L'insurrection est une des modalités d'exercice de la violence politique organisée. Campagne politique armée, i.e. un mouvement dont le pouvoir politique est la problématique centrale, l'insurrection est le fruit d'une finalisation des tactiques militaires irrégulières de guérilla par un objectif politique. Cette élévation au niveau stratégique date des années 1930 et précède l'urbanisation du phénomène dans la décennie 60[i]. Modalité non-conventionnelle de l'action politique armée, l'insurrection est prolongée au plan stratégique afin de démoraliser l'adversaire et non-conventionnelle au plan tactique afin de le décrédibiliser.
L'insurrection peut être définie comme une lutte politico-militaire prolongée recourant conjointement (en proportion variable selon les capacités) à l'action terroriste, aux tactiques de guérilla et à la mobilisation sociopolitique pour créer le chaos afin de délégitimer auprès d'une population – dont le soutien est parallèlement recherché et qui constitue simultanément une cible – un gouvernement incapable d'assurer la sécurité (physique, économique et politique), en vue de lui ôter son contrôle (rompre le lien population-gouvernement) et de s'établir comme force sociopolitique. Cet établissement comme force sociopolitique passe par le contrôle du pouvoir étatique (mouvement centripète) ou par la séparation (mouvement centrifuge). Au cours d'un conflit irrégulier dissymétrique, l'insurrection est une stratégie alternative dans laquelle les insurgés recherchent un but politique de nature totale via une stratégie d'usure que favorisent l'interdiction, un caractère indirect et le mouvement[ii].
L'insurrection se distingue d'abord de ses stratégies, ou moyens, que sont la guérilla et le terrorisme, simples méthodes irrégulières de combat. La guérilla est une phase transitoire du processus de conventionnalisation ou régularisation des troupes combattantes. Elle doit s'entendre comme la "petite guerre" que les troupes irrégulières de partisans livrent dès le 18ème siècle, une guerre d'usure que caractérisent le principe d'accumulation et le triple "refus de l'engagement direct, du choc frontal, de la bataille décisive"[iii]. Le terrorisme s'en différencie par quatre critères: il ne cherche pas le contrôle physique d'un territoire – la seule quête d'influence, plutôt que l'exercice, du pouvoir politique dispense de mobiliser la population – et met en œuvre des unités de taille restreinte qui mènent des opérations spécifiques au moyen d'armes particulières.
L'insurrection se différencie ensuite des activités qui "mélange[nt] [l]es genres"[iv] et la chevauchent sans s'y rattacher: criminalité organisée (prédation, délinquance ou gangstérisme), vendettas tribales, meurtres motivés par la vengeance ou encore enlèvements à finalité économique.
L'objectif d'une insurrection vise à vaincre politiquement un adversaire militairement supérieur (au niveau technologique et/ou numérique) en convainquant les décideurs politiques ennemis que les bénéfices de la réalisation de leurs objectifs stratégiques sont inférieurs aux coûts – humains, matériels et moraux – de celle-ci. Le principal levier de l'insurrection est donc d'ordre psychologique.
Les objectifs des insurgés et ceux des contre-insurgés sont antagonistes. Pour l'insurgé, il s'agit de créer le chaos afin de délégitimer auprès des citoyens un gouvernement incapable d'assurer la sécurité. Le succès de l'insurrection (s'établir comme force sociopolitique) naît de la rencontre entre une direction idéologiquement motivée et une base insatisfaite – sur le plan sécuritaire, économique ou politique. Pour le contre-insurgé, il convient de réduire l'emploi de la violence, quadriller les provinces et éradiquer les conditions qui favorisent l'insurrection. Le succès de la contre-insurrection naît d'une campagne pour gagner les cœurs et les esprits, c'est-à-dire mobiliser le soutien de la population locale afin d'isoler et asphyxier l'insurrection. Le succès de l'insurgé ou du contre-insurgé dépend au final d'un même ensemble de conditions[v]: la programmatique, le soutien de la population, la qualité de la direction et des troupes, l'efficacité militaire, la cohésion interne, l'équipement, le terrain occupé, les moyens de communication et l'existence d'un sanctuaire.
La motivation idéologique de l'insurrection l'inscrit dans divers systèmes de pensée: anarchisme, marxisme (notamment le maoïsme), fondamentalisme (notamment l'islamisme), nationalisme, identitarisme ou ethnicisme, autonomisme, indépendantisme ou sécessionnisme (y compris le séparatisme ethnique). C'est généralement la croyance des insurgés dans la capacité de leur système de pensée à générer suffisamment de pouvoir politique pour contrer la supériorité militaire de l'adversaire, puis le disloquer aux plans moral et physique, qui explique leur résolution à livrer une lutte prolongée[vi].
L'insurrection perd parfois son sens stratégique pour n'être plus alors que commerciale ou économique[vii].
[i] Ian F.W. Beckett, Modern Insurgencies and Counter-Insurgencies. Guerrillas and their Opponents since 1750, New York, Routledge, coll. "Warfare and History", 2001, p. vii.
[ii] Hervé Coutau-Bégarie, Traité de Stratégie (5e édition), Paris, Economica, coll. "Bibliothèque Stratégique", 2006, pp. 342 sqq.
[iii] Gérard Chaliand, Arnaud Blin, "Petite guerre", Dictionnaire de Stratégie Militaire, Paris, Perrin, coll. "Librairie Académique", 1998, pp. 513-5, p. 514.
[iv] CEDF/DREX, Les armées du chaos. Étude sur les évolutions des guérillas en Irak (mai 2003-octobre 2004), Paris, Ministère de la Défense, coll. "Cahier du retex", octobre 2004, pp. 2-3.
[v] Mao Tse Tung, On Guerrilla Warfare, Dover, New York, 2005, p. 29.
[vi] Thomas Hammes, The Sling and the Stone. On War in the 21st Century, St. Paul, Zenith Press, 2006, p. ix.
[vii] Steven Metz, "Insurgency after the Cold War", Small Wars and Insurgencies, 1994, (5), pp. 63-82, passim.