation atomisée, fragmentée et théâtre de la prolifération de groupes militants sympathisants mais indépendants, al-Qaida ne conduit plus directement de telles opérations: elle ne remplit plus la fonction de commandement et de contrôle. En revanche, le corpus de textes idéologiques que la mouvance produit en arabe remplit trois fonctions. D'abord, il procure aux candidats à l'attentat suicide les incitations individuelles au basculement dans l'action terroriste. Ensuite, il fournit l'idéologie explicative de la rationalité d'une action martyre qui fait de l'individu une arme. Enfin, au sein de l'espace djihadiste, il revêt d'une aura de légitimité les cellules qui s'en prévalent pour agir.

Comme dans le cas des attentats du 7 juillet 2005, l'implication d'al-Qaida ne serait donc qu'indirecte. Ceci exigerait alors des États occidentaux qu'ils examinent les raisons de la mobilisation en faveur du djihadisme sur leur propre territoire.