mardi 12 septembre 2006

L'Afghanistan, un mois après l'extension de la Force Internationale d'Assistance à la Sécurité

Le théâtre d'opérations afghan se trouve à nouveau sous les feux de l'actualité. L'augmentation générale de la criminalité transnationale organisée, celle du narcotrafic en particulier, alimente – en même temps qu'elle en profite – l'intensification des violences et complique la mission de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS) à laquelle les Forces canadiennes contribuent. Or, l'augmentation des pertes militaires conjuguée à l'absence de perspectives de progrès, à la difficulté persistante de percevoir les gains de l'opération et à la prise de conscience du glissement de la mission sur le terrain pourrait éroder le soutien des opinions publiques des pays qui contribuent à l'intervention militaire.

1. L'augmentation du narcotrafic

Depuis 2004, le narcotrafic de l'opium et de ses dérivés (morphine, héroïne) finance largement et de plus en plus les activités des groupes insurgés en Afghanistan. La criminalisation des activités terroristes s'explique au niveau systémique par la diminution du parrainage étatique du terrorisme depuis la fin de la Guerre froide. De même, le chevauchement actuel des activités criminelles et politiques sur le théâtre afghan permet à une insurrection qui ne bénéficie plus du soutien d'un des deux Grands (les États-Unis et l’ex-URSS) de s'autofinancer.
Généralement, les groupes insurgés opérant sur le théâtre afghan protègent la culture du pavot en contrepartie d'un financement. Le siphonage des revenus de la vente s'effectue à différentes étapes de la chaîne de la narcoéconomie : après la récolte (les fermiers paient une taxe d'environ 10 % sur la valeur de la récolte), lors de la transformation (les laboratoires acquittent un montant de 10 à 15 % des revenus générés) ou au cours du transport (le droit de passage payé par les convoyeurs atteint entre 15 et 20 % de la valeur des marchandises transitées).
Brièvement interdite sous le régime taliban, la culture du pavot reste dix fois plus lucrative que celle du blé (5 400 contre 550 dollars américains par hectare en 2005) et ne nécessite pas de système d'irrigation moderne. C'est pourquoi plus de deux millions d'Afghans (environ 10 % de la population totale) continuent de la privilégier. Selon l'Office des Nations Unies pour les drogues et le crime (ONUDC), la narcoéconomie est essentiellement localisée dans certaines poches des provinces du sud (Farah, Helmand et Kandahar) et du nord (Balkh et Badakhshan), lesquelles représentent 65 % de la superficie des terres consacrées à la culture du pavot. Les routes de la drogue passent de plus en plus par ces provinces du sud aux dépens des provinces du sud-est (Zabol, Paktika et Ghaznî), afin d'échapper à la concentration des forces militaires afghanes et/ou internationales. Les points de sortie de l'opium se situent, dans un ordre décroissant, sur la frontière afghano-iranienne (de 40 à 61 % entre 2004 et 2005), la frontière afghano-pakistanaise (de 37 à 20 %) et les frontières avec les républiques d'Asie centrale – Turkménistan, Ouzbékistan et Tadjikistan (de 24 à 19 %). L'importance des points de sortie est proportionnelle à la production locale et inversement proportionnelle à l'activité militaire sur le terrain.
La part relative du narcotrafic dans le financement des groupes insurgés croît d'autant plus que les structures des trafiquants se consolident et que les conditions climatiques favorisent depuis deux années consécutives une récolte du pavot exceptionnelle. En 2005, les exportations s'élevaient déjà à 1 200 tonnes de résine d'opium et à 420 tonnes de morphine et d'héroïne. Inégalement répartis (79 % pour les trafiquants, 21 % pour les fermiers), les revenus du narcotrafic atteignaient alors 2,7 milliards de dollars, soit 52 % du produit intérieur brut afghan. Or, 2006 confirme la dilatation d'une économie afghane du pavot à la fois carburant et produit de la violence, puisque la plupart des indicateurs du commerce de l'opium, de la morphine et de l'héroïne augmente à nouveau : les indicateurs principaux étant le volume de la récolte de résine d'opium (+49 % à 6 100 tonnes métriques), la superficie des terres arables consacrée à la culture du pavot (+59 % à 165 000) et les revenus générés en pourcentage du produit intérieur brut afghan (+11% à trois milliards de dollars).
D'autant que deux évolutions compliquent l'éradication de la culture du pavot. D'un côté, les narcotrafiquants miniaturisent et rendent mobiles les laboratoires servant au traitement du pavot (de plus en plus souvent transformé avant exportation). De l'autre, ils se déplacent vers les zones où la souveraineté de l'État afghan est nulle, tels les reliefs élevés des marges frontalières avec le Pakistan et l'Iran.
Mobilisant une même main-d'œuvre, les activités de l'insurrection et du narcotrafic s'interpénètrent de plus en plus. D'où deux conséquences. Premièrement, les pics d'activité alternent : la récolte du pavot correspond à une trêve de l'insurrection et l'après-récolte à une augmentation du volume de l'activité insurgée. Deuxièmement, il est de plus en plus difficile de différencier les missions de contre-terrorisme, de contre-insurrection, de contre-narcotique et d'anti-criminalité.
Certes, l'État afghan s'efforce de résoudre le problème du narcotrafic. La Force d'éradication afghane (600 hommes), opérationnelle depuis janvier 2006, essaie d'interdire la culture du pavot. L'accord de coopération bilatérale en matière de contre-narcotique signé en juillet entre Kaboul et Bogota prévoit un transfert d'expertises dans trois domaines : l'interdiction de la culture (techniques de fumigation aérienne d'herbicides), le contrôle des aéroports (juguler le transit par courriers humains – mules – via l'aéroport international de Kaboul) et la collecte du renseignement.
Mais toute politique contre-narcotique reste vouée à l’échec tant que la mise en place de cultures alternatives ne permet pas d’instaurer une économie de substitution. En aliénant la population rurale, cette politique entraînerait même comme effet pervers la mobilisation de la population en faveur de l'insurrection.
Si le narcotrafic est le carburant de l'insurrection, celle-ci enraye en contrepartie l'éradication de celui-là.

2. L'intensification des violences

Le volume des violences en général, des activités insurgées en particulier, augmente continuellement depuis 2005, particulièrement dans le sud et plus précisément depuis les élections parlementaires et provinciales du 18 septembre 2005. Deux mille civils et militaires ont été tués entre janvier et août 2006 à l'occasion d'affrontements entre insurgés et forces de sécurité.
L'insurrection afghane n'est pas un monolithe mais recouvre quatre états finaux recherchés et autant d'idéaux-types insurgés entre lesquels des passerelles facilitent la coopération :
· Les talibans (le singulier Talib signifie religieux itinérant et renvoie aux religieux ayant suivi l'enseignement wahhabite du Mollah Omar dans les années 1990) modérés cherchent à renforcer la puissance de négociation de leur groupe ethnique (les Pachtounes) dans un système politique marqué par le tribalisme. Ils sont actifs dans les provinces du sud et du sud-est : Zabol, Kandahar, Oruzgan, Helmand et Nimroz ;
· Les talibans radicaux cherchent à saper la transition politique pour se réapproprier le pouvoir et pour restaurer l'ancien régime taliban. Ils sont actifs dans les provinces du sud et du sud-est (Zabol, Kandahar, Oruzgan, Helmand et Nimroz) et disposent de bases arrières (markaz pour « camp de base ») dans la province pakistanaise du Balouchistan, et notamment dans sa capitale Quetta. Selon le commandant Mullah Dadullah, talibans modérés et radicaux totaliseraient 12 000 combattants (y compris les paysans combattant à temps partiel) essentiellement pachtounes et qui se régénèreraient rapidement ;
· Le groupe Al-Qaida cherche à expulser les troupes étrangères hors d'Afghanistan pour y (r)établir un califat qui serve de pas de tir à l'instauration d'un califat panislamique. L'organisation est active le long de la frontière afghano-pakistanaise et dispose de bases arrières dans les Zones tribales fédéralement administrées (ZTFA) du Pakistan, notamment le Waziristan et le Chitral ;
· Le Parti islamique (Hibz-i Islami), commandé par l'ancien premier ministre Gulbuddin Hekmatyar, et la milice de Jalaluddin Haqqani cherchent à saper la transition politique afin de reprendre une parcelle du pouvoir tout en préservant leurs activités criminelles – narcotrafic mais aussi contrôle des routes de la drogue, trafic humain et fraudes diverses. Ces groupes sont actifs dans les provinces de l'est (Kunar, Laghman, Nangarhar, Lowgar et Paktia) et disposent de bases arrières dans les ZTFA du Pakistan, notamment Dir et Bajour pour le premier, le Waziristan pour le second.
Talibans, al-qaidistes et partisans de Hekmatyar ou de Haqqani ont en commun la résistance à l'occupation et la subversion du gouvernement afghan. Ils forment un trio coordonné au sein duquel chacun apporte à la lutte contre la présence étrangère sa propre contribution : les tactiques de combat pour les talibans, la dévotion religieuse pour al-Qaida et le financement pour les partisans de Hekmatyar et Haqqani. Le serment d'allégeance prêté par G. Hekmatyar à O. Ben Laden le 4 mai 2006 pourrait laisser présager une élévation du niveau tactique de la coopération à un niveau opératif, voire stratégique. La formalisation d'une telle coopération ne serait cependant pas nouvelle. Al-Qaida avait déjà mis sur pied à la fin des années 1990 une unité de guérilla de 1 500 volontaires arabes chargée d'appuyer les talibans dans leur lutte contre l'Alliance du Nord d'Ahmed Shah Massoud. Cette Brigade 055 est au demeurant responsable de l'assassinat du commandant Massoud le 9 septembre 2001.
L'intensification des violences insurgées d'origine talibanne et terroriste s'explique par des facteurs aussi bien structurels que conjoncturels.
D'un côté, les facteurs structurels :
· L'insurrection monte en puissance dans les provinces australes et dans les zones tribales. Non seulement ces zones tribales connaissent une « retalibanisation » (application de la charia au lieu des codes tribaux, multiplication des attaques contre les barbiers, les commerces de musique et les cafés Internet), mais encore les troupes combattantes talibannes poursuivent leur processus de conventionnalisation (professionnalisation du personnel et sophistication de l'équipement) qui préfigure l'établissement à terme d'une armée destinée à être une force de manœuvre (voire à mener une guerre de positions) ;
· Les groupes radicaux djihadistes salafistes en général, et Al-Qaida en particulier, réinvestissent un théâtre qui devient l'aimant du djihadisme global après en avoir été le sanctuaire ;
· Un transfert d'expériences s'opère entre les théâtres irakien et afghan en matière de tactiques, de techniques et de procédures. D'une part, le recours aux engins explosifs artisanaux et au terrorisme urbain suicidaire augmente. Alors que 22 attentats-suicide ont fait 24 victimes et 60 blessés en 2005, 69 attentats-suicide – dont 14 opérations perpétrées en août – ont déjà fait 180 victimes et 432 blessés depuis janvier 2006. Ces victimes sont pour plus de 80 % d'entre elles des civils. D'autre part, la létalité des attaques croît. Le 28 août, un attentat-suicide fait 17 victimes à Lashkar Gah dans la province de Helmand. Le 8 septembre, un autre attentat-suicide fait 16 victimes à Kaboul. Le 10 septembre, un troisième tue le gouverneur de la province orientale de Paktika.
· Sur le modèle insurgé irakien, l'insurrection afghane connaît une urbanisation croissante. Coexistent désormais une guérilla rurale et une insurrection semi-urbaine, voire urbaine ;
· Les frictions armées entre militaires du Commandement des Forces conjointes en Afghanistan (CFC-A pour Combined Forces Command–Afghanistan), de la FIAS ou des Forces de sécurité nationales afghanes (FSNA) et groupes insurgés ou terroristes augmentent en raison de la croissance des effectifs des forces de l'OTAN ou de ceux des FSNA ;
· La croissance régulière du narcotrafic, la permanence des conflits armés entre factions tribales rivales et l'accroissement de la criminalité organisée de droit commun contribuent aussi à l'intensification des violences.
De l'autre côté, les facteurs conjoncturels :
· Le printemps puis l'été sont des saisons favorables au combat ;
· L'Armée nationale afghane, appuyée par le CFC-A, a mené du 15 juin au 31 juillet 2006 l'opération Mountain Thrust dans les provinces australes de Zaboul, Kandahar, Helmand et Oruzgan ;
· La FIAS conduit depuis le 2 septembre l'opération Medusa (troupes au sol et appui aérien rapproché) visant à éradiquer la présence talibanne dans la province de Kandahar, en particulier dans les districts de Panjwai et Zhari ;
· Le 22 juin 2006, le numéro deux de l'organisation Al-Qaida, l'idéologue égyptien Ayman al-Zawahiri, a exhorté les musulmans afghans à bouter les « forces d'occupation » hors d'Afghanistan ;
· Les acteurs armés non-étatiques perçoivent le moment du transfert de la responsabilité des missions de stabilisation et de reconstruction dans les provinces du sud comme un moment favorable.
L'augmentation du volume et de l'ampleur de la violence insurgée confirme trois phénomènes. D'abord, l'insurrection est déterminée à engager directement les FSNA – même soutenues par les troupes du CFC-A ou par un appui aérien – tout en maintenant des modes opératoires du faible au fort (guérilla et/ou terrorisme selon les besoins). Cette acceptation de l'engagement direct par les insurgés afghans s'oppose à son refus par les insurgés irakiens. Ensuite, le mouvement insurgé se montre capable d'intégrer les leçons enseignées : recours aux actions nocturnes, mouvements furtifs et clandestins, densification du réseau civil de reconnaissance, recours aux engins explosifs artisanaux et au terrorisme urbain suicidaire, etc. Enfin, les insurgés bénéficient d'un soutien pérenne dans les provinces du sud – qu'il soit spontané ou contraint par les opérations d'intimidation que les talibans mènent contre la collaboration.
Au-delà des insurrections et du terrorisme, la violence afghane se développe en fait à l'intersection des intérêts de divers acteurs armés non-étatiques : les insurgés au sens strict et les groupes terroristes, mais aussi les tribus locales aux alliances mouvantes, les seigneurs de guerre anciennement ennemis des talibans, les cultivateurs de pavot, les fabricants d'opium et les narcotrafiquants. Chacun tente de promouvoir son agenda à la faveur du vacuum politico-institutionnel.
Après avoir critiqué au printemps la conduite des missions de contre-terrorisme par le CFC-A et demandé, par conséquent, une « réévaluation stratégique », le président afghan Hamid Karzai a souligné le fait que les causes de la violence relevaient largement de « facteurs étrangers » : le terrorisme transnational (Al-Qaida), les opérations planifiées et coordonnées à partir du Pakistan (les groupes talibans) ou encore l'industrie de l'opium. Il a recommandé l'éradication des talibans jusque dans les sanctuaires de l'espace afghano-pakistanais, notamment les ZTFA.
Certes, le financement, l'équipement, l'entraînement et le renseignement dont bénéficient les combattants talibans accroissent l'idée d'un soutien actif de l'Inter-Services Intelligence pakistanais contre lequel le président Pervez Moucharraf n’agirait pas pour des motifs de politique intérieure. La crainte de soutiens transfrontaliers est encore renforcée depuis que l'accord de paix signé le 5 septembre 2006 entre le gouvernement central pakistanais et les chefs de tribus des ZTFA a restauré la vocation de sanctuaire de la région en prévoyant le retrait des forces de sécurité nationales et l'interruption des opérations militaires (les chefs des ZTFA s'engagent en contrepartie à cesser les attaques contre les forces de sécurité pakistanaises et à ne pas établir de contre-gouvernement).
Pourtant, la plupart des obstacles à l'endiguement des violences restent endogènes. Les talibans modérés ne sont pas intégrés au processus politique. L'Armée nationale afghane (40 000 militaires) est sous-encadrée et sous-équipée. Les forces de police (70 000 policiers) sont corrompues et peu fiables en raison des conflits de loyauté entre ancienne appartenance tribale et nouvelle allégeance gouvernementale. Le processus de reconstruction et de développement économique est enrayé dans les provinces du sud.

3. Les difficultés de la FIAS et l'érosion du soutien de l'opinion publique canadienne

Relevant de l'OTAN, la FIAS assume depuis le 31 juillet la responsabilité des opérations de stabilisation et de reconstruction dans les six provinces instables du sud : Day Kundi, Helmand, Kandahar, Nimroz, Oruzgan et Zaboul. Cette phase III étend la compétence ratione loci de la FIAS dans la continuité des phases I (Kaboul) et II (les 13 provinces du nord et de l'ouest du pays) entamées dès août 2003 et avant la phase IV (l'est) planifiée pour décembre 2006. Compétente sur 80 % du territoire, la FIAS prend le relais des missions de contre-terrorisme menées par le CFC-A [27 500 militaires dont 20 000 Américains ; 14 équipes civilo-militaires de reconstruction provinciales (PRT pour Provincial Reconstruction Team)] dans le cadre de l'opération Enduring Freedom. Le CFC-A se concentrera dorénavant sur les provinces orientales. Pour son commandant, le lieutenant-général Karl Eikenberry, ce transfert illustre l'engagement de la communauté internationale auprès de l'Afghanistan.
Commandée par le lieutenant-général britannique David Richards, la FIAS comprend 18 000 militaires (10 500 en 2005) en provenance de 39 pays membres ou partenaires de l'OTAN. Elle a pour mission de garantir un environnement sécuritaire favorable à la reconstruction, au développement économique et à la bonne gouvernance du pays. Elle commande neuf PRT. La mission dans le sud de l'Afghanistan incombe essentiellement aux troupes britanniques (3 000 militaires dans la province de Helmand), canadiennes (2 200 dans celle de Kandahar) et néerlandaises (1 500 dans celle d'Oruzgan).
Mais ce transfert de responsabilité des missions de stabilisation et de reconstruction intervient alors que le volume des violences en général, et des activités insurgées en particulier, augmente continuellement depuis 2005. Au moment où son rôle glisse perceptiblement du maintien à l'imposition de la paix, de l'action civilo-militaire (binôme stabilisation/reconstruction) au combat de haute intensité (couple contre-insurrection/contre-narcotique), la FIAS rencontre plusieurs difficultés :
· L'imprécision du mandat de la FIAS limite ses moyens de lutte contre le trafic de drogue ;
· La compétence ratione loci des contingents et les règles d'engagement du feu varient selon les pays contributeurs ;
· Le déficit en personnel et en équipement hypothèque la projection aérienne de forces de réaction rapide et l'appui aérien rapproché. Hélicoptères d'attaques et avions de transport C-130 font toujours défaut ;
· L'insécurité croissante ne permet pas aux équipes de reconstruction provinciales de mener leur mission de reconstruction sans protection militaire ;
· L'accumulation des incidents spontanés inhérents à toute occupation commence à engendrer des effets contre-productifs, tels que l'émeute du 29 mai 2006 dans Kaboul contre les troupes américaines.
Or, la population afghane prêtera in fine allégeance à l'acteur qu'elle perçoit comme étant le moins mauvais prestataire de sécurité (physique et économique), qu'il s'agisse du gouvernement ou du mouvement insurgé qui cherche à s'établir comme force sociopolitique. Alors que l'espérance de vie à la naissance plafonne à 43 ans, les préoccupations de la population sont essentiellement quotidiennes. Un insurgé taliban reçoit par exemple une solde d'environ huit dollars par jour, soit deux fois celle d'un soldat de l'ANA et quatre fois celle d'un policier.
Afin que le gouvernement légal puisse rétablir le fonctionnement régulier des services publics essentiels (et relégitimer son image) avant que la population ne soit définitivement aliénée, le rapport de forces militaire doit rapidement rebasculer en faveur de la FIAS, du CFC-A et des FSNA. C'est pourquoi le commandant suprême de l'OTAN, le général James Jones, a demandé le 7 septembre que 2 500 soldats supplémentaires renforcent les effectifs militaires. Mais, alors que le contact avec la population est une condition sine qua non pour regagner les cœurs et les esprits, l'intensification des violences incite les troupes du CFC-A et de la FIAS à réduire les interactions avec leur environnement (patrouilles et opérations conjointes), hypothéquant par-là même les chances de succès de la contre-insurrection.
L'enjeu se situe aussi au niveau des perceptions de l’opinion publique des pays contributeurs en général, de l'opinion publique canadienne en particulier. L'action du Canada en Afghanistan a été amorcée par un alignement spontané – mais controversé – sur la politique étrangère des États-Unis au lendemain du 11 septembre 2001. Après avoir contribué à l'opération Liberté Immuable, les troupes canadiennes opèrent dorénavant au sein de la FIAS. Certes, cette action applique concrètement la philosophie de l'Énoncé de politique internationale publié en avril 2005. Ce document postule que l'insécurité internationale est de plus en plus déterminée par l'insécurité interne des États faillis. Il prévoit de maximiser la visibilité internationale de la diplomatie de défense canadienne dans le cadre d'opérations militaires visant à stabiliser et à reconstruire les États déstructurés par des luttes armées internes. Cette volonté d'assurer une visibilité internationale à la diplomatie de défense canadienne est reconduite par la stratégie de défense présentée le 29 juin dernier, Canada First. Elle prescrit l'augmentation des dépenses de défense afin d'acquérir l'équipement qui garantisse une capacité militaire de projection de puissance indépendante et interopérable.
Le 17 mai 2006, le parlement n'a cependant voté qu'à une faible majorité (avec l'appui du Parti libéral fédéral) l'extension du déploiement canadien de février 2007 à février 2009. Autrement dit, l'intervention militaire présente un risque politique pour le gouvernement minoritaire du premier ministre Stephen Harper. L'augmentation des pertes militaires canadiennes (28 soldats tués entre octobre 2001 et septembre 2006, dont 16 depuis juillet 2006 et 5 depuis le déclenchement de l'opération Medusa le 2 septembre), conjuguée à l'absence de perspectives de progrès, à la difficulté persistante de percevoir les gains de l'opération et à l'apprentissage de l'ambivalence de la mission sur le terrain, pourrait éroder le soutien de l'opinion publique à l'intervention militaire. Si cette dernière cessait majoritairement de soutenir l'intervention, l'opposition de la Chambre des communes (le Parti libéral fédéral plus le Nouveau parti démocrate) pourrait être tentée de se désolidariser du Parti conservateur pour chercher un vote de défiance contre le gouvernement. Du reste, le Nouveau parti démocrate appelle déjà au retrait des soldats d'ici à la date initialement prévue : février 2007.