lundi 19 mars 2007

L'administration Bush recalibre sa démarche en Irak: un déclic constructif?

L'administration Bush recalibre sa démarche en Irak. Chercher une alternative politique pour dépolariser le système partisan et recentrer le cabinet Maliki n'exclut plus de collaborer avec certaines organisations chiites radicales afin de mettre en œuvre le plan de sécurité de Bagdâd. Un tel compromis pourrait favoriser un déclic constructif.

D'un côté, l'administration américaine cherche une alternative politique pour dépolariser le système partisan et recentrer le cabinet Maliki. Elle encourage les initiatives de reconfiguration des rapports de force politiques qui se multiplient au sein du parlement irakien. Leur aboutissement pourrait amener un reclassement de majorité en cours de législature en même temps qu'un remaniement du gouvernement de coalition dit d'union nationale. Ces initiatives ne trahissent pas un processus de fragmentation politique. Le grippage du processus de réconciliation nationale résulte de ce que le gouvernement Maliki dépend pour sa survie politique du soutien des forces chiites dont les milices sont les bras armés, ce qui dissuade la minorité sunnite irakienne et la majorité sunnite régionale de coopérer. Il s'agit donc de purger le cabinet des radicaux et de le recentrer sur les modérés de chaque communauté afin de revitaliser la réconciliation nationale. Mettre en place une alliance pan-communautaire des modérés implique de défaire et refaire les coalitions partisanes. Début mars confirme l'imminence du jeu de chaises musicales. Le 6, les secrétaires généraux du Front de la concorde irakien et de la Liste irakienne – Adnan al-Dulaimi et Iyad Allawi – annoncent la création du Front national irakien, coalition pan-communautaire modérée d'opposition détenant 100 des 275 sièges du Conseil des représentants. Le lendemain, le Front pour la libération et la réconciliation nationale renonce à son indépendance pour rejoindre la nouvelle alliance; le Parti de la vertu quitte la coalition chiite majoritaire – l'Alliance irakienne unie – et rallie la nouvelle formation. Allawi entame alors une tournée régionale (Koweït, Arabie saoudite et Émirats arabes unis) afin de s'assurer du soutien des voisins pour un remaniement du cabinet. Trois initiatives restent à prendre pour rebattre les cartes politiques. Révoquer d'abord les six ministres et rejeter le soutien des 32 parlementaires de l'Organisation du martyr Sadr de Moqtada al-Sadr. Mobiliser ensuite le soutien du Conseil suprême pour la révolution islamique en Irak d'Abdul Aziz al-Hakim. Solliciter enfin l'appui du premier parti du Front de la concorde irakien, le Parti islamique de Tariq al-Hashemi. Coopter Hakim au poste de premier ministre est souvent évoqué. Mais ce choix reviendrait à endosser l'option d'une fédéralisation. Les pressions s'intensifient donc pour qu'il révise sa position. Le 23 février, les troupes américaines détiennent son fils, de retour d'Iran, à la frontière. Le 27, elles arrêtent à son domicile bagdadi un commandant des Pasdarans iraniens.

De l'autre côté, l'administration américaine n'exclut plus de coopérer avec certaines organisations chiites radicales afin de mettre en œuvre le plan de sécurité de Bagdâd. La multiplication des pressions contre Moqtada al-Sadr n'est qu'apparente. Elle masque en filigrane la purge de l'Armée du Mahdi menée conjointement par les forces américaines et irakiennes avec l'approbation de son commandant. Chacun y trouve un intérêt, même Sadr. Ce dernier se préoccupe de sécuriser les gains politiques de son mouvement dans la perspective de l'après-occupation qu'il réclame. Or, son autorité s'érodait progressivement. Il était contesté pour sa participation au jeu politique conventionnel. La rivalité entre les branches politique et militaire de l'organisation hybride s'exacerbait à mesure que la situation sécuritaire se détériorait. L'image de la milice se dépréciait. Sa chaîne de commandement se fragmentait. La pénétration d'agents iraniens s'accélérait. D'où sa volonté d'une purge, non seulement pour restaurer son contrôle hiérarchique sur les factions et préserver sa marge de manœuvre vis-à-vis du soutien iranien, mais encore pour obtenir des garanties de sécurité de la part du gouvernement irakien et de son tuteur américain – l'assurance d'une retraite clandestine. Le 25 décembre 2006, les troupes de la Force multinationale-Irak assaillent le quartier général de la police criminelle de Bassora où une unité infiltrée par l'Armée du Mahdi est tenue pour responsable d'exécutions extra-judiciaires et de contrebande pétrolière. Le 18 janvier dernier, les forces américaines arrêtent près de Sadr City le porte-parole de la milice. Le 8 février, elles mènent un raid contre le ministère de la Santé – portefeuille détenu par le mouvement sadriste – et appréhendent son ministre adjoint.

Un tel compromis pourrait finalement favoriser un déclic constructif. Ces manœuvres politiques et sécuritaires sont menées sur deux échiquiers distincts – stratégique et tactique. Loin de se contrarier, elles illustrent une démarche américaine fluide recalibrée suivant les contingences de l'action. L'interaction stratégie-tactique ouvre une fenêtre d'opportunité. L'administration américaine prend conscience de sa relative impuissance en Irak. Elle réalise partager avec le nationaliste Sadr l'objectif trans-communautaire du maintien de l'État unitaire irakien. Elle pourrait donc se résoudre à promouvoir l'intégration du mouvement sadriste au processus politique après avoir coopéré avec lui au plan sécuritaire. Revitaliser le processus de réconciliation nationale n'exigerait plus la marginalisation préalable de l'irritant Sadr. Le second serait soluble dans le premier. Mieux, son intégration l'accélèrerait. Le commandant des forces américaines en Irak, le général David Petraeus, l'insinue dans plusieurs entretiens. Dialoguer avec l'Armée du Mahdi – organisation encore récemment qualifiée de principal catalyseur des violences inter-communautaires en Irak – réfléchirait alors, tout en l'alimentant, l'inflexion réaliste d'une administration républicaine dorénavant en quête d'engagements diplomatiques et de réalisations concrètes. Suivant ce nouveau pragmatisme, l'ennemi d'hier devient l'interlocuteur de demain. Après la Corée du nord, l'Iran et la Syrie, l'Armée du Mahdi?