jeudi 8 février 2007

Les violences irakiennes confirment l'urbanisation de la guerre

D'al-Falloudjâh à Bagdâd en passant par Bassora, ar-Ramâdî ou encore Mossoul, les violences irakiennes vérifient le glissement militaire du champ à la ville de bataille. À l'exception du triangle sunnite où coexiste une guérilla rurale, la plupart des foyers de violence en Irak sont urbains.

Mobile et connaissant la topographie, le combattant irrégulier (insurgé, milicien, etc.) a toujours opéré dans des terrains complexes réducteurs des avantages technologiques de l'armée régulière: désert, forêt, jungle, montagne. Certes, la nature même de la ville – l'omniprésence de constructions humaines et la densité des non-combattants – lui semble favorable car elle rogne l'efficacité de la puissance conventionnelle. Mais le terrain urbain est ambivalent, recelant des opportunités à la fois pour le combattant irrégulier et l'armée régulière.

Les différentes explications

L'urbanité des violences en Irak reçoit trois explications. D'abord démographique: l'urbanisation de la population irakienne. Les agglomérations de Bagdâd et Mossoul concentrent à elles deux 40% de la population (12 millions). Ensuite historique: l'échec des applications latino-américaines du modèle maoïste de l'insurrection rurale. La greffe du foco tentée par Ernesto Che Guevara a été rejetée en Argentine, en Bolivie, au Brésil, en Colombie, en Équateur, au Guatemala, au Paraguay, au Pérou, en République Dominicaine et au Venezuela par des sociétés dorénavant largement urbaines. Enfin militaire: le terrain urbain offre au combattant irrégulier des opportunités sociologiques au niveau opératif et il offre au défenseur des opportunités asymétriques au niveau tactique.

Les opportunités sociologiques

Le terrain urbain offre au combattant irrégulier des opportunités sociologiques au niveau opératif car la densité est synonyme de concentrations. La densité de la population offre une couverture en préservant l'anonymat. Elle garantit une concentration des disparités sociales et des expertises techniques et/ou politiques favorables à l'aliénation et à la radicalisation, partant au recrutement. La densité du réseau médiatique offre une publicité immédiate et massive. La concentration de cibles faciles ou à haute valeur ajoutée et d'armements lourds facilite la manœuvre opérationnelle des irréguliers urbains.

Les opportunités asymétriques

Le terrain urbain offre au combattant irrégulier des opportunités asymétriques au niveau tactique car il multiplie les espaces (aérien, intérieur et extérieur) et les surfaces (super-surface, surface et sub-surface) propices au combat égalisateur, tout en rendant certaines technologies inefficaces voire contre-productives. Les immeubles et leurs souterrains ou tunnels permettent de se dissimuler. Les lieux saints, scolaires et hospitaliers constituent de mini-sanctuaires tant les répercussions stratégiques négatives de leur assaut dissuadent tout candidat. La connaissance du terrain renforce la liberté d'action des autochtones qui parviennent à se disperser et à éviter le contact sauf pour bénéficier brièvement de la supériorité tactique recherchée. La présence de populations non-combattantes et le combat rapproché interdisent l'appui feu aérien comme le soutien de l'artillerie. Le réseau cloisonné des rues et ruelles perturbe l'approvisionnement, empêche le commandement centralisé, gêne la manœuvre des véhicules, limite l'efficacité des armements comme de la technologie d'aide au positionnement et réduit la distance d'observation de même que la zone d'action des unités régulières. Ce dédale place le militaire dans un isolement anxiogène: il peut être soudainement attaqué frontalement, dorsalement, latéralement, par le haut ou encore par le bas, alternativement mais aussi simultanément. En revanche, il favorise le mouvement du combattant irrégulier ainsi que l'embuscade et consacre le sniper. Si le tir isolé constitue une nuisance irritante plutôt qu'une menace pour les troupes de la Force Multinationale, les snipers de Bagdâd et Falloûdjah sont toutefois devenus les figures mythiques de la résistance irakienne contre l'occupant américain.
Le terrain urbain est contraignant pour l'armée régulière. Il majore le rôle joué par le fantassin. Il accélère le rythme des opérations. Il exige la relève fréquente de l'infanterie au contact. Il requiert l'initiative individuelle, c'est-à-dire le combat décentralisé et les manœuvres de groupes restreints. Il implique la coopération infanterie-chars, la prise des hauteurs et des sous-sols, le sur-blindage du flanc des véhicules blindés ou encore une expertise en gestion des foules.

Les limites: un terrain ambivalent

Livrée du 8 au 20 novembre 2004 pour nettoyer le sanctuaire interne de l'émirat de Falloudjâh, l'opération Phantom Fury (dite "seconde bataille de Falloudjâh") a illustré les opportunités mais aussi les limites asymétriques du terrain urbain pour le combattant irrégulier. Les 20km² du théâtre d'opérations, où 10 000 militaires américains et 2 000 soldats irakiens ont affronté 3 000 insurgés, comptaient 1 000 blocs d'immeubles (50 000 immeubles), 350 entrepôts d'armes, 133 mosquées dont 66 servaient de positions défensives et de caches d'armes, 11 fabriques d'engins explosifs artisanaux, huit centres de détentions pour otages et cinq laboratoires pour la fabrication d'armes chimiques. Certes, 55 militaires américains ont été tués et 450 blessés lors de la prise de la ville. La bataille a aguerri 500 insurgés arrivés d'autres gouvernorats pour s'entraîner. Elle a révélé leur premier déploiement de niveau opératif (un commandement répartissait les unités sur le théâtre d'opérations entre Falloudjâh, ar-Ramâdî et Mossoul) ainsi que la rationalisation de leur défense au niveau tactique (différents groupes assuraient la défense des quatre zones divisant la ville). Mais l'évacuation préalable des 300 000 habitants a permis de traiter par l'artillerie une ville dès lors transformée en piège pour la défense. Plus de 600 insurgés – dont le commandant de la "résistance de Falloudjâh" – ont ainsi péri sous le feu puis l'assaut de la coalition.