L'administration américaine poursuit depuis le début de l'année – avec ses alliés britannique, israélien et pakistanais – une campagne d'opérations psychologiques clandestines contre l'Iran. La manœuvre navale des Pasdarans le 23 mars s'inscrit dans ce contexte. La configuration des conduites diplomatico-stratégiques n'est pas pour autant fondamentalement altérée. Chacun essaie de faire fléchir l'adversaire et de façonner un environnement de forces encore fluide dans le sens de ses intérêts.
Le président Bush s'est engagé dans son discours à la nation du 10 janvier 2007 à ce que les troupes américaines identifient et détruisent les "réseaux" procurant armement et entraînement aux ennemis des États-Unis en Irak. Pendant qu'il discourait, les forces spéciales américaines menaient déjà un raid contre des membres du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) dans la capitale du Kurdistan d'Irak, Arbîl. Elles détiennent depuis cinq membres de la Force al-Qods. La campagne anti-iranienne a rapidement débordé hors d'Irak, matériellement et géographiquement. Le physicien nucléaire iranien Ardeshir Hassanpour décède le 15 janvier. Une présomption d'empoisonnement pèse sur le Mossad israélien. Un général de brigade du CGRI anciennement ministre adjoint de la Défense, Ali Resa Asghari, disparaît début février à Istanbul. D'aucuns conjecturent sa défection aux États-Unis. Les Forces spéciales du ministère irakien de la Défense enlèvent mi-février le secrétaire adjoint de l'ambassade iranienne à Bagdâd, Jalal Sharafi. La mission leur aurait été confiée par des militaires américains. La Central Intelligence Agency conduit des opérations transfrontalières de déstabilisation du gouvernement central dans les provinces iraniennes occidentales et orientales tout au long de février. Elle reçoit l'appui du Military Intelligence – Service 6 britannique et des groupes séparatistes kurdes au Khuzestân, celui de l'Inter-Services Intelligence pakistanais et des groupes autonomistes baloutches au Sistan-Balouchistân. Un général responsable des opérations du CGRI dans le Golfe arabo-persique, Mohammad Saltani, disparaît enfin à Dubaï début mars.
S'agissant d'un dialogue, l'Iran réplique. Douze individus revêtus de l'uniforme de l'armée américaine parviennent à pénétrer le Centre de coordination conjointe de Karbalâ le 20 janvier. Là, ils tuent un militaire américain et en enlèvent quatre (exécutés ultérieurement). Surtout, le CGRI arraisonnent le 23 mars 15 marins britanniques dans le chenal du Chatt al-Arab au motif qu'ils auraient pénétré les eaux territoriales iraniennes. Il poursuit plusieurs buts. Manœuvrer indirectement contre le "grand Satan" échaudé en s'en prenant au "petit Satan" flegmatique allié tout en déniant au premier l'aubaine d'un casus belli. Envoyer le signal d'un Iran résolument souverain la veille d'une réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies consacrée au dossier nucléaire. Marchander la libération des membres de la Force al-Qods toujours détenus. Dissuader la Grande-Bretagne de contre-influencer l'Iran dans le sud de l'Irak. Ou encore provoquer un pic du cours du baril de pétrole.
La poursuite par l'administration Bush d'une campagne psychologique contre l'Iran augmente-t-elle la probabilité d'une ouverture des hostilités? Certes, l'interaction réciproque est aléatoire. Surtout en temps de gestion de crise. Le risque de mauvaises perceptions puis de calculs erratiques aboutissant au déclenchement d'un conflit ni prévu, ni voulu, est réel. Mais la configuration des conduites diplomatico-stratégiques n'est pas fondamentalement altérée. Chacun essaie de faire fléchir l'adversaire et de façonner un environnement de forces encore fluide dans le sens de ses intérêts. De telles manœuvres tactiques – y compris sanglantes – rythment souvent la marche stratégique sur la voie diplomatique. La conférence internationale de niveau ministériel sur la stabilisation de l'Irak prévue en avril à Istanbul ne devrait pas être ajournée. Parce que cette rencontre cristallisera le rapport de forces, son horizon est même certainement le cap à vue duquel les gouvernements américain et iranien barrent leur conduite diplomatico-stratégique.