jeudi 22 février 2007

Le mouvement insurrection transfrontalier emmené par les néo-Talibans en Afghanistan

Le mouvement insurrectionnel transfrontalier emmené par les néo-Talibans en Afghanistan: facteurs, acteurs et perspectives de l'insurrection comme de la contre-insurrection
Par Nicolas Martin-Lalande, chercheur à l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques (www.dandurand.uqam.ca)
Je remercie Simon Leduc pour ses précieux éclairages
Sigles utilisés (I)
AANE – Acteur armé non-étatique
ANA – Armée nationale afghane
AQ – al-Qaida
C² - Commandement et contrôle
C3R – Commandement, contrôle, communication et renseignement
CFC-A – Commandement des forces conjointes-Afghanistan
CIA – Central Intelligence Agency
COIN – Contre-insurrection
DIAG – Disbandment of Illegal Armed Groups
FSA – Forces de sécurité afghanes
GI – Groupe insurrectionnel
GLSA – Gouvernement légal souverain afghan
GT – Groupe terroriste
HIG – Hibz-i-Islami Gulbuddin (Parti islamique de Gulbuddin Hekmatyar)
IN – Insurrection
IED – Improvised explosive device (engin explosif artisanal)
ISI – Inter-Services Intelligence
JUI – Jamiat-e-Ulema Islam (Parti des oulémas islamiques)
Sigles utilisés (II)
MITNT – Mouvement insurrectionnel transfrontalier emmené par les néo-Talibans
MMA – Muttahida Majlis-e-Amal (Forum uni pour l'action)
MIO – Mouvement islamique d'Ouzbékistan
NT – Néo-Talibans
NTIC – Nouvelles technologies de l'information et de la communication
ONUDC – Office des Nations Unies pour les drogues et le crime
OTAN – Organisation du Traité de l'Atlantique Nord
PAO – Pavot à opium
PFNO – Province de la frontière du nord-ouest
PNA – Police nationale afghane
PNUD – Programme des Nations Unies pour le développement
PRN – Plan de réconciliation nationale
PRT – Provincial Reconstruction Team (équipe de reconstruction provinciale)
SIED – Suicide IED (attentat suicide au moyen d'un engin explosif artisanal)
Sigles utilisés (III)
VBIED – Vehicle Borne IED (attentat suicide au moyen d'un véhicule piégé)
ZTFA – Zones tribales fédéralement administrées
Sommaire
Facteurs du MITNT
Causes et motivations
Facteurs structurels
Facteurs conjoncturels
Diversité des buts politico-idéologiques
Diversité des modes de financement
État des lieux du narco-trafic
Financement croissant par le narco-trafic
Acteurs du MITNT
Organisation du MITNT
NT
Seigneurs de guerre locaux
Parti islamique de Gulbuddin Hekmatyar
Groupes djihadistes
Transnationaux
D'origine afghane
Pakistan: protagoniste de l'IN
Soutien organisationnel: l'appui à l'armée des NT
Soutien idéologique: la tolérance des madrassas
Perspectives de l'IN et de la COIN
Montée en puissance du MITNT
Dynamique psycho-politique: re-talibanisation
Dynamique stratégique: conventionnalisation
Dynamique tactique: irakisation
Dynamique identitaire: re-ethnicisation
Dynamique psychologique: regain de confiance
Difficultés de la FIAS
Mission de la FIAS
Difficultés rencontrées
Érosion du soutien des opinions publiques
Opinion publique canadienne
Population afghane
Introduction
Détérioration de la situation
Longtemps perçu comme le front oublié de la guerre globale contre le terrorisme, le théâtre d'opérations afghan est à nouveau sous les feux de l'actualité depuis que la situation militaro-sécuritaire s'y détériore: le MITNT y resurgit.
2006 marque un tournant: les exilés rentrés en Afghanistan après la chute du régime taliban (2001) se réfugient à nouveau à l'étranger
D'aucuns soutiennent que "l'Afghanistan n'a jamais été dans une situation post-conflit". L'actuelle re-conflictualisation oblige à réutiliser le terme de conflit plutôt que de post-conflit
Synergie criminalité – violence politique
Criminalité organisée et violence politique interagissent généralement au cours d'un conflit
Leur synergie est particulièrement forte en Afghanistan
L'augmentation du narco-trafic y alimente – en même temps qu'elle profite de – l'intensification des violences politiques et complique la mission de la FIAS dont les succès tactiques cachent mal la faillite stratégique
Enjeu (I)
L'enjeu de la stabilisation réside dans le soutien des opinions publiques – afghane comme des pays contributeurs – à l'intervention militaire étrangère
Imputable au vide politico-administratif post-taliban, le déficit de sécurité (physique, économique et psychologique) mine la transition depuis 2001. Il risque de refermer une fenêtre d'opportunité car la population afghane prêtera in fine allégeance à l'acteur qu'elle perçoit comme le moins mauvais prestataire de sécurité, GLSA ou MITNT
Enjeu (II)
Certes, elle demeurera attentiste (neutre ou non-alignée) jusqu'à ce qu'elle perçoive un point culminant annonçant le basculement définitif du rapport de forces en faveur d'un des adversaires
Mais le temps joue en faveur du MITNT. La population lui est de plus en plus réceptive. Bénéficiant d'un ascendant stratégique, il pourrait atteindre une masse critique. La temporalité insurrectionnelle (et donc contre-insurrectionnelle) n'est pas la temporalité politique démocratique, encore moins celle médiatique
Plan
La manière dont le narco-trafic finance l'insurrection, l'intensification des violences politiques, les difficultés que rencontrent la FIAS et l'érosion du soutien des opinions publiques seront abordées en envisageant successivement les facteurs du MITNT, ses acteurs et les perspectives de l'IN comme de la COIN en Afghanistan
1. Facteurs du MITNT
1.1. Causes et motivations
Mosaïque insurrectionnelle
Les facteurs du mouvement insurrectionnel renvoient aux motivations des acteurs, aux buts politico-idéologiques que les insurgés poursuivent en recourant à la violence et aux modes de financement de cette modalité violente de l'action politique
La diversité des motivations, des buts et des modes de financement justifie l'image d'une mosaïque insurrectionnelle
Implication de la population
Les facteurs et mécanismes qui favorisent la radicalisation puis le basculement d'une partie de la population dans le soutien aux insurgés sont nombreux
L'implication de la population s'échelonne de la collaboration jusqu'à l'action en passant par la sympathie
Recrutement
Il est individuel et non collectif
Il emprunte des canaux de communication plus ou moins médiatisés:
Plus: radio, télévision, journal et site Internet
Moins: établissement scolaire, séminaire, prison, centre d'entraînement
En tant qu'espaces publics où les directeurs de prière (khateeb) agrègent et articulent le mécontentement sociopolitique de la communauté musulmane, notamment lors de la prière du vendredi (khutba), les mosquées afghanes (masjid) – mais aussi celles des pays voisins – jouent un rôle déterminant dans la mobilisation puis le recrutement des candidats à l'insurrection
Les madrassas (lieux d'éducation – séminaires – islamiques) du Pakistan jouent le rôle d'incubateurs du fondamentalisme religieux
1.1.1. Facteurs structurels
Facteurs historiques (I)
La culture politique afghane est imprégnée d'ethno-nationalisme et traditionnellement méfiante à l'égard des puissances étrangères
Les images persistantes du colonialisme ou de l'anti-colonialisme nourrissent une attitude anti-occidentale en général, anti-américaine en particulier
Le sentiment d'une humiliation coloniale est omniprésent
La religion sous-tend des oppositions latentes
Le chevauchement des appartenances (par importance croissante du réseau social: famille, localité, clan, tribu et groupe ethnique) provoque parfois un engrenage des allégeances
Les allégeances sont fluides (vénalité des allégeances)
Les seigneurs de guerre perpétuent les luttes de factions, les rivalités inter-tribales et les querelles de sang – les tribus pachtounes des Durrani (Hamid Karzai) et des Ghilzai (mollah Omar) rivalisent ainsi pour le contrôle du pouvoir politique
Facteurs historiques (II)
Le mécontentement des tribus pachtounes, lesquelles se perçoivent traditionnellement menacées de marginalisation socioéconomique et d'oppression identitaire, est encore renforcé par le renversement du régime taliban – constitutif d'une lésion politique
L'héritage des guerres et des après-guerres réside dans la survivance, sur les ruines d'un État afghan dysfonctionnel kleptocrate gangrené par la corruption institutionnelle à tous niveaux – le pot-de-vin (rishwat ou shereniy) est une constante, du centre aux districts en passant par les provinces, y compris le système judiciaire – d'une société fragmentée, tribalisée, déstructurée, désindustrialisée et criminalisée
Le système de pensée taliban est une idéologie très mobilisatrice
L'Afghanistan occupe le 10ème rang de l'index des États faillis publié annuellement par Foreign Policy (le Pakistan le 9ème)
Organisation socio-politique (I)
Parce que le contrôle du gouvernement central sur les structures sociopolitiques locales tribales est historiquement faible et circonscrit à des îlots de souveraineté (le président afghan Hamid Karzai est souvent qualifié de "maire de Kaboul"), l'organisation socio-politique afghane est naturellement propice à un mouvement insurrectionnel (arbakai désigne le système sociopolitique tribal afghan)
L'Afghanistan est un carrefour géostratégique dont l'histoire est jalonnée d'invasions – de l'empire de Darius le Grand à l'empire soviétique, en passant par l'empire des Kushans et celui de Tamerlan
Géographie et histoire expliquent que le pouvoir soit décentralisé et exercé suivant le principe de subsidiarité ascendante:
La première a favorisé les structures socio-politiques de proximité comme niveau pertinent pour la mise en œuvre de l'action publique, notamment le kalay (communauté résidentielle, ou hameau, de 50 à 200 personnes)
La seconde a enraciné le revirement d'allégeance dans la mentalité collective afghane
Organisation socio-politique (II)
L'organisation politique s'articule autour de la structure sociale du clan (qawm ou qaoum), niveau d'allégeance ethnique intercalé entre la famille et la tribu dont les membres ont un ancêtre commun. Le clan retient généralement le droit de se faire justice
Les structures socio-politiques locales traditionnelles sont les jirgas (conseil tribal de niveau communal) et les chouras (conseil consultatif de niveau inter-communal), conseils chargés de la prise de décision et du règlement des litiges selon le principe du consensus; leur décision (prikra) est revêtue de la force obligatoire.
Les structures sociales locales traditionnelles sont le koronay (niveau interfamilial), le kalay (hameau), le qaria (village important) et le wolaswali (circonscription administrative)
Organisation socio-politique (III)
L'emprise des structures sociopolitiques sur la population est inversement proportionnelle à leur compétence géographique: elle décroît à mesure qu'elle déborde du cadre communal des kilis (villages)
L'identité afghane est quasi-inexistante en dehors des grandes villes
C'est pourquoi le défi afghan réside dans l'émergence d'une identité nationale qui permette l'établissement d'un État multi-ethnique et multi-linguistique (35 langues et dialectes parlés) dans le respect des contextes socio-politiques locaux
Corruption institutionnelle et rupture de représentativité
Les Talibans réussissent d'autant mieux à ôter au gouvernement central son contrôle sur la population qu'il est corrompu et que le lien gouvernants-gouvernés est lâche – les mécanismes de représentation des jirgas au sein du loya jirga sont défectueux
Le déficit de légitimité du président Karzai est encore grevé de deux handicaps:
Il appartient à une tribu (Durrani) de Kandahâr qui n'est pas l'une des principales tribus pachtounes et il ne dispose pas d'une armée privée ou milice
Son frère Walid Karzai est corrompu et compromis dans le narco-trafic
Le 12 octobre 2006, le président de la Chambre haute, Sebghatollah Mojaddedi, dénonce la corruption et le népotisme du gouvernement, maux auxquels il impute les problèmes de gouvernance et la résurgence talibane
Loya jirga (grand conseil ou parlement bicaméral afghan)
Mesharano jirga:
Chambre haute
102 sièges
Wolesi jirga:
Chambre basse
249 sièges
Anémie de l'appareil d'État post-taliban
Les vides politico-administratif et militaro-sécuritaire résultant de l'anémie de l'appareil d'État post-taliban ont:
Choqué les administrés (passage de la sur-administration taliban à la sous-administration post-taliban)
Encouragé les AANE à promouvoir leur agenda concurremment à la désintégration de l'État "faible" – voire "quasi-failli" – afghan
Élevé les AANE contre le monopole étatique de la violence physique légitime puis sur ses ruines
Favorisé la mise en œuvre de stratégies de prédation contre l'État "proie" afghan
Favorisé la mise en œuvre de stratégies de survie à court terme plutôt que de reconstruction à long terme
Catalysé la politisation, clientélisation et milicisation des institutions de l'État, notamment la fonction publique
Dysfonctionnements de l'appareil d'État
Vulnérabilité du système parlementaire, plus largement dysfonctionnements du système politique
Incapacité du GLSA à résoudre la crise institutionnelle:
Gouverner le pays (notamment améliorer la gouvernance locale)
Assurer le fonctionnement régulier et non communautaire des services publics essentiels
Infléchir la culture de l'impunité
Intégrer les NT modérés au processus politique (nonobstant promesses d'amnistie et d'emplois)
Incapacité du CFC-A et de la FIAS à stabiliser la situation sécuritaire:
Sécuriser les populations civiles
Réduire l'activisme des AANE
Confiner la montée en puissance du MITNT
Entraîner et professionnaliser les FSA
Problématique sécuritaire
La réforme du secteur de la sécurité compte cinq piliers (chacun étant supervisés par une nation-cadre):
Contre-narcotique (Royaume-Uni)
Réforme judiciaire (Italie)
Désarmement/démobilisation/réintégration (Japon)
Formation/entraînement de la PNA (Allemagne)
Formation/entraînement de l'ANA (États-Unis)
Le chapitre sécurité grève les budgets votés pour la reconstruction dans l'arc tribal pachtoune et gèle par conséquent le développement économique
FSA
Les forces de sécurité nationales (armée et police) sont:
Sur-employées: elles mènent simultanément des opérations de maintien de l'ordre public, de contre-narcotique, et de COIN
De collusion avec et infiltrées par les milices des principaux seigneurs de guerre, lesquels conservent leur propre chaîne de commandement politico-militaire
ANA (I)
Les 34 000 militaires de l'ANA sont sous-encadrés, sous-équipés et sous-payés
Le salaire plafonne à 100, 180, 300, 400 et 530 dollars par mois pour (respectivement) une nouvelle recrue, un soldat confirmé, un major, un colonel et un général
Les taux d'absentéisme et de désertion sont importants, notamment lors des récoltes – le taux de désertion s'élève à 15% en 2006
Au contraire, le taux de rétention des recrues (réengagement) est faible
La préparation à la COIN reste imparfaite bien que 1 200 instructeurs des pays contributeurs de la FIAS (États-Unis inclus) soient répartis sur 85 des bases de l'armée. Non seulement l'ANA ne joue qu'un rôle secondaire dans la conduite des opérations conjointes de COIN mais encore a-t-elle besoin du soutien de l'OTAN (communications, soutien aérien, logistique et transport)
ANA (II)
Le déficit de véhicules blindés et de puissance de feu exclut de contre-attaquer
Les unités actives sont mal distribuées à travers le pays car en nombre insuffisant dans les provinces dont les Talibans réclament le contrôle
Toutefois, l'ANA multi-ethnique est le symbole en même temps que le vecteur institutionnel de l'identité / l'unité nationale afghane et de la loyauté institutionnelle au gouvernement central
PNA (I)
Les 65 000 policiers de la PNA sont sous-payés (15 à 60 dollars par mois selon le grade), corrompus et peu fiables en raison des conflits de loyautés (appartenances tribales contre allégeance gouvernementale)
Nonobstant une rationalisation structurelle intervenue fin 2005 (de 286 à 120 généraux, de 2 790 à 235 colonels, démantèlement de la Police nationale des autoroutes, etc.), la PNA est incapacitée par des structures de commandement et de contrôle faibles
Elle manque de professionnalisme (60% des policiers sont analphabètes) comme de ressources (tous les officiers ne peuvent revêtir l'uniforme) et reste indisciplinée
Les taux d'absentéisme et de défection sont également importants
La PNA reste un agrégat informe de milices
PNA (II)
Déficit d'identité institutionnelle et culture de l'impunité y encouragent la prédation et le mépris des droits de l'homme.
La population s'en méfie parce que de nombreux seigneurs de guerre (miliciens) y ont réussi leur stratégie de reconversion post-2001.
La police secrète afghane (KHAD pour Khadamat-e Etela'at-e Dawlati) se démarque toutefois de la police nationale par sa compétence et ses succès: au Pakistan même, elle nettoie la chaîne de commandement du mouvement NT, démantèle ses soutiens, élimine les moudjahidin et pratique le contre-renseignement
Environnement social conducteur
L'environnement social afghan est conducteur de la violence
Certes, le PNUD avance que 57 000 armes légères-moyennes et 12 000 armes lourdes ont été collectées depuis 2003 tandis que 63 000 miliciens (dont 12 000 commandants ou seigneurs de guerre) ont simultanément désarmés
Mais:
Le programme DIAG continue de sous-performer: seuls les systèmes d'armes obsolètes sont collectés tandis que les pays contributeurs de la FIAS refusent toujours de participer
10 millions d'armes légères militarisent encore l'espace public, entretiennent le dilemme de la sécurité et estompent la différence entre combattants et non-combattants
1.1.2. Facteurs conjoncturels
Liste
La promiscuité quotidienne entre les troupes étrangères et la population locale crée un choc culturel d'autant plus violent que les premières manquent d'une compréhension fine du contexte historico-culturel et des sensibilités locales. La complexité du tissu social tribal limite les interactions
La multiplication des déficits (sécurité et reconstruction) et des promesses non tenues (rétablissement du fonctionnement régulier des services publics essentiels) alimente les frustrations
La simple accumulation des désagréments inhérents à une occupation
Les incitations économiques et matérielles à la criminalité organisée
Le désir de vengeance ou l'obligation tribale de revanche (le badal est prescrit par le code de conduite tribal pachtoune préislamique)
L'intimidation et la contrainte,
La perception d'un usage excessif de la force en général – de représailles excessives en particulier (responsabilité collective)
Les incidents spontanés
Illustrations (I)
Si corrélation n'est pas synonyme de causalité, les zones tribales du Pakistan connaissent un fort taux de chômage et d'emplois à temps partiel sans débouchés; or, attaquer à l'arme légère, placer un engin explosif artisanal ou commettre un assassinat sont des actions bien rétribuées. Le MITNT emploie
De même, les opérations brutales menées par l'armée pakistanaise accélèrent l'aliénation de la population des zones tribales du Pakistan
Illustrations (II)
En plus des exemples de maltraitance de prisonniers par des militaires étrangers (base aérienne de Bagram, prison de Guantanamo), plusieurs tueries accidentelles et/ou maladroites de civils et policiers afghans avortent la coopération entre certaines tribus et les troupes du CFC-A ou de la FIAS:
1.07.02: des avions américains bombardent par erreur une cérémonie de mariage dans la province d'Oruzgân, tuant 48 civils et en blessant 117
9.04.03: des bombardiers américains frappent par erreur le village de Shkin, tuant 11 civils
14.03.06: des militaires canadiens blessent mortellement le passager d'un véhicule qui suivait de trop près leur convoi dans la ville de Kandahâr
24.10.06: une frappe aérienne de l'OTAN tue 31 civils du village de Lakani (district de Panjwai de la province de Kandahâr)
Émeute du 29.05.06
Rétrospectivement, l'émeute du 29 mai 2006 à Kaboul sera certainement perçue comme un tournant de la mobilisation en faveur de l'IN
Elle a effectivement révélé que le gouvernement central s'est aliéné la majorité ethnique tadjik de la capitale
Représentant 27% de la population afghane, les Tadjiks s'estiment lésés économiquement et sous-représentés politiquement – au sein des institutions étatiques du gouvernement (plusieurs ministres sont révoqués en mars 2006) et des FSA
Ce tournant préfigure une mobilisation insurrectionnelle au-delà de la base ethnique pachtoune, c'est-à-dire un mariage de raison entre nationalisme afghan et islamisme
Le 29 mai pourrait ainsi devenir l'équivalent afghan du point de ralliement qu'a constitué en Irak la tuerie accidentelle et/ou maladroite du 28 avril 2003 à Falloudjâh
Frappes aériennes (I)
Ces dommages collatéraux se multiplient d'autant plus que les troupes étrangères recourent aux frappes aériennes pour compenser:
Le déficit d'engagement des troupes au sol
L'absence d'unités blindées
Et la montée en puissance du MITNT
À la différence du théâtre d'opérations irakien, la topographie afghane, la nature encore essentiellement rurale de l'IN et la conventionnalisation des troupes combattantes NT sont autant de facteurs propices au soutien aérien (reconnaissance et projection de forces de réaction rapide) et à l'appui aérien rapproché (appui feu au sol)
En 2006, les bombardiers américains B-1 ont frappé à plus de 2 500 reprises, larguant plus de bombes en un an (plus de 1 200) qu'au cours des années 2001-04 (848) et 2005 (150). Seulement 88 bombes ont été larguées en Irak pendant la même période
Frappes aériennes (II)
L'aliénation de la population consécutive à une frappe aérienne confirme la rationalité stratégique limitée de la puissance aérienne en général, du bombardement aérien en particulier: lorsque la brutalité des moyens employés sape la légitimité des fins poursuivies, les succès tactiques (batailles) hypothèquent logiquement la réussite stratégique (guerre):
Le bombardement aérien autorise l'assimilation des méthodes des troupes étrangères aux tactiques terroristes des GI
Pis, il décrédibilise voire délégitime un GLSA au mieux perçu comme aligné sur les stratégies du CFC-A et de la FIAS, au pire tenu pour co-responsable
Militarisation de la société
Le rythme de la militarisation de la société afghane – donc celui de la violence collective de droit commun – s'accélère
Concrètement, l'accélération de la militarisation de la société afghane (la possession de plus en plus massive d'armements par les citoyens et l'accroissement de la puissance de feu dans l'espace public) entretient le dilemme de la sécurité et estompe la différence entre combattants et non-combattants
Elle est réfléchie par l'allure de l'augmentation du prix de ces armements après l'offensive de 2006 (entre août et décembre):
Le prix du fusil d'assaut de fabrication russe Kalachnikov AK-47 a augmenté de 166 à 500 dollars américains
Le pistolet Magarov de 83 à 583 et le pistolet Tokerev de 83 à 500
1.2. Diversité des buts politico-idéologiques
Mosaïque polychrome
Certes, animés d'une idéologie mobilisatrice nationaliste ou religieuse (parfois les deux), les GI actifs sur le théâtre afghan ont en commun:
Le radicalisme islamiste
La résistance à l'occupation
La subversion du GLSA
À court terme, leur objectif est de mobiliser au-delà de la base ethnique pachtoune afin d'élargir un mouvement majoritairement taliban en une résistance islamo-nationaliste pan-afghane livrant tout à la fois un djihad (salut individuel) et une guerre de libération nationale (salut national) contre l'occupant étranger apostat.
Mais derrière l'apparent monolithe, la combinaison de critères politique, idéologique et sociologique révèle l'absence d'unité politico-idéologique. L'insurrection est une mosaïque polychrome. Elle recouvre cinq états finaux recherchés et autant d'idéaux-types insurgés entre lesquels des passerelles facilitent la coopération
NT
Les NT modérés cherchent à renforcer la capacité d'influence / de contrôle du pouvoir politique de leur groupe ethnique pachtoune dans un système politique marqué par le tribalisme
Noyau dur des loyalistes du régime taliban, les NT radicaux cherchent à saper la transition politique pour se réapproprier le pouvoir politique et restaurer l'ancien régime taliban. Ils poursuivent donc l'objectif de renverser le GLSA du président Karzai
28.10.06: la direction de l'Émirat islamique d'Afghanistan publie un communiqué par lequel le mouvement NT rejette l'offre de négociations formulée par le président Karzai car l'offrant est le gouvernement d'occupation d'un pays occupé
Seigneurs de guerre locaux
Les seigneurs de guerre locaux cherchent à saper la transition politique afin de préserver leur parcelle de pouvoir politique et le libre exercice de leurs activités criminelles – narco-économie (culture du PAO, narco-trafic, contrôle des routes de la drogue, etc.), trafic et contrefaçon d'armes, trafic humain et fraudes diverses
HIG
Le HIG cherche à libérer l'Afghanistan de l'influence étrangère puis à renverser le GLSA afin d'y créer un califat, c'est-à-dire un État islamique régi par la charia
Mâtinant son messianisme de pragmatisme, Hekmatyar vise aussi à saper la transition politique afin de (re)capter une parcelle du pouvoir politique tout en préservant le libre exercice de ses activités criminelles – essentiellement les activités de la narco-économie
Concernant la présence de troupes étrangères sur le territoire afghan, il se contente d'exiger qu'un calendrier soit fixé pour leur retrait
Groupes djihadistes
Les groupes djihadistes incarnent le versant transnational des interférences étrangères
Ils cherchent à expulser les troupes étrangères hors d'Afghanistan puis à renverser le GLSA pour y (r)établir un califat qui serve de pas de tir (État à la fois modèle et bailleur de la révolution djihadiste globale) à l'instauration d'un califat pan-islamique
Pour cela, ils s'efforcent de capter l'essence ethno-nationaliste du mouvement insurrectionnel afghan pour servir les fins de l'islamisme combattant
Pakistan
Depuis 1994, tout ou partie du gouvernement pakistanais – essentiellement les forces de sécurité (armée régulière et services de renseignement – ISI) puisqu'il s'agit d'une junte militaire – entretient une relation de clientèle et de délégation avec le mouvement taliban, lequel demeure un des instruments asymétriques auquel il recourt pour suppléer l'échec de sa diplomatie dans la poursuite de ses intérêts nationaux en rapport avec l'Afghanistan
1.3. Diversité des modes de financement
Diversité
Les réseaux financiers des tribus dont la loyauté est acquise au mouvement NT, notamment la tribu commerçante des Noorzai
Les réseaux informels et traditionnels du hawala, transfert de fonds sans déplacement alternatif au système bancaire
La criminalité, notamment la contrebande
Les soutiens étrangers via les organisations caritatives islamiques et le bureau des affaires afghanes de l'ISI). Souvent financées par de riches donateurs saoudiens, les fondations (waqf) permettent la mise en place d'une véritable économie d'importation
Le détournement de la zakat, impôt religieux payé par tout musulman pour venir en aide aux défavorisés
Les butins de guerre amassés sur le champ de bataille
L'imposition de l'octroi, droit de péage dont les convoyeurs et les voyageurs doivent s'acquitter
Le narco-trafic
1.3.1. État des lieux du narco-trafic
Précautions analytiques
Ne pas découpler les activités criminelles – parmi lesquelles le narco-trafic – du contexte socio-politique dans lesquelles elles se déroulent. Sur le théâtre afghan, l'économie de l'opium est ainsi davantage la conséquence que la cause des violences politiques. Ce qui n'exclut pas le financement des secondes par la première
Si l'économie de l'opium est une des nombreuses sources d'instabilité politique en tant qu'elle alimente l'intensification des violences, elle est également une des rares sources de stabilité économique puisqu'elle nourrit la population rurale d'une société désindustrialisée. Frank Kennetick et Larry Morgan qualifie ainsi la culture du PAO de "moindre mal"
Constat
En Afghanistan, il est juste de décliner le préfixe narco-: narco-économie, narco-insurrection, narco-terrorisme voire narco-État
Depuis 2003, le narco-trafic finance largement l'insurrection. Les revenus générés par l'économie de l'opium deviennent l'une des principales sources de financement du MITNT
Historicité
La production d'opium à une échelle industrielle en Afghanistan date de la fin des années 1980, lorsque l'achèvement de la guerre par procuration livrée par les deux Grands (soviétique et américain) par forces armées interposées a signifié pour leurs délégués respectifs le terme de leur financement. Ceux-ci ont alors criminalisé leurs activités
La guerre civile des années 1992-4 a consolidé l'économie de l'opium
Après une brève interdiction (2000-1) et à l'exception d'une baisse en 2005, la culture illégale du PAO augmente à nouveau depuis 2001 – en raison de:
L'intensification post-11 septembre 2001 de la lutte contre le financement du terrorisme
Le renversement du régime taliban à l'automne 2001 (1996-2001)
L'environnement criminel post-taliban propice
Atouts de la culture illégale du PAO
Elle reste dix fois plus lucrative que celle du blé à superficie égale (5 400 contre 550 $ / hectare en 2005)
Elle n'exige pas de système d'irrigation moderne
Elle est adaptée au climat afghan et viable
L'opium présente l'avantage d'être un produit à haute valeur ajoutée, non périssable, stockable, transportable et dont l'écoulement sur le marché est garanti par une demande constante
Le retour sur investissement est rapide
C'est pourquoi 2,9 millions d'Afghans (12,6% de la population) le cultivent dans 28 des 34 provinces afghanes (velâyat) – celles du sud (Farâh, Helmand et Kandahâr) et du nord (Balkh et Badakhshân) concentrant 65% de la superficie des terres arables qui y sont consacrées. Le seul district de Sangîn dans la province de Helmand compte plus de 150 laboratoires de traitement du PAO
2006: une récolte exceptionnelle
Les conditions climatiques ont favorisé une récolte exceptionnelle en 2006. Les principaux indicateurs du commerce de l'opium, de la morphine et de l'héroïne augmentent:
Le volume de la récolte de résine d'opium (+49% à 6 100 tonnes métriques)
La superficie des terres arables consacrée à la culture du PAO (+59% à 165 000 hectares)
Les revenus générés par la narco-économie (+11% à trois milliards de dollars)
Avec l'aide étrangère, l'économie de l'opium constitue la principale source de revenus afghane et représente plus de 50% du PIB (2,8 milliards de dollars). À titre de comparaison, l'économie de la drogue représente 4% du PIB en Colombie
Les saisies record de septembre-octobre 2006 (289 et 200 kg d'opium et d'héroïne au Kazakhstan et au Tadjikistan) illustrent déjà les répercussions régionales potentielles de la récolte 2006
L'intensification des violences politiques dans les provinces du sud devrait favoriser une récolte 2007 toute aussi exceptionnelle
L'augmentation du narco-trafic a vocation à durer car plusieurs évolutions complexifient le processus d'éradication de la culture du PAO
Efforts de lutte contre-narcotique
Certes, l'État central lutte contre le narco-trafic:
Le président Karzai a déclaré "un djihad contre le narco-trafic"
Le ministère afghan du contre-narcotique reçoit l'aide des États-Unis (programmes du département de la Défense, du département d'État et de la Drug Enforcement Agency; nomination de l'ancien représentant des États-Unis en Colombie – William Wood – au poste d'ambassadeur américain en Afghanistan) et de la Grande-Bretagne (en tant que nation-cadre de la FIAS pour la lutte contre le trafic de drogue)
La Force d'éradication afghane (créée par la Counter Narcotics Law de décembre 2005, elle compte 1 500 membres des forces de sécurité commandés par Kamam Sadaat) essaie depuis janvier 2006 d'interdire la culture du pavot
L'Operation Plan 10302 daté de juillet 2006 prévoit que la FIAS contribue à l'effort contre-narcotique en procurant renseignement, soutien logistique et entraînement à la police contre-narcotique afghane
L'accord de coopération bilatérale signé en juillet 2006 entre Kaboul et Bogota prévoit un transfert d'expertises dans les domaines de l'interdiction de la culture (techniques de fumigation aérienne d'herbicides), du contrôle des aéroports (juguler le transit par courriers humains, ou mules, via l'aéroport international de Kaboul) et de la collecte du renseignement
Le Comité de régulation de la drogue créé en août 2006 délivre les licences autorisant la production et le commerce d'opium à usage médical (morphine et codéine)
Obstacles à l'éradication de la culture du PAO (I)
Mobilisant une même main-d'œuvre paysanne, les activités du narco-trafic et de l'insurrection s'interpénètrent, brouillant ainsi les différences entre COIN et contre-narcotique
Pour échapper à la concentration des forces militaires sur le terrain, la géographie du narco-trafic évolue, les routes de la drogue passant plus souvent par les provinces du sud aux dépens du sud-est (Zâbol, Paktîkâ et Ghaznî) tandis que les points de sortie se déplacent des frontières avec le Pakistan (20% soit -17% par rapport à 2004) et les républiques d'Asie centrale (19% soit -5%) vers celle avec l'Iran (61% soit +19%; 1 600 km de frontière commune). En 2005, la police iranienne a intercepté 350 tonnes d'opium le long des 1 845 km de frontières communes avec ses voisins afghan et pakistanais. Le directeur de l'ONUDC, Antonio Maria Costa, qualifie de "nouveau triangle d'or" la région du Balouchistân à cheval sur l'Afghanistan, l'Iran et le Pakistan. L'instabilité fait ensuite du théâtre d'opérations irakien l'antichambre de l'Europe occidentale
Obstacles à l'éradication de la culture du PAO (II)
Les narco-trafiquants accordent des microcrédits aux fermiers afin qu'ils financent l'extension de leurs cultures
Si leur organisation reste moins structurée que celle des cartels colombiens, les réseaux narco-trafiquants afghans se professionnalisent, consolident leurs structures, miniaturisent et rendent mobiles les laboratoires de traitement du pavot et migrent vers les périphéries inhospitalières où la souveraineté de l'État est nulle – les reliefs élevés des marges proches du Pakistan et de l'Iran où vivent des groupes ethniques transfrontaliers (baloutches et pachtounes)
La bureaucratie en général, les autorités chargées de l'exécution du programme d'éradication en particulier, sont corrompues – au minimum conniventes. Le fait que 17 des 249 membres de la chambre basse (wolesi jirga) soient réputés être des trafiquants d'opium révèle le caractère endémique de la corruption des institutions et de la société afghanes. Le ministre adjoint de l'Intérieur chargé de l'effort contre-narcotique, l'ancien seigneur de guerre et général Mohammed Daoud, serait compromis
Obstacles à l'éradication de la culture du PAO (III)
L'ISI pakistanais soutient une narco-économie afghane au maintien de laquelle il a intérêt du fait de son implication. Les cadres pro-islamistes de l'armée sont réputés posséder la plupart des laboratoires servant à la transformation de la résine d'opium sur le territoire afghan
La coopération entre les quatre organisations régionales qui luttent contre le narco-trafic et le narco-terrorisme centrasiatiques (l'OTAN, l'Union européenne, l'Organisation du Traité de Sécurité Collective et l'Organisation de Coopération de Shanghai) reste insuffisante
La coopération inter-agences américaine est insuffisante entre le DoD et la DEA, le premier continuant de résister à la militarisation des opérations de contre-narcotique du second – déni de soutien aérien, etc.
Le président Karzai rejette le 25.01.07 la mise en œuvre des techniques de fumigation aérienne d'herbicides (en l'espèce du glyphosate). S'il continue de privilégier les techniques d'éradication traditionnelles (essentiellement manuelle), il précise toutefois que les premières seront mises en œuvre dès 2008 si les secondes échouent à nouveau en 2007
Obstacles à l'éradication de la culture du PAO (IV)
La politique d'éradication échouera tant que la criminalisation de la culture du pavot n'est pas contrebalancée par la mise en place de cultures alternatives au rendement élevé (cumin, safran, vignes) permettant d'instaurer une économie de substitution. La criminalisation a du reste pour effet pervers d'augmenter les profits de la vente d'opium et, par-là, son attractivité. Pis, en aliénant une population rurale vulnérable qui la perçoit comme la cause de sa paupérisation, cette politique d'éradication déplace cultures ainsi que cultivateurs et catalyse le basculement vers l'insurrection. Son échec entretient l'anomie. Les insurgés savent au demeurant exploiter la situation puisqu'ils indemnisent les fermiers dont la culture a été éradiquée en contrepartie d'un soutien
1.3.2. Financement croissant par le narco-trafic
Taxe sur la sécurité
Si le mouvement NT, le HIG, certaines factions du Front islamique uni pour le salut de l'Afghanistan (l'Alliance du Nord) ou encore l'organisation AQ profitent du narco-trafic depuis les années 1990, voire depuis la résistance à l'occupant soviétique, le trafic de l'opium et de ses dérivés (résine d'opium, morphine, cristal, héroïne) finance largement, et de plus en plus, les activités des GI et des GT
GI et GT protègent la culture du pavot, sa modification et son transport en contrepartie d'un financement (taxe sur la sécurité, ou rétribution de la protection, dite ushur). Ils siphonnent les revenus de la vente en trois endroits de la chaîne de la narco-économie:
Après la récolte (fermiers)
Lors de la transformation (laboratoires)
Au cours du transport (convoyeurs)
Criminalisation des activités des AANE (I)
La criminalisation des activités des AANE rend difficile leur réduction:
Elle renforce leur capacité de nuisance en leur offrant la possibilité de sophistiquer l'équipement, de rémunérer les soutiens actifs – voire de débaucher les recrues les plus réticentes puisqu'un insurgé NT reçoit une solde deux à quatre fois plus élevée qu'un soldat ou un policier – et d'indemniser les soutiens passifs (couverture)
Elle diminue pour eux l'attractivité d'une solution politique négociée. Le narco-trafic prolonge l'IN dès lors qu'il lui fait remplir une fonction économique et qu'il altère la motivation politique originelle des insurgés. Ces derniers perçoivent un intérêt à la continuation des combats puisque leurs ressources matérielles proviennent des violences (maintien de la narco-économie). L'argent devient alors moins le moyen d'une fin qu'une fin en soi: après s'être investis dans une activité criminelle pour s'autofinancer, certains insurgés sont tentés de placer leur motivation politique au service d'une fin criminelle, voire de la renier
Criminalisation des activités des AANE (II)
Certes, ce faisant, ces AANE pérennisent la narco-économie. Les GI en général, le HIG en particulier, connaissent ainsi un processus de "FARCisation": sur le modèle des Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia, ils ne se contentent plus du narco-financement mais organisent le narco-trafic
Mais cette dégénérescence avantage aussi les contre-insurgés en tant qu'elle transforme une menace complexe à la sécurité en une (simple) menace à l'ordre public. La criminalisation des activités des AANE:
Diminue la sécurité opérationnelle au niveau tactique
Délégitime les buts poursuivis au niveau stratégique
Porosité criminalité organisée – violence politique
Si le narco-trafic est l'un des carburants de l'insurrection, celle-ci enraye donc en retour l'éradication de celui-là: le premier est à la fois "source" et "symptôme" de la seconde.
Criminalité organisée et violence politique ne sont pas cloisonnées mais s'inscrivent aux extrémités d'un continuum qu'est le spectre des sources de l'insécurité. Sur celui-ci, la typologie des liens noués entre organisations criminelles et GI ou GT est un dégradé qui s'échelonne de l'alliance avec un groupe complémentaire à l'investissement dans ses activités en passant par le mimétisme opérationnel
Cercle vicieux
Un cercle vicieux s'enclenche: l'échec de la politique contre-narcotique entretient l'insécurité qui provoque une détérioration de la situation sociale favorisant le soutien de la population aux insurgés
2. Acteurs du MITNT
2.1. Organisation du MITNT
Absence d'unité organisationnelle et directionnelle
Conséquence de l'absence d'unité politico-idéologique, le fonctionnement original du MITNT réside dans l'absence d'unité organisationnelle et directionnelle au niveau du mouvement et sa faible formalisation au niveau des groupes, lesquelles se répercutent sur leurs opérations et leurs tactiques
Organisation ad hoc
Les GI forment un mouvement organisé de manière ad hoc ou circonstanciée suivant un calcul instrumental itératif
Par la répétition de ce calcul de type coûts/avantages, les GI évaluent et réévaluent leur stratégie puis font et défont leurs alliances. D'où une succession d'alignements et de réalignements
Au sein de ce mouvement, chacun combat les présences gouvernementale et étrangère selon son avantage comparatif
Les organisations actives s'interpénètrent souvent en tissant entre elles cinq types de liens: le soutien, le partage de cellules, le lien d'alliance voire de protection et la mutualisation des structures de C²
L'Armée secrète des musulmans moudjahidin créée à l'été 2002 a un temps rassemblé NT et al-qaidistes dans une même structure
Organisation fluide et résiliaire
La nature évolutive du mouvement induit la mutabilité, autrement dit une structure organisationnelle fluide, souple, lâche, voire furtive
Le mouvement est une constellation atomisée, fragmentée et théâtre de la prolifération de groupes militants indépendants dont les effectifs, la compétence, le professionnalisme, la spécialisation fonctionnelle, le mode opératoire ou encore les cibles varient largement
La figure du mouvement insurrectionnel est par conséquent celle du réseau (résiliaire), un ensemble de nœuds et de moyeux entre lesquels sont tissés des liens plus (réseau centralisé) ou moins denses (réseau décentralisé ou disséminé). Ou encore celle du rhizome mais non de l'arborescence: une organisation horizontale dépourvue de structure de C3R centralisée et fonctionnellement généraliste, par opposition à une organisation verticale pourvue d'une hiérarchie et fonctionnellement spécialisée
Atouts organisationnels
Cette structure organisationnelle résiliaire et évolutive rend difficile la réduction du mouvement, i.e. assure sa longévité
La multiplication des directions, et donc des hiérarchies (polyarchie), multiple et dilue les centres de gravité (acéphalie), empêchant par-là toute action de décapitation du mouvement
La structure demeure suffisamment informelle pour échapper aux vulnérabilités d'une organisation armée (l'identification puis la décapitation de la structure de C²) et réduire le risque systémique. La basse fréquence des interactions entre groupes comme entre cellules limite d'autant l'infiltration par les forces spéciales étrangères
Organigramme fonctionnel
L'organigramme fonctionnel du MITNT différencie:
Les cadres ou commandants supérieurs
Les commandants intermédiaires
Les simples combattants
Motivés par l'idéologie talibane, les premiers comme les seconds sont souvent des Afghans originaires des camps de réfugiés du Pakistan (par exemple, le camp de Shamshatoo près de Peshâwar) ou des séminaristes radicaux
Motivés par les incitations matérielles, les troisièmes sont généralement des Afghans marginalisés sur le plan socio-économique et recrutés en Afghanistan
Géographie évolutive
La géographie de l'insurrection évolue. Si son épicentre se trouve toujours dans l'arc insurrectionnel que forme la ceinture tribale pachtoune des provinces du sud et du sud-ouest – notamment le quadrilatère reliant les capitales provinciales de Kandahâr (province éponyme), Lashkar Gâh (province de Helmand), Farâh (province éponyme) et Târin Kowt (province d'Oruzgân) –, le MITNT se développe désormais dans les zones australes des provinces centrales de Ghowr et Day Kundi
Armements
Les systèmes d'armes dont le MITNT dispose avaient été stockés dès la chute du régime taliban dans des caches disséminées à travers le pays
2.2. Néo-Talibans
Origines (I)
Le singulier talib et le pluriel taliban signifient religieux itinérant(s)
Le terme Talibans renvoie aux religieux qui ont suivi l'enseignement wahhabite (courant déobandi) du mollah Mohammed Omar Mujahid (1959-) à partir de 1992 (à la différence du mufti, le mollah n'est pas autorisé à promulguer de fatwa / édit religieux)
Habituellement coiffés d'un turban noir, les Talibans observent une interprétation puritaine de l'islam qui plonge ses racines dans le salafisme, interprétation littérale du Coran et de la Sunna renvoyant à la piété des salafi ("prédécesseurs": les trois premières générations de l'islam au 7ème siècle de l'ère chrétienne) et excluant les ajouts postérieurs à la révélation du Coran
Leur pratique religieuse reste cependant souple en conciliant prescriptions déobandi, riwaj (coutumes tribales) et application du Pashtunwali, code de conduite tribal pachtoune préislamique régulant les interactions sociales entre membres d'un groupe de parenté (khel)
Origines (II)
À 80% de confession sunnite, la population afghane appartient majoritairement à l'école hanafite, la plus libérale des quatre que compte le sunnisme. Rejetant tout puritanisme, cette école insiste sur la nature personnelle de la relation avec dieu et elle privilégie l'ijtihad – l'adaptation de l'interprétation de la charia aux évolutions de l'environnement sociétal
Origines (III)
Le Mouvement islamique taliban d'Afghanistan est créé en septembre 1994 par le mollah Mohammed Omar Mujahid à la demande du ministre pakistanais de l'Intérieur – le major-général Naserullah Babar – pour sécuriser le convoyage du coton d'Asif Zirdari (mari du premier ministre d'alors, Benazir Bhutto, laquelle exerce de 1993 à 1996 sa seconde charge primo-ministérielle) du Turkménistan jusqu'au Pakistan en passant par les provinces afghanes de Herât, Farâh, Helmand et Kandahâr
Le Corps des frontières du ministère pakistanais de l'Intérieur est chargé d'entraîner l'armée des Talibans
Le directeur du Special Service Group – unité assurant la liaison entre l'ISI et les organisations islamistes radicales de la région qui comprend un bureau des affaires afghanes –, Hamid Gul (1989-93), est alors chargé de planifier l'aide aux Talibans et de mener une politique de talibanisation idéologique de l'identité ethnique pachtoune
Origines (IV)
Les Talibans s'emparent de Kaboul – i.e. du pouvoir – le 26.09.96. Ils établissent l'"Emirat islamique d'Afghanistan" en octobre 97
Après la chute du régime taliban (7.12.01), l'armée des religieux itinérants se désagrège tandis que l'Autorité Intérimaire Afghane (22.12.01 – créée par l'Accord de Bonn du 5.12.01 et présidée par Hamid Karzai) puis le Gouvernement Transitoire Islamique Afghan (19-22.06.02 – prévu par l'Accord de Bonn) entrent en fonction
S'il rétrograde les Talibans d'un gouvernement à un mouvement (d'une formation politico-militaire islamiste exerçant le pouvoir étatique à un groupe armé tenté de l'influencer), le renversement du régime ne disloque pas pour autant la structure politico-militaire talibane car le bureau des affaires afghanes de l'ISI assure l'exfiltration des cadres du mouvement vers les zones tribales du Pakistan
Origines (V)
En octobre 2002, les formations islamistes pro-talibanes anti-américaines du MMA réalisent une performance aux élections générales pakistanaises
La coalition disparate du MMA compte six partis religieux unis par l'islam radical:
Elle comprend notamment le Parti de l'islam (Jamaat-e-Islami, branche pakistanaise des Frères Musulmans, donc sunnite, et plus important parti religieux), le JUI (déobandi), le Jamiat Ehia-e-Hadith wahhabite et l'Islami Tehreek Pakistan chiite
Elle dispose de 63 sièges à l'Assemblée nationale (3ème représentation parlementaire) et gouverne la PFNO
Le JUI présidé par Maulana Fazlur Rehman (également secrétaire général du MMA), lequel contrôle les provinces pakistanaises de la PFNO et du Balouchistân, est pro-djihadiste, anti-chiite et expressément favorable aux Talibans
Origines (VI)
À la suite du scrutin de 2002 et alors qu'il perçoit une fenêtre d'opportunité dans l'ouverture d'un second front irakien – dont il pressent qu'il sur-étendra les forces américaines –, l'ISI exige que l'armée talibane soit regroupée, réarmée et de nouveau opérationnelle
Dès juin 2003, les NT (dorénavant) se dotent d'un conseil de direction (choura rahbari) présidé par le mollah Omar. Ils conservent le service de renseignement hérité des années 90 (al-Hisba)
"néo-Talibans"
Le préfixe "néo-" renvoie généralement au mouvement taliban post-2001, plus précisément au mouvement tel que réorganisé après la revitalisation d'un conseil de direction en juin 03
Bassin de recrutement (I)
Quoique plus professionnels et moins religieux que leurs prédécesseurs, les NT se recrutent toujours majoritairement au sein du groupe ethnique des Pachtounes, qu'ils soient de nationalité afghane (les Pachtounes sont 12,5 millions et représentent 42% de la population afghane) ou pakistanaise (28 millions soit 15% de la population pakistanaise)
Les NT sont un produit de la culture tribale rurale pachtoune
Côté afghan, l'ethnie pachtoune compte quatre groupes tribaux (Sarbans, Batans, Ghurghusht et Karlans) et une centaine de tribus locales
Côté pakistanais, l'ethnie pachtoune compte une soixantaine de tribus locales et plus de quatre cents clans
Bassin de recrutement (II)
Les Pachtounes afghans proviennent en général de la diaspora afghane réfugiée dans les provinces pakistanaises de la PFNO et du Balouchistân ou sur le territoire des ZTFA
Le terme mouhajirin désigne les 3,7 millions d'Afghans réfugiés chez les voisins: 2,5 millions au Pakistan (dont 450 000 dans les environs de Quetta) et 1,2 million en Iran
Si la majorité des Talibans est pachtoune, l'inverse n'est pas vrai. Il n'existe pas de lien identitaire entre appartenance ethnique et solidarité idéologique. À l'encontre de certaines perceptions de la communauté internationale, les Pachtounes ne sont pas majoritairement talibans
Les ZTFA comptent sept collectivités territoriales (Bajaur, Mohmand, Khyber, Orakzai, Kurram et les Waziristân nord et sud) et 3,5 millions d'habitants sur une superficie de 27 220 km². Elles sont encore régies par la loi sur la régulation des crimes frontaliers promulguée en 1901 par le vice-roi de l'Inde, Lord Curzon
Zones d'opérations
Le mouvement NT représente environ 1/5e du MITNT
Il est ouvertement actif dans les provinces afghanes du sud et de l'est:
Sud: Nîmrôz, Helmand, Kandahâr, Zâbol et Oruzgân
Est: Kapîsa, Nûrestân, Konar, Lâghman, Nangarhâr, Lowgar et Paktîa
Deux tendances
Le mouvement NT comprend deux tendances:
Les modérés
Les radicaux
Bien que chacune soit un outil stratégique asymétrique de la politique régionale du bureau afghan de l'ISI depuis 1994 et ait eu pour but originel de réaliser l'unité nationale afghane via la "révolution islamique" (l'établissement d'un califat), ces tendances poursuivent des buts politico-idéologiques différents
NT modérés (I)
Les NT modérés cherchent à renforcer la capacité d'influence politique de leur groupe ethnique pachtoune dans un système politique marqué par le tribalisme
Enchâssés dans la structure sociale tribale afghane, leur centre de C3R se trouve dans la ville de Kandahâr – du reste première possession territoriale des Talibans en 1994 – et le district mitoyen de Panjwai
Ils bénéficient d'un important réseau civil qui leur offre un soutien actif (combattants) et passif (environnement permissif offrant une couverture et favorisant le réapprovisionnement)
NT modérés (II)
Si les NT modérés recourent au mode opératoire du terrorisme, ils discriminent cependant les civils des forces de sécurité et des combattants, les Musulmans des non-Musulmans
Seuls certains groupes spécifiques constituent des cibles civiles:
Professeurs
Criminels
Groupes ethniques non-pachtounes – Tadjiks (27% de la population afghane), Ouzbeks (9%), Hazâras (9%, souvent persécutés en tant que chiites d'ascendance mongole), Aïmags (4%), Turkmènes/Kirghizes (3%) et Baloutches (2%)
Minorité hazâra
Certes, la minorité chiite d'ascendance mongole représentant 9% de la population se perçoit traditionnellement menacée de sous-représentation politique et administrative (discrimination institutionnelle, notamment dans l'armée), marginalisation socioéconomique et oppression identitaire (assimilation à une cinquième colonne coreligionnaire iranienne)
Mais sa situation s'améliore depuis le renversement du régime taliban et l'adoption de la nouvelle Constitution:
Elle jouit de l'égalité de statut
Le chiisme est reconnu religion d'État
Elle est sur-représentée au sein de la wolesi jirga (43/249 sièges soit 18%) et du cabinet Karzai
Elle a le taux d'analphabétisme communautaire le plus bas
Le commerce bilatéral afghano-iranien développe Herât
NT radicaux (I)
Noyau dur des loyalistes du régime taliban, les NT radicaux cherchent à saper la transition politique pour se réapproprier le pouvoir politique et restaurer l'ancien régime taliban. Ils poursuivent donc l'objectif de renverser le GLSA du président Karzai
Leur C3R se trouve dans la capitale de la province pakistanaise du Balouchistân, Quetta
Afin de se regrouper, de se réorganiser, de recruter et de réarmer, ils disposent de bases-arrières (markaz pour "camp de base") ainsi que de centres de recrutement (les madrassas) au Pakistan, dans la province du Balouchistân et le territoire des ZTFA, notamment le Waziristân du sud
Leurs infrastructures critiques se trouvent dans les centres urbains surpeuplés de Chaman, Quetta, Khost, Zhob, Wana et Peshâwar
NT radicaux (II)
En septembre 2006, les NT radicaux établissent un "Émirat islamique du Waziristân", organisation parapluie regroupant les organisations militantes de la zone dont elle a vocation à agréger les activités transfrontalières
Les NT radicaux recourent au mode opératoire du terrorisme de manière indiscriminée
Chaîne de commandement (I)
Le mouvement NT présente une chaîne de commandement politico-militaire centralisée
Commandement nord dans les provinces de Nangarhâr et Lâghman
Commandement sud dans les provinces de Zâbol, Kandahâr, Helmand et Oruzgân
Le commandement sud aurait déjà établi les infrastructures d'une administration civile parallèle préfigurant la mise en place d'un contre-gouvernement, assurant par exemple le fonctionnement d'écoles coraniques pour garçons
Le mouvement taliban s'articule autour du conseil, organe décisionnel décliné à chaque échelon de la chaîne de commandement politico-militaire, du théâtre d'opérations jusqu'aux districts en passant par les provinces
Chaîne de commandement (II)
Depuis juin 2003, le mouvement NT est commandé au plan politique par un conseil de direction (rahbari choura) présidé par l'Amir-ul-Mumineen ("commandeur des croyants"), le mollah Mohammed Omar Mujahid, lequel se trouverait à Quetta. Le département d'État américain offre une récompense de 10 millions de dollars à quiconque aidera à l'arrestation ou à l'élimination du mollah Omar
Ce Conseil de direction comprend huit autres membres:
Maulana Jalaluddin Haqqani
Saifullah Rahman Mansoor
Le mollah Akhond Dadullah
Le mollah Aktar Mohammed Osmani
Hafiz Abdul Majeed (ancien chef de la sécurité de Kandahâr)
Le mollah Mohammed Rasu (ancien gouverneur de la province de Nîmrôz)
Le mollah Barodar
Le mollah Abdur Razzaq Akhundzada (ancien commandant du Corps des Talibans)
Le mouvement NT est commandé au plan militaire par un conseil qui se trouverait à Peshâwar
Commandement militaire: Maulana Jalaluddin Haqqani (I)
Depuis sa promotion en avril 2006 par le mollah Omar, le mouvement NT est commandé au plan militaire par un conseil consultatif militaire (majis choura al-askari) présidé par Maulana Jalaluddin Haqqani. Outre le commandement militaire, Haqqani assure le commandement général adjoint du mouvement NT. Il conserve la fonction de commandant général sur le théâtre afghan
Basé dans la province pakistanaise du Waziristân du nord, Haqqani commande son réseau par le truchement de ses fils dispersés dans les provinces afghanes de Paktîkâ, Paktîa et Khowst. Ancien membre du Parti islamique de Maluvi Mohammed Yunus Khalis, ancien ministre des Affaires tribales du gouvernement taliban et désormais l'un des commandants du mouvement taliban, Siraj Haqqani assure par exemple la liaison transfrontalière entre les bases afghanes et pakistanaises du mouvement NT et d'AQ
Haqqani cherche à saper la transition politique afin de préserver le contrôle du pouvoir politique dans les provinces de Paktîkâ, Paktîa et Khowst
Il reçoit pour cela le soutien de la coalition pakistanaise du MMA
Commandement militaire: Maulana Jalaluddin Haqqani (II)
Au cours de la résistance contre l'occupant soviétique, Maulana Jalaluddin Haqqani a noué des liens opérationnels avec l'ISI et il a développé une affinité idéologique avec Oussama Ben Laden – dont il a d'ailleurs dirigé certains camps d'entraînement paramilitaire
En tant que premier seigneur de guerre commandant de la résistance afghane à s'être rendu sans condition aux Talibans en 1995 puis en tant que vice-président du conseil consultatif militaire lors de la prise de Kaboul en 96, il a été l'unique ministre non-Taliban du gouvernement – de 1996 à 2001
Quoiqu'il ait facilité l'exfiltration de Ben Laden vers le Pakistan après la chute du régime, Haqqani reste perçu par l'administration américaine comme un modéré pragmatique. Cette dernière s'efforce donc via l'ISI de l'intégrer au processus politique afghan en lui promettant amnisties et emplois (la charge de premier ministre). En vain
Le commandant Haqqani aurait restructuré et centralisé la chaîne de commandement politico-militaire du mouvement NT. Il passe pour le planificateur de l'offensive talibane de 2006 et l'introducteur du terrorisme suicidaire sur le théâtre afghan
Commandement général adjoint sur le théâtre pakistanais: Mohammed Nazeer
Après l'élimination de Nek Mohammed (1977-2004) le 17.06.04 (un missile Hellfire tiré d'un drone américain), le commandement général adjoint du mouvement NT sur le théâtre pakistanais a été exercé successivement par Haji Omar puis par le mollah Mohammed Nazeer
Nek Mohammed avait participé dès l'âge de 14 ans à la résistance afghane de 1979-88 avant d'assurer la coordination des mouvements taliban et al-qaidiste dans le sanctuaire afghano-pakistanais. Également vétéran de la résistance afghane, Haji Omar était basé à Kandahâr.
Le mollah Nazeer exerce désormais ce commandement en portant le titre d'Amir-ul-Mujahidin ("commandeur des moudjahidin")
Commandements militaires pour l'Afghanistan
Le mollah Akhond Dadullah, le mollah Akhtar Mohammed Osmani et Saifullah Rahman Mansoor exercent pour l'Afghanistan les fonctions des échelons immédiatement inférieurs de la chaîne de commandement
Seigneur de guerre, ancien moudjahidin de la résistance contre-soviétique, le mollah Akhond Dadullah a été nommé commandant militaire en chef de l'armée des Talibans en 1994 puis a été restauré dans ses fonctions en 2003. Il commande le MITNT dans les provinces afghanes du sud
Ancien chef de l'armée des Talibans, le mollah Osmani assurait le commandement militaire et le financement du mouvement NT dans le sud de l'Afghanistan jusqu'à son élimination par les troupes du CFC-A le 19.12.06
Saifullah Mansoor est le fils du guérillero Nasrullah Mansoor qui s'est illustré contre les Soviétiques pendant la décennie 80
Commandements pour les Waziristâns
Depuis qu'ils ont prêté allégeance à Maulana Jalaluddin Haqqani, les Pakistanais Saddique Noor et Baitullah Mehsud commandent respectivement le mouvement NT dans le Waziristân du nord et le Waziristân du sud
Effectifs
Talibans modérés et radicaux totaliseraient selon le mollah Akhond Dadullah 12 000 combattants, y compris les paysans combattant à temps partiel
Les États-Unis estiment que le mouvement taliban compte 4 000 combattants
D'aucuns chiffrent son potentiel de mobilisation à 40 000 militants pour les seules zones tribales des Waziristân nord (27 000) et sud (13 000)
Ces combattants se régénèreraient rapidement et compteraient 1 200 candidats pour des opérations suicides (sarbaz), dont 250 Afghans
Entraînement
Les combattants s'entraîneraient d'Irak jusqu'en Somalie dans le cadre d'échanges entre théâtres du djihad
Ils auraient la capacité de tenir le siège de – voire lancer une offensive contre – Kaboul dès le printemps 2007
Liens
Le mouvement taliban est allié avec AQ et partage quelques cellules avec le groupe djihadiste d'origine afghane de l'Armée des Musulmans
Dans un enregistrement audio produit par la branche multimédia d'AQ (As-Sahab) et diffusé le 12.02.07 sur l'Internet, le commandant adjoint Ayman al-Zawahiri réaffirme que la direction de son organisation a prêté allégeance au mollah (pachtoune et non pas arabe) Mohammed Omar Mujahid, "commandeur des croyants" et du MITNT – ou mouvement djihadiste pachtoune
Nature évolutive
La nature du mouvement taliban évolue
Dans une entrevue accordée à la chaîne de télévision britannique BBC le 23.10.06, un commandant taliban, le mollah Mohammed Amin, avertit les contributeurs européens de la FIAS que l'armée des NT prévoit de cibler leurs populations civiles sur leurs propres territoires. Il justifie la planification de telles attaques en invoquant le principe de la représentation démocratique suivant lequel les gouvernés des pays contributeurs sont réputés vouloir les décisions de leurs gouvernants – en l'espèce contribuer à la mission de l'OTAN en Afghanistan
L'exécution de ces plans marquerait un changement d'échelle du couple capacité-volonté de nuisance chez les NT. Le passage d'une stratégie directe défensive contre l'ennemi proche à une stratégie indirecte offensive contre l'ennemi lointain révèlerait un processus de dénationalisation-transnationalisation du mouvement taliban dorénavant mâtiné d'identité pan-islamiste
2.3. Seigneurs de guerre locaux
Généralités
Les seigneurs de guerre locaux cherchent à saper la transition politique afin de préserver leur parcelle de pouvoir politique et préserver le libre exercice de leurs activités criminelles – narco-économie (culture, narco-trafic, contrôle des routes de la drogue), trafic et contrefaçon d'armes, trafic humain, prélèvements fiscaux illégaux, extorsions et fraudes diverses
Aucune des 34 provinces afghanes n'est épargnée par le phénomène des armées privées
Le PNUD, lequel dirige le programme DIAG, estime que 2 000 groupes armés illégaux comptent au total 180 000 à 200 000 miliciens
Liens avec le mouvement NT
Certaines milices sont alliées de circonstance des NT au sein du MITNT
Ainsi celles de Maulana Jalaluddin Haqqani, du mollah Akhond Dadullah ou encore de Mutaqi, lesquelles sont ouvertement actives dans les provinces de l'est (Kapîsa, Nûrestân, Konar, Lâghman, Nangarhâr, Lowgar et Paktîa) et disposent de bases-arrières dans plusieurs des sept ZTFA du Pakistan, notamment les Waziristâns du nord et du sud
Le processus d'intégration ne dépasse pas la coopération
Après avoir victorieusement livré bataille, la milice d'Haqqani poursuit généralement son déplacement le long de la ligne de front au gré des combats, laissant ainsi aux NT la responsabilité de (r)établir un système administratif en territoire (re)conquis
Acteurs pivots
Dans un environnement aux allégeances mouvantes et fluides, les seigneurs de guerre sont les acteurs pivots qui font et défont les alliances locales – une variable d'ajustement:
En 1994, alors commandant du Mouvement islamique national, le général Abdul Rashid Dostum retire son allégeance au président Burhanuddin Rabbani et la prête à son premier ministre Gulbuddin Hekmatyar (la tentative de putsch de Dostum et Hekmatyar échoue)
En 1995, alors seigneur de guerre commandant de la résistance afghane, Haqqani se rend sans condition aux Talibans et précipite leur victoire
En 2001, les défections de plusieurs seigneurs de guerre (notamment Bashir Khan Baghlani) permettent à l'Alliance du Nord (opposition politique soutenue par les États-Unis, l'Inde, l'Iran et la Russie) de renverser le gouvernement taliban (soutenu par le Pakistan)
Coopération négative
Au fil de l'histoire afghane, seule la perception d'un péril extérieur commun a provisoirement suspendu les luttes armées internes en renforçant l'interaction entre éléments traditionnellement antagonistes de la société, notamment les seigneurs de guerre. Ainsi de l'occupation soviétique
La coopération reste toutefois négative, scellée dans l'opposition à plutôt que dans la lutte pour:
Avant 2001, l'Alliance du Nord est par exemple une coalition disparate d'éléments tadjik (Jamiat-i Islami), ouzbek (Junbish-i Milli-yi Islami) et hazâra (Hizb-e Wahdat) qui coopèrent pour s'opposer au régime taliban
Mais depuis 2001, des officiers de liaison assurent un contact entre l'Alliance du Nord et le mouvement NT pour coordonner de manière ad hoc la résistance à l'occupant occidental
Reconversion post-talibane (I)
Les seigneurs de guerre ont réussi leur reconversion post-talibane – généralement une fonctionnarisation – en capitalisant sur deux opportunités:
La tentation pour la communauté internationale de se compromettre dans la recherche d'une stabilité immédiate mais provisoire
La volonté des États-Unis de traquer prioritairement les cadres d'al-Qaida, éventuellement ceux de l'armée talibane en déroute
Reconversion post-talibane (II)
C'est ainsi que les 249 membres de la chambre basse (wolesi jirga) comptent en leur sein 17 trafiquants d'opium, 19 criminels de guerre présumés, 24 chefs de gangs criminels et 40 commandants de milices
Sans compter les ministres, les parlementaires et les gouverneurs provinciaux, le PNUD chiffre à 500 le nombre des fonctionnaires de l'administration Karzai directement liés à des groupes armés illégaux
Le taux de collusion atteint:
60% à l'échelon des décideurs nationaux
80% à celui des responsables provinciaux
Reconversion post-talibane (III)
Le président de la wolesi jirga Younus Qanooni, les parlementaires Mohammed Qasim Fahim, Abdul Rashid Dastum, Abdul Rabb Rasul Sayyaf et Burhanuddin Rabbani, le ministre de l'Energie Ismail Khan, le chef d'État-major de l'armée Abdul Rashid Dostum et le vice-président Karim Khalili font partie de ces seigneurs de guerre qui sont parvenus à conserver leurs fiefs et à préserver leur parcelle de pouvoir politique au sein des rouages de l'autorité centrale
Reconversion post-talibane (IV)
La wolesi jirga puis la mesharano jirga adoptent respectivement les 31.01.07 puis 20.02.07 une résolution non liante en 12 points (Charte pour la paix, la réconciliation et la justice) exhortant le gouvernement à accorder l'immunité légale et judiciaire aux "partis politiques et groupes belligérants qui se sont combattus pendant les deux dernières décennies et demi [de guerre civile; 1979-2001]". Par cette auto-amnistie, le parlement légalise la reconversion post-talibane des "ex-" (communistes, seigneurs de guerre et Talibans repentis)
Plan pour la paix, la réconciliation et la justice
Plan triennal lancé par le président Hamid Karzai en décembre 2006
Piliers:
Reconnaître les souffrances du peuple afghan
Renforcer les institutions de l'État
Instruire les deux décennies et demi de guerre civile
Promouvoir la réconciliation
Établir un mécanisme adapté pour mettre en jeu la responsabilité des violateurs des droits de l'homme
2.4. Parti islamique de Gulbuddin Hekmatyar
Origines (I)
Commandant pachtoune islamiste, Gulbuddin Hekmatyar (1947-) a dirigé la branche afghane du mouvement des Frères Musulmans au début des années 70 avant de fonder le HIG en 1975
Il créé le HIG en 1975 afin de s'opposer au gouvernement Daoud parallèlement à la conduite de l'insurrection du Panjshir
De 1979 à 1988, il reçoit une aide financière du bureau afghan de l'ISI et des États-Unis pour organiser la résistance à l'occupant soviétique. Le HIG est alors l'organisation la plus radicale et disciplinée des sept partis formant l'alliance anti-soviétique
Il est nommé premier ministre sous le régime islamique du président Burhanuddin Rabbani (de mars 1993 à janvier 1994 puis de juin à septembre 1996), période pendant laquelle il gère parallèlement plusieurs camps d'entraînement paramilitaire en territoire pakistanais et rencontre Oussama Ben Laden (par l'intermédiaire du "cheikh aveugle", l'Egyptien Omar Abdul Rahman)
Encore premier ministre en 1996, il offre l'asile à Oussama Ben Laden alors expulsé du Soudan
Origines (II)
À partir de 1994, Hekmatyar est délaissé par l'ISI au profit des Talibans
Parce que son Parti islamique opte ensuite pour l'opposition au régime taliban, se différenciant par-là de celui de Maluvi Mohammed Yunus Khalis, Hekmatyar doit s'exiler en Iran
Le 23.09.01, il annonce d'exil qu'il ralliera le camp taliban et résistera à l'occupation étrangère en cas d'intervention militaire américaine en Afghanistan
Il aide les numéros un et deux d'al-Qaida – Oussama Ben Laden et Ayman al-Zawahiri – à s'exfiltrer de la région de Tora Bora à l'automne 2001
Expulsé d'Iran sous la pression des États-Unis en février 2002, Hekmatyar échappe à une tentative d'assassinat de la CIA le 9.05.02
Il déclare un djihad contre les forces étrangères en décembre 2002
Processus de fragmentation
Le HIG connaît un processus de fragmentation depuis sa création.
Dès 1979, la radicalisation de la faction d'Hekmatyar aboutit à la scission de Maluvi Mohammed Yunus Khalis – lequel déclarera le djihad défensif contre les États-Unis en 2003 puis décédera en juillet 2006
Fin 2001, le refus d'Hekmatyar de soutenir l'Autorité Intérimaire Afghane aboutit à la scission de Khalid Farooqi, lequel soutient le président Karzai et rejette la lutte armée contre les troupes étrangères
Le HIG est proche de l'Organisation islamique du Pakistan, de l'Organisation islamique du Cachemire et du Parti de la renaissance islamique du Tadjikistan. Grâce aux revenus du narco-trafic, il est réputé financer le Mouvement islamique d'Ouzbékistan.
Buts
Le HIG cherche à libérer l'Afghanistan de l'influence étrangère puis à renverser le GLSA afin d'y créer un califat, c'est-à-dire un État islamique régi par la charia
Mâtinant son messianisme de pragmatisme, Hekmatyar vise aussi à saper la transition politique afin de (re)capter une parcelle du pouvoir politique tout en préservant le libre exercice de ses activités criminelles – essentiellement les activités de la narco-économie
Effectifs et zones d'opérations
Comptant environ 500 combattants, majoritairement des Pachtounes (minoritairement des Punjabis) d'origine pakistanaise (ceux d'origine afghane proviennent des provinces du nord et du nord-est), le HIG:
A pour épicentre la province de Konar
Est ouvertement actif dans les provinces de l'est: Kapîsa, Nûrestân, Konar, Lâghman, Nangarhâr, Lowgar et Paktîa
Dispose de bases-arrières au Pakistan, sur le territoire des ZTFA (notamment la collectivité de Bajaur) et dans la PFNO (notamment la collectivité de Dir)
Liens avec AQ
Le HIG est un allié de circonstance d'al-Qaida
Le serment d'allégeance prêté par Hekmatyar à Ben Laden le 4 mai 2006, puis le message d'Ayman al-Zawahiri daté du 22 juin 2006 (le commandant adjoint de l'organisation AQ exhorte les Musulmans afghans à bouter les "forces d'occupation" hors d'Afghanistan), ont signifié l'élévation formelle d'une coopération circonstanciée du niveau tactique à stratégique
La formalisation d'une telle coopération n'est pas novatrice. AQ avait déjà établi à la fin des années 90 une unité de guérilla de 1 500 volontaires arabes chargée d'appuyer les Talibans dans leur lutte contre les 25 000 combattants de l'Alliance du Nord commandée par Ahmed Shah Massoud – le "lion du Panjshir", ancien ministre de la Défense du président Rabbani. Cette Brigade 055 est d'ailleurs présumée responsable de l'assassinat du commandant militaire tadjik le 9.09.01, un double attentat suicide perpétré par deux volontaires belges d'origine tunisienne et présenté comme un cadeau de Ben Laden au régime hôte
Liens avec le mouvement NT
Nonobstant l'offre d'Hekmatyar de densifier les partenariats noués puis de formaliser leur coopération, il n'existe qu'une coordination entre le HIG et le mouvement NT depuis 2001 au sein du MITNT
Liens divers
Le HIG est proche de/du:
L'Organisation islamique du Pakistan
L'Organisation islamique du Cachemire
Parti de la renaissance islamique du Tadjikistan
Grâce aux revenus du narco-trafic, il est réputé financer le MIO
2.5. Groupes djihadistes
2.5.1. Transnationaux
Généralités
Les groupes djihadistes transnationaux réinvestissent un théâtre qui devient l'aimant du djihadisme global après en avoir été le sanctuaire
Ces groupes djihadistes incarnent le versant transnational des interférences étrangères
Outre l'internationalisation du MITNT, ces groupes radicaux sont les vecteurs du processus d'irakisation de l'insurrection afghane – le transfert d'expériences opéré entre les théâtres irakien et afghan en matière de stratégies, tactiques, techniques et procédures
Historicité
Cette pénétration d'irréguliers étrangers s'inscrit dans la continuité du phénomène des volontaires arabes ou légionnaires arabes (plus justement musulmans) qui, des guerres israélo-arabes à l'Irak en passant par la Yougoslavie et la Tchétchénie, ont fait le déplacement sur les théâtres d'opérations pour livrer le djihad défensif, i.e. résister par devoir religieux à ce qu'ils perçoivent comme une invasion
Revêtant un caractère quasi-mythique, ce phénomène des volontaires musulmans imprègne largement la mémoire collective et la mythologie djihadistes
Buts
Les groupes djihadistes transnationaux cherchent à expulser les troupes étrangères hors d'Afghanistan puis à renverser le GLSA pour y (r)établir un califat qui serve de pas de tir (État à la fois modèle et bailleur de la révolution djihadiste globale) à l'instauration d'un califat pan-islamique
Pour cela, ils s'efforcent de capter l'essence ethno-nationaliste du MITNT pour servir les fins de l'islamisme combattant
Composition
Volontaires arabes, tchétchènes, iraniens, ouzbeks, pakistanais (surtout la diaspora pakistanaise immigrée en Occident) ou encore chinois ouïgours
Quoique composés de volontaires étrangers, les groupes djihadistes transnationaux ne souffrent pas pour autant d'un défaut d'afghanité – lequel aurait pu ancrer la perception chez les nationalistes afghans que les leviers de l'insurrection étaient actionnés par l'étranger – car leurs membres sont généralement mariés au sein de la population locale.
Le numéro deux d'al-Qaida, Ayman al-Zawahiri, est réputé marié à une femme originaire de la tribu éponyme de la collectivité Mohmand (ZTFA)
Zones d'opérations
Les groupes djihadistes transnationaux sont clandestinement actifs le long de la frontière afghano-pakistanaise
Ils disposent de bases-arrières dans les madrassas des provinces pakistanaises:
Du Balouchistân – Quetta
Des ZTFA – les Waziristâns
De la PFNO – des trois collectivités, surtout le Chitrâl
Ils administrent plusieurs camps d'entraînement paramilitaire dans:
Le Waziristân du nord – zones de Shawar, Darey Nishtar et Mangaroti
Le Waziristân du sud – zones de Wana, Azam Warsak, Kalosha, Zareen Noor, Baghar, Dhog et Angor Ada
Les ZTFA – notamment les collectivités australes de Mohmand et Bajaur
Plus de 2 000 combattants étrangers se trouveraient dans les ZTFA
Opérations
Les groupes djihadistes transnationaux sont responsables de la plupart des attentats suicides
Les candidats à l'opération suicide proviennent majoritairement de la province pakistanaise du Punjab (environ 50%) puis des pays arabes (40%) et de l'Afghanistan (10%)
Liens avec le MITNT
Les liens noués par le mouvement djihadiste global avec le MITNT sont d'ordre tactique (modus operandi) car l'essence du MITNT est l'ethno-nationalisme afghan
L'influence des groupes djihadistes reste donc marginale
Attractivité du théâtre afghan
Le théâtre afghan drainerait depuis 2005 davantage de combattants que la destination irakienne pour trois raisons:
Il offre une large gamme de nationalités comme cibles. Du CFC-A à la FIAS en passant par les autochtones, une cinquantaine de nationalités sont présentes sur le théâtre afghan
La lutte qui s'y déroule n'est pas compliquée de frictions entre communautés ethno-confessionnelles
Le recrutement des combattants y est moins sélectif, une expérience paramilitaire n'étant pas pré-requise
AQ: origines
Créée par Oussama Ben Laden (1957-) en 1988 afin de rationnaliser le recrutement, le financement et l'organisation de la résistance des moudjahidin arabes-afghans contre l'occupant soviétique, l'organisation al-Qaida cherche à capter les causes socio-politiques locales et les objectifs stratégiques locaux puis à s'ériger en avant-garde d'un mouvement djihadiste global pour établir un califat pan-islamique
AQ: effectifs et composition
Ses 1 000 à 2 000 combattants sont majoritairement des vétérans arabes de la première génération, celle qui a livré le djihad contre l'occupant soviétique (le mentor de Ben Laden, le docteur palestinien Abdullah Azzam, avait commandé le djihad afghan)
AQ: organisation
Ayman al-Zawahiri assure le commandement opérationnel de l'organisation sur ses différents théâtres d'engagement
Khalid Habib commande l'organisation dans le secteur sud-ouest de l'Afghanistan
Abd Al Hadi Iraqi commande l'organisation dans le secteur sud-est de l'Afghanistan
Le Comité médiatique des moudjahidin d'al-Qaida en Afghanistan publie périodiquement un magazine, Les Avant-gardes de Kharasan
AQ: désinvestissement
À contre-courant de la plupart des groupes djihadistes, AQ désinvestit l'espace afghano-pakistanais depuis le printemps 2006
Constatant la moindre utilité et visibilité de l'organisation sur le théâtre afghan à mesure que les NT resurgissent, sa direction a commandé aux opérationnels arabes de migrer en Irak et en Somalie ou de rentrer dans leurs pays d'origine (principalement dans le Golfe arabo-persique), via les républiques centrasiatiques, le Pakistan, l'Iran et Dubaï, pour y cibler les intérêts occidentaux en général, les intérêts américains en particulier – notamment les infrastructures pétrolières
Le MIO assure la visibilité d'AQ sur le théâtre afghan (infra)
MIO: origines
Cofondé en 1998 par Jumabai A. Khojaev et Tohir A. Yudelshev, et après avoir nourri le seul but de l'établissement d'un califat en Ouzbékistan, le MIO cherche désormais à (r)établir en Afghanistan un califat qui serve de pas de tir à l'instauration d'un califat pan-centrasiatique (Ouzbékistan, Kirghizstan, Tadjikistan, Kazakhstan, Turkménistan et province chinoise du Xinjiang)
Il est commandé par Tahir Yuldevish et compte environ 600 combattants majoritairement d'origine ouzbèke. À la faveur d'une radicalisation, il a noué une alliance avec Ben Laden. Il s'agit d'une stratégie gagnant-gagnant. Celui-là offre à celui-ci une visibilité sur le théâtre d'opérations afghan (notamment par des attaques contre l'Alliance du Nord), allonge sa portée géographique et popularise une avant-garde en un mouvement. Le second revêt le premier de sa légitimité, le démarque du vulgum pecus insurgé en Afghanistan, lui offre l'accès à ses réseaux de financement – tout en gérant son ascension au sein de la hiérarchie du djihad global – et facilite sa participation à la narco-économie centrasiatique.
MIO: organisation, effectifs et liens
Le MIO est commandé par Tahir Yuldevish
Il compte environ 600 combattants majoritairement d'origine ouzbèke
À la faveur d'une radicalisation, il a noué une alliance avec Ben Laden. Il s'agit d'une stratégie gagnant-gagnant:
Celui-là offre à celui-ci une visibilité sur le théâtre d'opérations afghan (notamment par des attaques contre l'Alliance du Nord), allonge sa portée géographique et popularise une avant-garde en un mouvement
Le second revêt le premier de sa légitimité, le démarque du vulgum pecus insurgé en Afghanistan, lui offre l'accès à ses réseaux de financement – tout en gérant son ascension au sein de la hiérarchie du djihad global – et facilite sa participation à la narco-économie centrasiatique
2.5.2. D'origine afghane
Armée des musulmans
Créé en mai 2004 par dissociation avec un mouvement taliban perçu comme excessivement conservateur, l'Armée des musulmans cherche à libérer l'Afghanistan de l'influence étrangère puis à renverser le GLSA.
Commandé par d'anciens décideurs politiques talibans, le mouvement poursuit deux buts originaux:
La libération des prisonniers NT et al-qaidistes détenus à Guantanamo sur l'île de Cuba (notamment le commandant taliban d'origine pakistanaise Abdullah Mehsud emprisonné de 2002 à 2004)
La cessation des activités des Nations Unies en Afghanistan. Il revendique la responsabilité de l'assassinat de quatre travailleurs de l'ONU en juin 2004
Autres groupes
D'autres groupes djihadistes d'origine afghane n'ont qu'une activité sporadique
Apparue le 9 avril 2003 à l'occasion d'une attaque contre l'aéroport militaire de Jalâlâbâd, l'Épée des Musulmans n'agit que par intermittence et exclusivement dans l'est du pays. Sa dernière attaque a visé le bureau de l'UNICEF à Jalâlâbâd
Il en est de même des autres groupes djihadistes afghans créés depuis 2004: l'Association de la jeunesse musulmane et le Mouvement de la révolution islamique. Leur principale activité consiste à mettre en place des unités mobiles chargées de dispenser de manière itinérante une formation et un entraînement paramilitaires dans les provinces du sud et de l'est
2.6. Pakistan: protagoniste de l'IN
Espace afghano-pakistanais
Contrairement à sa vocation originelle et nonobstant l'érection de 190 postes de contrôle côté pakistanais, la Ligne Durand n'a jamais cloisonné les tribus des groupes ethniques baloutches et pachtounes qui chevauchent ses 2 640 km (l'Accord de la Ligne Durand de 1893 résulte de la seconde défaite britannique lors de la deuxième / trois guerre anglo-afghane)
Ces tribus, de même que l'État afghan dont l'irrédentisme revendique les zones pachtounes du Pakistan depuis 1947 (le 30.09.47, l'État afghan s'oppose à l'admission du Pakistan aux Nations Unies au motif qu'il ne reconnaît pas la Ligne Durand comme frontière internationale. Il réclame depuis, au minimum, la tenue d'un référendum d'auto-détermination du Pachtounistan), ne reconnaissent pas la frontière internationale. Elles perpétuent inter-mariages et trafics transfrontaliers

Double cause de la nature transfrontalière
Les soutiens extérieurs incarnent le versant transfrontalier des interférences étrangères
La nature transfrontalière du MITNT résulte autant d'une politique de tout ou partie de l'establishment militaire pakistanais que de la présence de groupes ethniques transfrontaliers
Duplicité du régime pakistanais (I)
Le 19.09.01, une semaine après s'être formellement engagé à lutter aux côtés des États-Unis contre le terrorisme, le général-président pakistanais Pervez Moucharraf discourt en ourdou – la langue nationale – pour assurer aux NT qu'il leur épargnera la réaction contre-terroriste de la communauté internationale en général, des États-Unis en particulier
Le 27.09.06, le président américain reçoit ses homologues afghan et pakistanais et offre sa médiation pour que Kaboul et Islamabad aplanissent leurs irritants bilatéraux alors que la situation militaro-sécuritaire se détériore en Afghanistan
Duplicité du régime pakistanais (II)
Ces cinq années correspondent à la prise de conscience par l'administration Bush et l'opinion publique internationale de ce que, derrière son réalignement apparent, le "pays des purs" mène en fait un double jeu depuis le 11 septembre 2001. Et pour cause: la survie du régime pakistanais dépend du soutien des forces islamiques qui sont favorables au MITNT. Cette duplicité, et donc la problématique insurrectionnelle afghane, ne sauraient être résolues sans démêler l'écheveau des dynamiques complexes qui s'enchevêtrent dans la région
Thèse
Si de nombreux acteurs et facteurs des violences sur le théâtre d'opérations afghan restent endogènes, les soutiens apportés par tout ou partie de l'État pakistanais au MITNT en Afghanistan n'en sont pas moins réels et institutionnalisés:
D'une part, certaines institutions pakistanaises soutiennent clandestinement l'armée des NT à différents niveaux – financier, logistique, militaire et politique
D'autre part, le régime pakistanais tolère sur son territoire un réseau de madrassas dont certaines jouent le rôle d'incubateurs du fondamentalisme religieux
Loin de le contraindre, le Pakistan procure ainsi au MITNT ses ressources organisationnelles et idéologiques
2.6.1. Soutien organisationnel: l'appui à l'armée des NT
Recours à des outils asymétriques (I)
Depuis sa création en 1947, le Pakistan recourt traditionnellement à des outils asymétriques afin de maximiser la poursuite de ses intérêts nationaux de politique étrangère dans la région
Ainsi soutient-il plusieurs organisations islamistes radicales conduisant des opérations transfrontalières au Cachemire et en Inde avec plus ou moins d'autonomie
Ce soutien est institutionnalisé au sein de l'ISI. Le Special Service Group est l'unité chargée d'assurer la liaison entre l'ISI et les organisations islamistes radicales de la région. Il comprend un bureau des affaires afghanes. Il fut dirigé par Hamid Gul de 1989 à 93
Hamid Gul
Lieutenant général
Directeur général de l'ISI de 1987 à 89 (remplacé par le lieutenant général Shamsur Rahman Kallue)
Directeur du Special Service Group de 1989 à 93, unité chargée d'assurer la liaison entre l'ISI et les organisations islamistes radicales de la région qui comprend un bureau des affaires afghanes
Principal architecte des politiques asymétriques afghane et régionale du Pakistan au cours des années 80:
Soutien actif aux moudjahidin en Afghanistan
Manipulation d'outils asymétriques (organisations islamistes radicales) comme instruments de politique étrangère dans la région
Recours à des outils asymétriques (II)
Bien qu'interdits après l'attentat de décembre 2001 contre le parlement indien, l'Armée des purs (Lashkar-e-Taiba est la branche militaire de l'organisation wahhabite Markaz Dawa wa al-Irshad), le Parti des moudjahidin, l'organisation al-Badr et l'Armée de Mahomet font office de seconde ligne de défense stratégique en matière de politique de sécurité nationale
S'ils n'en ont pas encore administré la preuve formelle, d'aucuns (notamment le commissaire de police de Mumbai chargé de l'enquête) conjecturent que l'ISI aurait planifié les attentats du 11.07.06 à Mumbai (186 tués) puis délégué leur exécution à l'organisation cachemirie de l'Armée des purs et au Mouvement islamique des étudiants d'Inde
Relation de clientèle
Certains pans de l'establishment militaire pakistanais ont présidé à la création de l'armée des Talibans en 94 (supra)
Depuis, tout ou partie du gouvernement pakistanais – essentiellement les forces de sécurité (armée régulière et ISI) puisqu'il s'agit d'une junte militaire – entretient une relation de clientèle et de délégation avec le mouvement taliban, lequel demeure un des instruments asymétriques auquel il recourt pour suppléer l'échec de sa diplomatie dans la poursuite de ses intérêts nationaux en rapport avec l'Afghanistan
Plusieurs institutions de l'establishment militaire souhaitent conserver la carte Talibans.
Nature transfrontalière (I)
Emmenée par les NT, l'insurrection qui monte en puissance sur le théâtre afghan depuis le printemps 2003 n'est pas autonome mais transfrontalière
Elle dispose d'une base extérieure quasi-sanctuarisée dans les provinces et territoires pakistanais mitoyens qui sont des zones ethniques pachtounes et baloutches économiquement sous-développées et politiquement mal-représentées:
Balouchistân
ZTFA
PFNO
Les zones tribales jouent pour le Pakistan un rôle de tampon (contenir l'influence afghane) et d'antichambre (influencer le régime afghan)
Les funérailles de "martyrs" dans les zones tribales du Pakistan lorsqu'aucune violence n'y est répertoriée trahissent de récentes opérations transfrontalières
Nature transfrontalière (II)
Autorisant la formule "espace afghano-pakistanais", la porosité de la ligne Durand assure le fonctionnement du MITNT
L'étanchéisation de la frontière emporterait plusieurs conséquences:
Elle perturberait les lignes d'approvisionnement, de repli et de communication du MITNT
Les forces de sécurité afghanes appréhenderaient moins souvent des groupes de candidats à l'attentat suicide franchissant la frontière par dizaines après avoir été entraînés et équipés au Pakistan (ainsi encore le 4 octobre 2006)
Le MITNT serait certainement isolé puis probablement asphyxié
C'est ce qui explique du reste que le gouvernement américain finance une force de sécurité spéciale chargée d'interdire les mouvements transfrontaliers des Talibans et al-qaidistes à partir des ZTFA. Elle comprend 2 800 militaires dont 900 dans chacun des Waziristâns
Soutiens externes actifs et passifs (I)
Les NT bénéficient sur le territoire pakistanais de soutiens divers:
Actifs (combattants) ou passifs (environnement permissif offrant une couverture et favorisant le réapprovisionnement)
Ouverts (JUI) ou clandestins
Le renforcement du rôle socio-politique du mollah aux dépens de celui du malik (chef tribal):
Altère les structures socio-politiques locales des zones tribales
Encourage les entrepreneurs politiques à manipuler l'outil de l'islam radical comme instrument de mobilisation des soutiens
Crée un environnement favorable à la sanctuarisation du MITNT
Les réseaux de soutiens sont souvent organisés et entretenus par les vétérans du djihad contre l'occupant soviétique
Soutiens externes actifs et passifs (II)
Bien que le président Moucharraf soutienne le 25 septembre que le Pakistan joue un "rôle totalement neutre" en Afghanistan, le financement, l'équipement, l'entraînement, le renseignement et les soins dont bénéficient les combattants NT, la facilité avec laquelle ils s'infiltrent puis s'exfiltrent en Afghanistan, étayent l'hypothèse de soutiens externes actifs clandestins de la part des forces de sécurité pakistanaises
L'arrestation du porte-parole du mouvement taliban Abdul Haq Haqiq par les Services de la défense nationale afghans dans le village frontalier de Torkham le 16.01.07 renforce ces suspicions. Le "docteur Mohammed Hanif":
Confesse que l'ISI – notamment l'ancien directeur de l'unité dite Special Service Group, Hamid Gul (1989-93) – finance et arme directement le MITNT
Précise qu'il héberge le mollah Omar dans la ville de Quetta
Les soutiens de l'ISI incluraient jusqu'au recrutement des combattants par la contrainte (menace d'emprisonnement en cas de refus) et l'infiltration du gouvernement afghan
Soutiens tactiques ou stratégiques? (I)
S'il est admis que les forces de sécurité pakistanaises soutiennent l'armée des NT, ces soutiens sont-ils de nature tactique ou stratégique? Procèdent-ils d'électrons libres des forces de sécurité ou résultent-ils d'une nouvelle politique afghane d'Islamabad?:
La cohésion et le professionnalisme de la quatrième armée au monde (environ 500 000 militaires) confortent l'hypothèse selon laquelle les forces de sécurité ne feraient qu'exécuter une stratégie gouvernementale
Mais son identité institutionnelle (ethos), son esprit de corps, sa composition ethnique (20% des militaires sont pachtounes) et les rivalités entre services pro-occidentaux anti-islamistes et services pro-islamistes anti-occidentaux rendent plausible l'hypothèse selon laquelle certains éléments réfractaires agiraient en marge de la chaîne de commandement politico-militaire
Soutiens tactiques ou stratégiques? (II)
Favorable à l'ancien directeur de l'ISI (Mahmoud Ahmed) limogé le 9.10.01 lors du réalignement de la politique étrangère pakistanaise, le Corps des Frontières basé à Peshâwar refuse par exemple de mener des opérations contre les chefs tribaux autonomistes des collectivités territoriales de l'ouest du pays, confirmant par-là un phénomène de désobéissance chez certaines factions des forces de sécurité
La 11ème division de l'armée pakistanaise est au contraire très active dans la lutte contre le terrorisme
Après le limogeage de Mahmoud Ahmed le 9.10.01, la direction de l'ISI a été assure par les généraux Ehsan-ul-Haq (jusqu'au 5.10.04) et Ashfaq Pervez Kiyani (depuis)
Faible marge de manœuvre de Moucharraf
Aux prises avec de tels soutiens, le président Moucharraf ne dispose que d'une faible marge de manœuvre politique pour des considérations domestiques et régionales
Considérations domestiques (I)
D'un côté, soutenir le mouvement NT permet de préserver la stabilité interne du régime de trois manières:
En apaisant le nationalisme ethnique pachtoune dont les intérêts transfrontaliers sont promus sur la scène politique afghane
En transigeant avec l'opposition politique islamiste interne pakistanaise généralement pro-talibane
En ménageant les forces de sécurité ethniquement (des Pachtounes) et linguistiquement (le pachtoune) proches des Talibans. D'autant que, plus prosaïquement, les cadres pro-islamistes de l'armée sont réputés posséder la plupart des laboratoires servant à la transformation de la résine d'opium sur le territoire afghan
Considérations domestiques (II)
Et ce au moment où l'augmentation du volume des activités du terrorisme fondamentaliste islamiste pose une menace croissante à la stabilité interne du régime
Une série d'opérations suicides marque la fête religieuse chiite d'Ashoura et exacerbe les frictions inter-confessionnelles fin janvier 2007. Un candidat à l'attentat suicide:
Tue 4 militaires ainsi qu'1 civil et blesse 20 militaires à Mir Ali dans le Waziristân du nord le 23.01
Tue un civil dans la capitale Islamabad le 26.01
Tue 2 policiers ainsi que 12 civils et blesse une soixantaine de personnes le 27.01 dans la capitale de la PFNO Peshâwar
Tue 2 policiers et blesse 7 civils à Dera Ismail Khan dans les ZTFA le 29.01
Considérations régionales (I)
De l'autre côté, soutenir le mouvement NT permet d'affaiblir le gouvernement afghan et de maximiser corrélativement la capacité d'influence du gouvernement pakistanais dans trois buts:
Dissuader l'État afghan de contester la frontière internationale héritée de 1893 (la ligne Durand), de revitaliser son irrédentisme à l'endroit des zones pachtounes pakistanaises et d'exacerber les séparatismes ethniques (baloutche et pachtoune) dans l'ouest du Pakistan. La fragmentation ethnique menace l'intégrité territoriale d'un pays encore traumatisé par le démembrement des régions orientales à l'origine de la création du Bangladesh (1971)
Considérations régionales (II)
Prévenir la formation d'une alliance de revers entre l'Afghanistan et l'Inde rivale au moment où le président afghan Hamid Karzai revitalise le tropisme indien de son pays en intensifiant la relation bilatérale afghano-indienne. Dans un contexte régional propice aux crispations politiques (souverainetés nationales frileuses et attentives, différends territoriaux, etc.), le voisin nucléaire continue d'être perçu comme une menace existentielle qui rappellerait de temps à autre sa capacité de nuisance en réactivant l'insurrection baloutche et le sécessionnisme sindhî du Pakistan. Le souvenir des guerres (1948, 65 et 71) et conflits (Kargil, 1999) indo-pakistanais nourrit une crainte anxiogène résiduelle nonobstant le processus de paix en cours. Les manœuvres pakistanaises pour confiner l'Inde n'ont pas pour seul point d'application l'irritant cachemiri – le Pakistan refuse l'érection de jure de la Ligne de contrôle en frontière internationale, il revendique le glacier Siachen et s'oppose au projet indien du barrage hydro-électrique de Baglidar sur la rivière Chenab. Elles visent également les relations économiques afghano-indiennes (l'aide indienne à la reconstruction de l'Afghanistan s'élève à 750 millions de dollars depuis 2001), contribuant du reste à geler la reconstruction sur le théâtre afghan. L'utilisation courante de la roupie dans l'arc tribal pachtoune trahit la volonté de pakistanisation économique du sud de l'Afghanistan
Considérations régionales (III)
Préserver une arrière-cour garante de la "profondeur stratégique" du Pakistan, laquelle est promue par une doctrine des forces armées qui marie opportunément nationalisme et islamisme. L'irritation du Pakistan à l'ouverture de consulats indiens dans les villes de Kandahâr et Jalâlâbâd illustre sa prétention de disposer d'un pré-carré stratégique dans les provinces afghanes du sud et de l'est
Incertitude du pouvoir afghan
Le Pakistan a d'autant plus intérêt à étendre sa sphère d'influence, à maximiser sa capacité d'influence du pouvoir politique sur la scène politique afghane, qu'une restauration partielle du pouvoir taliban ne saurait être exclue à moyen terme
Une telle restauration pourrait consister à intégrer les NT modérés dans un PRN avant de les inclure au sein d'un gouvernement d'union nationale:
Afin de rétablir la paix en Afghanistan, le secrétaire général du MMA préconise en décembre 2006 le retrait des troupes étrangères et l'intégration politique des NT
La wolesi jirga adopte le 31.01.07 une résolution non liante en 12 points (Charte pour la paix, la réconciliation et la justice) exhortant le gouvernement à accorder l'immunité judiciaire aux "parties politiques et belligérantes" impliquées dans la "guerre [civile] de deux décennies et demi"
L'ancien ministre taliban des Affaires étrangères Wakil Ahmad Muttawakil (libéré de prison en 03 après avoir fait partie des rares Talibans à se rendre en 01) recommande le 10.02.07 au GLSA d'initier un geste de bonne volonté afin d'intégrer les NT au processus politique et d'instaurer un véritable dialogue intra-afghan:
Inclure tous les dirigeants du MITNT – y compris le mollah Omar et Hekmatyar
Libérer les prisonniers talibans
Accords ambivalents
La crainte de soutiens transfrontaliers est encore renforcée après que deux accords datés des 24 août et 5 septembre 2006 ont confirmé l'ambivalence des institutions pakistanaises
Accord du 23.08.06
L'accord signé le 23.08.06 au terme du 18ème sommet de la Commission tripartite militaire accorde à la FIAS un droit de suite dans le cadre d'opérations contre des insurgés qui franchiraient la frontière. Moucharraf apparaît ainsi réitérer son engagement en faveur d'une lutte contre le terrorisme qui a tué 700 militaires pakistanais en 2005
Le 30.10, la frappe aérienne de l'OTAN contre une madrassa de Chenagai, dans la collectivité de Bajaur (ZTFA), laquelle tue 80 personnes, semble même étayer a posteriori l'hypothèse selon laquelle Moucharraf aurait autorisé l'ouverture d'un troisième front – pakistanais après ceux afghan et irakien – dans la guerre globale contre le terrorisme que mène la communauté internationale en général, l'Occident et les États-Unis en particulier. La COIN déborderait du théâtre afghan
L'attentat suicide qui tue 42 soldats sur le camp d'entraînement militaire de Dargai dans la PFNO le 8.11 suivant révèlerait alors l'enclenchement d'un cycle de type attaques–représailles–contre-représailles entre l'armée pakistanaise et les activistes radicaux de la région, en l'espèce le Mouvement pour l'application des lois de Mahomet (Tehrik-e-Nifaz-e-Shariat-e-Mohammadi) commandé par Maulana Fariq Mohammad. Son commandant adjoint, Maulana Liaqat, faisait partie des victimes du 30.10
Coopération Afghanistan–Pakistan–FIAS
La Commission tripartite militaire établie entre l'Afghanistan, le Pakistan et les États-Unis conserve son nom nonobstant l'adhésion d'un quatrième membre, l'OTAN
Le Centre de renseignement opérationnel conjoint ouvert à Kaboul le 28.01.07 regroupe 24 officiers afghans (6), pakistanais (6) et de la FIAS (12) en vue de favoriser le partage du renseignement. Il a vocation à fournir à la Commission un renseignement opérationnel
Accord du 5.09.06
Mais l'accord de paix de Miranshah signé le 5.09.06 entre le gouvernement central, les maliks, les commandants talibans et les "moudjahidin locaux" du Waziristân du nord restaure la vocation de sanctuaire de la collectivité en prévoyant le retrait des 80 000 soldats de l'armée nationale, l'interruption des opérations militaires et l'amnistie des "militants talibans" et des "étrangers" (i.e. les combattants al-qaidistes)
Chefs de tribus et commandants talibans s'engagent en contrepartie à cesser d'attaquer les forces de sécurité pakistanaises et à ne pas établir les infrastructures d'une administration civile parallèle préfigurant l'établissement d'un contre-gouvernement. Les mécanismes et le calendrier d'exécution de leurs obligations contractuelles restent toutefois indéfinis
Cet accord s'inscrit dans la continuité de celui conclu par le gouvernement avec les chefs de tribus du Waziristân du sud en 2004 et il formalise un cessez-le-feu signé le 25.06.06
Arguments contra- et pro- accord du 5.09.06
En renonçant à lutter militairement contre le terrorisme au Waziristân, Moucharraf est taxé d'abdication
Moucharraf prétend toutefois apporter une solution politique à la mal-gouvernance des zones tribales
Il évoque le 22.09.06 une "approche holistique" conjuguant incitations (carotte) et dissuasions (bâton) qui viserait, via un processus politique, à marginaliser les activistes islamistes en vue de stabiliser la zone
Par cette stratégie d'intégration politique des zones tribales réfractaires (conçue par le lieutenant-général à la retraite anciennement commandant de l'armée pakistanaise dans la PFNO – d'octobre 2001 à mars 2004 – et désormais gouverneur de celle-ci, Ali Mohammed Jan Orakzai; puis promue par l'Intelligence Bureau – sécurité intérieure – contre la volonté de l'ISI), le gouvernement pakistanais veut en fait concentrer ses troupes dans la province du Balouchistân pour les y consacrer à la contre-insurrection:
La province rebelle compte 4% de la population mais représente 42% du territoire pakistanais et regorge d'hydrocarbures
Or, la résurgence de l'insurrection baloutche depuis 2002 hypothèque plusieurs projets énergétiques trilatéraux avec l'Iran et l'Inde (oléoducs et gazoducs)
Effets de l'accord du 5.09.06 (I)
Les effets du redéploiement sont déjà perceptibles
Certes:
L'ISI élimine le 26.08.06 Nawab Akbar Khan Bugti, gouverneur de la province du Balouchistân pendant la répression de l'insurrection des chefs de tribus baloutches (sardars) de 1973 à 76, devenu par la suite commandant de l'Armée de Libération Baloutche – laquelle est soutenue par plusieurs formations politiques progressistes dont le Parti populaire du Pakistan
Le 11.12 suivant, Moucharraf offre d'amnistier les nationalistes baloutches qui se repentent
Effets de l'accord du 5.09.06 (II)
Mais les groupes djihadistes intensifient l'activité de leurs camps d'entraînement paramilitaire, notamment près de Shakai, tandis que les opérations lancées contre l'Afghanistan à partir du Waziristân du nord triplent largement – de 40 à 140:
Le mouvement NT recouvre sa liberté d'action. L'accord permet de facto aux NT de se regrouper, de se réorganiser, de recruter, de réarmer librement et de multiplier les opérations transfrontalières (plus 60%)
D'aucuns soulignent la "talibanisation" des zones tribales du Pakistan et conjecturent l'établissement d'un "mini-État taliban"
Le 22.10.06, le conseil taliban chargé de la prise de décision et du règlement des litiges (choura) dans le Waziristân du nord confirme qu'il prétend institutionnaliser son autorité. Après avoir ouvert des bureaux à Miranshah, il annonce le prélèvement de divers impôts par des comités, déclare "zones d'opérations" la ceinture territoriale de Miranshah et définit de nouvelles incriminations pénales
2.6.2. Soutien idéologique: la tolérance des madrassas
Incubateurs du radicalisme religieux
En plus de ses soutiens actifs clandestins à l'IN talibane, le gouvernement pakistanais tolère sur son territoire un réseau de madrassas (séminaires islamiques) dont 20% jouent le rôle d'incubateurs du radicalisme religieux en dispensant:
Un enseignement fondamentaliste (courants déobandi-wahhabite et salafiste)
Un entraînement paramilitaire
Scolarité commune
90% des cadres du mouvement NT– et la plupart de ceux des organisations radicales de la région – reçoivent leur éducation dans ces madrassas radicales généralement contrôlées par les élus locaux du JUI
Les cadres de l'armée et de l'ISI sont souvent diplômés des mêmes madrassas que les NT
Historicité
Si le prosélytisme islamique se trouve au fondement de la création du "pays des purs", la tolérance des madrassas et l'interpénétration croissante entre establishment militaire et organisations religieuses radicales s'inscrivent dans la continuité d'un double processus amorcé sous le régime militaire du général Mohammed Zia-ul-Haq (1977-88):
La radicalisation et le développement du système d'éducation islamique des madrassas
L'islamisation des institutions de l'État pakistanais
Radicalisation et dvpt du système d'éducation islamique des madrassas
Trois facteurs ont favorisé ce processus:
La promotion de l'idéologie déobandi-wahhabite
La politisation puis la militarisation des organisations religieuses, i.e. le développement d'une branche politique puis d'une branche militaire
L'autorisation des financements étrangers – principalement saoudiens
Dès 1979, Zia-ul-Haq instrumentalise le réseau des séminaires islamiques pour soutenir le djihad contre l'occupant soviétique en Afghanistan et contenir le chiisme révolutionnaire catalysé par la révolution khomeyniste. La mobilisation par l'islam (les promesses d'établissement d'un califat pan-islamique) permet de drainer des volontaires algériens, égyptiens, soudanais et yéménites
Islamisation des institutions de l'État pakistanais
Quatre facteurs ont favorisé ce processus:
L'adoption du système juridique de la charia, notamment le code pénal islamique. Votée en 1979, la législation Hudood faisait par exemple peser la charge de la preuve d'un viol sur la plaignante. Celle-ci devait produire quatre témoignages oculaires masculins concordants faute desquels elle était accusée du crime d'adultère, lequel était passible du fouet, voire de la lapidation. Si elle maintient la criminalisation de l'adultère et cible l'électorat modéré du Parti populaire du Pakistan de Benazir Bhutto à l'approche des élections de 2007-8, la loi sur la protection des femmes votée les 15 et 23.11.06 par l'Assemblée nationale et le Sénat pakistanais inverse la charge de la preuve d'un viol tout en offrant au juge de choisir entre un tribunal islamique (application de la charia) et la chambre criminelle d'un tribunal civil (application du droit pénal)
L'imposition de la zakat
L'abolition des taux d'intérêts
L'ouverture des concours administratifs aux diplômés des madrassas
L'islamisation de l'establishment militaire est alors réfléchie par la montée en puissance du parti du Groupe islamique (Jama'at-i Islami)
Impacts scolaires
Depuis, le nombre des étudiants scolarisés dans les madrassas augmente régulièrement. Puisque 39% des 165 millions de Pakistanais ont moins de 14 ans, cette augmentation devrait perdurer
1 549 242 étudiants sont scolarisés dans les 12 979 séminaires islamiques que compte officiellement le Pakistan en 2006 (officieusement plus de 40 000), dont:
336 983 étudiants dans les 2 843 madrassas de la PFNO
65 000 dans les 769 séminaires du Balouchistân
14 162 dans les 135 madrassas (pour 102 lycées publics) des ZTFA
Le système est devenu populaire car il offre la gratuité de l'enseignement et du pensionnat dans un pays où 42% de la population est analphabète
Manque de volonté politique
Si le gouvernement pakistanais entreprend de le réformer, les volontés politiques manquent
Depuis 2002 (après le 11.09 américain) et 2005 (après le 7.07 britannique), les madrassas ont l'obligation de se déclarer et d'expulser les étudiants étrangers
Nombreux sont les séminaires qui refusent néanmoins de se déclarer et continuent d'accueillir des étudiants originaires d'Afghanistan (notamment les Afghans réfugiés dans des camps au Pakistan), d'Asie du sud (Malaisie, Thaïlande, Myanmar, Indonésie), des républiques d'Asie centrale (Ouzbékistan, Tadjikistan, province chinoise du Xinjiang), du Caucase (province russe de Tchétchénie, Daghestan) et de certains États occidentaux (Australie, Europe de l'ouest et États-Unis)
Carrefour géostratégique
Plus largement, de par sa situation géostratégique, le théâtre afghan est le point de rencontre des dilemmes de sécurité des acteurs centrasiatiques, sud-asiatiques et au-delà
Nonobstant l'engagement souscrit en signant à Kaboul en décembre 2002 la Déclaration de relations de bon voisinage (laquelle prévoit entre l'Afghanistan et ses voisins l'établissement de relations bilatérales constructives et respectueuses des principes d'intégrité territoriale et de non-interférence), la Chine, l'Iran, le Pakistan, le Tadjikistan et le Turkménistan maintiennent des stratégies d'influence et contre-influence actives sur le théâtre afghan
Intérêt national américain
Trois objectifs y meuvent par exemple l'action des États-Unis:
Géostratégique: être présent au cœur de l'Asie centrale pour dissuader les puissances régionales tentées d'y renouer avec une politique d'influence
Politique: remporter un succès sur l'un des deux théâtres de la guerre globale contre le terrorisme afin de contrebalancer les difficultés irakiennes
Militaire: dégager des marges de manœuvre pour l'Irak afin d'y soulager l'armée américaine
Intérêt national iranien (I)
En articulant stratégies de déstabilisation, de développement, de reconstruction et de propagande, la République islamique d'Iran poursuit de même de nombreux buts:
Maintenir sa sphère d'influence dans l'ouest afghan à court terme, contrer la restauration partielle du pouvoir NT à moyen terme et consolider sa capacité d'influence du GLSA à long terme
Contraindre le retrait des troupes du CFC-A et de la FIAS, contrebalancer l'hégémonie américaine dans la sous-région et briser son encerclement militaire par les États-Unis
Étayer sa propre ascension régionale et favoriser l'expansion du chiisme révolutionnaire
Intérêt national iranien (II)
Le gouvernement iranien:
Soutient plusieurs seigneurs de guerre tadjiks (Ismail Khan, Abdul Rashid Dastum) ainsi que certaines factions chiites hazâras des provinces centrales
Finance largement la reconstruction et le développement (environ 600 millions de dollars depuis 2001) ainsi que de nombreux séminaires chiites – notamment dans la ville d'Herât
Radiodiffuse des émissions de propagande anti-américaine
Manipule les tensions bilatérales afghano-pakistanaises à son avantage
Capitalise sur la dépendance commerciale de l'Afghanistan à son égard en tant que principale route des échanges commerciaux
Obstacles externes et internes
En l'espèce, la résolution de la problématique insurrectionnelle néo-talibane implique d'infléchir les postures géostratégiques du ménage à trois formé par l'Afghanistan, le Pakistan et l'Inde
Deux déterminants intérieurs de la politique extérieure pakistanaise devraient à ce titre faire l'objet d'un traitement prioritaire:
Le soutien que les formations partisanes religieuses – surtout le JUI – apportent au mouvement NT
L'inexistence du principe démocratique du contrôle civil des autorités militaires (le président Moucharraf est chef d'état-major de l'armée) – et son corollaire, la politisation de l'armée
Fenêtre d'opportunité pakistanaise?
Au moment où le mouvement taliban envisagera certainement une offensive décisive contre Kaboul, les échéances présidentielle (septembre 2007) et parlementaires (janvier 2008) pakistanaises pourraient ouvrir une fenêtre d'opportunité pour démocratiser un pays dont l'histoire politique est jalonnée de putschs (1958, 1977 et 1999)
Mais, ironiquement, de même que le gouvernement Moucharraf dépend pour sa survie politique du soutien des formations islamiques favorables au mouvement NT, la communauté internationale dépend pour sa lutte contre le terrorisme de l'appui d'un gouvernement au mieux ambivalent avec cette menace
3. Perspectives de l'IN et de la COIN
Dynamiques
Trois dynamiques façonnent les perspectives de l'IN et de la COIN en Afghanistan:
L'insurrection monte en puissance
La FIAS rencontre des difficultés
Le soutien des opinions publiques s'érode
3.1. Montée en puissance du MITNT
Constat
Le MITNT monte en puissance, surtout dans l'arc tribal pachtoune qui couvre la plupart des provinces afghanes australes et depuis que les élections générales (parlementaires et provinciales) du 18.09.05 ont tout à la fois:
Consolidé le processus démocratique (i.e. marqué l'échec des tentatives du MITNT pour l'enrayer)
Ancré le retour au pouvoir du groupe ethnique des Pachtounes (113/243 sièges)
Cette montée en puissance se traduit par:
L'intensification des violences politiques, laquelle recouvre l'augmentation du volume, de l'ampleur et de la létalité des activités insurrectionnelles
Le contrôle physique d'un nombre croissant de territoires (concrètement, le contrôle taliban du territoire commence là où s'arrête l'infrastructure routière)
Augmentation du volume des attaques du MITNT
Le cumul des attaques mensuelles est passé de cinq en 2002 à 25 en 2005, 85 en juillet 2006, 136 en août et plus de 150 en septembre
L'activité mensuelle des insurgés et le cumul des pertes humaines résultant des activités insurrectionnelles et contre-insurrectionnelles ont quadruplé en 2006 par rapport à 2005:
600 attaques par mois ont fait plus de 4 000 victimes, dont un millier de civils
Les attaques au moyen d'IED ont augmenté de 783 à 1677, celles par feu direct de 1 558 à 4 552
Contrôle du rythme des opérations
Sur le court terme, le volume de l'activité du MITNT révèle une forte capacité d'amplitude, jusqu'à doubler. Il évolue au gré de déterminants aussi bien religieux (calendrier des fêtes musulmanes en général, Ramadan en particulier – la période du Ramadan est traditionnellement perçue comme propice au succès militaire depuis la bataille de Badr en 624) que saisonniers (trêve hivernale – relative – nourricière de novembre à mars), politiques (élections) ou symboliques (anniversaires) en marquant des pauses tactiques
Sur le long terme, le volume de l'activité du MITNT révèle une nette augmentation
Au total, la courbe qui reflète cette augmentation discontinue est une sinusoïde au coefficient directeur positif
En contrôlant ainsi le rythme des opérations, les insurgés démontrent qu'ils conservent l'initiative
Sous-dynamiques
La montée en puissance du MITNT recouvre cinq sous-dynamiques:
Psycho-politique: la re-talibanisation
Stratégique: la conventionnalisation
Tactique: l'irakisation
Identitaire: la re-ethnicisation
Psychologique: le regain de confiance
3.1.1. Dynamique psycho-politique: re-talibanisation
Indicateurs
Les provinces du sud connaissent une "retalibanisation" ou résurgence de l'influence psychologique et géographique – d'où psycho-politique – du mouvement taliban:
L'application de la charia supplante celle des codes tribaux
Les ports de la barbe et de la burka sont à nouveau de rigueur
La télévision tend à être proscrite car "haram" (non-islamique)
Dans l'arc insurrectionnel qui couvre la majeure partie des provinces australes, la souveraineté de l'État central est nulle hors des centres urbains
Au sein même des îlots de souveraineté, l'alternance du jour et de la nuit est aussi celle de la souveraineté des autorités légales et du contrôle de facto des NT
La géographie de l'emprise néo-talibane préfigure le contrôle d'une superficie de territoire suffisante pour faire l'objet d'une reconnaissance de belligérance de la part d'États tiers – une masse territoriale critique

Territoires passés sous contrôle NT en 07
Plusieurs centaines NT reprennent le contrôle physique de la ville de Musa Qala dans la nuit du 1er au 2.02.07
Environ 300 NT prennent le contrôle physique du district de Bakwa dans la province occidentale de Farâh du 19 au 20.02.07
Explications d'une restauration
La restauration de l'emprise psycho-politique talibane reçoit elle-même plusieurs explications:
La conservation d'un souvenir nuancé du régime taliban
Le déploiement d'une propagande efficace
La conduite d'opérations d'intimidation contre la collaboration
Souvenir nuancé: –
Certes, de 1996 à 2001, le gouvernement taliban met en œuvre un agenda très conservateur:
Il restreint l'éducation comme le travail des femmes
Il purge les programmes scolaires des matières blasphématoires (biologie, géographie, histoire, mathématiques et physique)
Il oblige en général les minorités religieuses non-musulmanes à porter des signes distinctifs; il mène en particulier des opérations de nettoyage ethnique contre la minorité chiite hazâra
Il mutile (amputations des voleurs) et exécute publiquement, pour l'exemple, les individus reconnus coupables de violations de la charia
Il proscrit l'utilisation des technologies de l'information et de la communication – Internet, télévision ou radio (décrets des 13 et 20.07.01)
En 1996, il offre l'hospitalité au commandant de l'organisation terroriste AQ, Oussama Ben Laden
En 2001, conformément à un décret proscrivant les objets d'idolâtrie, le ministère pour la Promotion de la vertu et la répression du vice ordonne la destruction des statues du Bouddha à Bâmiyân (26.02.07)
Seuls l'Arabie saoudite, les Émirats Arabes Unis et le Pakistan reconnaissent alors le régime paria de la communauté internationale
Souvenir nuancé: +
Toutefois, ce même gouvernement:
En …:
Jugulant les conflits armés entre seigneurs de guerre
Interdisant la culture du PAO en 2000-1 (décret de juillet 2000)
… Réussit à:
Stabiliser le pays
Réduire la corruption des institutions publiques
Autant de maux pour la solution desquels le mouvement NT se présente à nouveau, aujourd'hui, comme indispensable
Propagande: but et stratégie
But: remporter la guerre psychologique en ancrant la perception d'un mouvement de libération islamo-nationaliste, c'est-à-dire d'une résistance
Stratégie:
Disqualifier les interventions du CFC-A et de la FIAS en Afghanistan en les rattachant à une croisade globale de l'Occident chrétien et sioniste contre le monde musulman
Mobiliser l'analogie historique de l'invasion soviétique pour justifier le déclenchement d'un djihad défensif
Propagande efficace: conscience d'un impératif
Admettant que la guerre du sens induit la gestion des perceptions, le mouvement NT a établi une commission médiatique dont les trois porte-paroles coordonnent les opérations d'information
En s'efforçant de mobiliser le soutien d'une communauté transnationale alors qu'enchâssé dans la structure sociale tribale afghane, le mouvement taliban apparaît ainsi global et tribal, hyper- et anti- moderne
Propagande efficace: canaux
Parce qu'elle vise un public majoritairement analphabète, cette propagande utilise des canaux oraux et imagés:
Rumeur
Cassette audio
Radio (Indépendance de l'Afghanistan émet depuis juin 2004; La Voix de la Charia réémet depuis avril 2005)
DVD
Magazine (le périodique numérique Al-Sumoud ou La Résistance)
Site Internet (www.alemarah.org; IMARAT ISLAMI OF AFGHANISTAN)
La propagande néo-talibane:
Disqualifie les interventions du CFC-A et de la FIAS en Afghanistan en les rattachant à une croisade globale de l'Occident chrétien et sioniste contre le monde musulman
Mobilise l'analogie historique de l'invasion soviétique pour justifier le déclenchement d'un djihad défensif
Propagande efficace: thématique de la gouvernance dysfonctionnelle
C'est d'abord sur les thèmes de l'instabilité et de la corruption que le Conseil de direction NT mène depuis 2004 une campagne de relations publiques visant à recruter dans les madrassas de la province du Balouchistân et à mobiliser le soutien des chefs de tribus des provinces afghanes du sud
Les NT:
Ont ré-établi une administration civile parallèle (proto-gouvernement préfigurant la mise en place d'un contre-gouvernement)
Fournissent à nouveau des prestations aussi bien politico-administratives que socio-économiques
Ont restauré leurs réseaux civils de soutien
Rétablissent l'ordre public et moral
Construisent des hôpitaux
Rénovent les réseaux de communication (endommagés par l'intervention militaire de 2001)
Administrent la justice islamique
Proposent divers systèmes de macro- ou micro- crédit
Une rémunération persuade généralement les plus réticents
Propagande efficace: thématique des frictions inter-culturelles
La propagande néo-talibane capitalise aussi sur les frictions interculturelles:
Profanations du Coran
Crémation de dépouilles de combattants NT
Caricatures du prophète Mahomet
Remise en liberté d'Abdul Rahman – un Afghan converti au christianisme, crime passible de la peine capitale – auquel l'Italie a accordé l'asile
Propagande efficace: thématique de la miséricorde
La propagande néo-talibane capitalise enfin sur la miséricorde
La règle n°14 du Règlement (layeha) des Talibans encourage la défection chez l'adversaire – forces gouvernementales et étrangères – en promettant la vie sauve à ceux qui optent pour la coopération avec les moudjahidin
Opérations d'intimidation
Les talibans mènent des opérations d'intimidation contre la collaboration:
Barrages
Lettres nocturnes (shabnamas)
Mutilations
Assassinats ciblés
Exécutions
S'y ajoutent depuis l'automne 2005 un terrorisme spectaculaire qui leur assure une visibilité accrue
Les attaques contre les chefs de tribus pro-gouvernementaux, les informateurs, les écoles pour filles, les barbiers, les commerces de musique et les cafés Internet se multiplient
Opérations d'intimidation en 2006
Contre la collaboration: plus de 150 chefs de tribus pro-gouvernementaux des Waziristâns (nord et sud) sont assassinés
Contre la reconstruction: 19 individus travaillant à la reconstruction dans la province de Kandahâr sont tués le 22.09.06
Contre l'éducation:
Certes, le taux de scolarisation au primaire augmente depuis la fin des années 1990 (25% des enfants afghans sont scolarisés en 1999, 93% en 2006 – environ sept millions) au prorata de celui des établissements scolaires (650 écoles primaires en 1996, 7 000 en 2003)
Mais l'UNICEF estime que 106 attaques (ou menaces d'attaques) contre des écoles dans 31 provinces y ont interrompu la scolarité de 200 000 élèves entre janvier et août 2006. Le tiers des 748 écoles des provinces du sud ont été fermées. Le ministère afghan de l'Éducation compte 41 professeurs assassinés, 146 écoles incendiées et 215 fermées à la suite d'attaques ou de menaces d'attaques en 2006
3.1.2. Dynamique stratégique: conventionnalisation
Régularisation
Les troupes de combattants irréguliers talibans poursuivent un processus de conventionnalisation (régularisation) qui préfigure l'établissement à terme d'une armée ayant vocation à être une force régulière de manœuvre conventionnelle
Asymétrie résiduelle
Certes, ces combattants recourent encore à la manœuvre asymétrique, laquelle consiste à employer une méthode qui dénie à la puissance militaire conventionnelle le bénéfice de sa supériorité militaire en agissant en-deçà du seuil de pertinence de la puissance conventionnelle par le refus de l'engagement direct, du choc frontal et de la bataille décisive
Ces combattants continuent de se disperser et d'éviter le contact avec l'ennemi, sauf pour bénéficier brièvement de la supériorité tactique recherchée (cycle esquive, résistance et contre-attaque)
Ils maintiennent des modes opératoires du faible au fort qui relèvent conjointement, en proportion variable selon les besoins et les capacités, de la guérilla (principalement en zone rurale) et du terrorisme (surtout en zone urbaine)
Indicateurs de la conventionnalisation
Mais la professionnalisation du personnel, la sophistication de l'équipement, la protection des voies d'approvisionnement ainsi que des lignes de communication et la construction de bases sont autant d'éléments qui reflètent le processus de para-militarisation des troupes:
Les effectifs des cellules augmentent, de cinq combattants en moyenne en 2005 à une vingtaine en 2006
Les unités s'organisent de plus en plus fréquemment au niveau du bataillon, regroupant parfois jusqu'à 500 combattants
Elles sont dorénavant déterminées à engager directement les forces de sécurité afghanes et les troupes du CFC-A ou de la FIAS, même en plein jour et soutenues par un appui aérien
Elles multiplient les attaques de postes de police et de convois militaires
Les commandements provinciaux établissent des réseaux de bases à partir desquels ils manœuvrent, voire mènent une guerre de position en soutenant les assauts du CFC-A et de la FIAS
Facteurs de la conventionnalisation
Les facteurs déterminants de ce processus de conventionnalisation sont le temps et la sélection méritocratique
Les insurgés s'adaptent d'abord puis apprennent et enfin innovent. Ils s'ajustent d'autant mieux (au niveau tactique et stratégique) que l'insurrection se prolonge car seuls les plus résilients survivent dans un environnement darwinien
Lignes d'opérations militaires
Les voies de la lutte insurrectionnelle sont diverses: l'action est tout à la fois militaire, politique, économique, psychologique et médiatique
Six lignes d'opérations militaires coexistent
La gamme des cibles visées couvre l'ensemble du spectre des objectifs militaires, du tactique au stratégique
Les opérations sont dirigées contre les troupes des forces multinationales, contre la collaboration, contre la mobilité, contre la reconstruction, contre la stabilité et contre le processus électoral
Contre les troupes des forces multinationales
But: dégrader leur volonté de lutte
Cibles: l'action est dirigée contre:
Les personnels du CFC-A et de la FIAS
Les barrages
Les bases
Les ambassades
Contre la collaboration
But:
Isoler les troupes étrangères du peuple afghan (les assourdir et les aveugler)
Isoler le gouvernement afghan de la communauté internationale
Cibles: l'action est dirigée contre:
Les forces de sécurité afghanes
Les personnels et installations du gouvernement central
Les traducteurs et guides ou informateurs travaillant pour les forces étrangères.
Les attentats ciblés contre les représentants d'un État qualifié de collaborateur se multiplient. Gouverneurs, parlementaires, hauts fonctionnaires, directeurs de la police ou encore officiers du renseignement deviennent les cibles d'embuscades et d'attaques suicides:
Gouverneurs: celui de la province de Paktîa, Abdul Hakim Taniwal, le 10.09.06
Parlementaires: celui de la province de Samangân, Mawlani Mohammed Islam Mohammadi, ancien gouverneur de la province de Bâmiyân sous le régime taliban, le 26.01.07
Hauts fonctionnaires: la directrice du ministère des Affaires féminines dans la province de Kandahâr, Safia Ama Jan, le 25.09.06
Contre la mobilité
But: perturber les lignes d'approvisionnement
Cibles: l'action est dirigée contre:
Les convois
Les véhicules de transport
Les Talibans réussissent par exemple à dénier à la population civile comme aux troupes étrangères la liberté d'aller et de venir sur le réseau routier des provinces du sud
Contre la reconstruction (I)
But: délégitimer les autorités afghanes
Cible: l'action est dirigée contre:
Les contractants
Les infrastructures critiques
Les compagnies étrangères
Les organisations d'aide internationale
Les banques
Les infrastructures médicales
Contre la reconstruction (II)
La règle n°26 du Règlement des talibans justifie l'attaque des organisations non-gouvernementales présentées comme des instruments anti-islamiques de légitimation du gouvernement central:
Le 27.03.03, des Talibans assassinent un ingénieur italien du CICR, Ricardo Munguia, dans le district de Shah Wali Kot (province de Kandahâr)
Également victime du vide sécuritaire, l'ONG Médecins Sans Frontières quitte le théâtre afghan en 2003
Les travailleurs indiens sont des cibles privilégiées en tant que nationaux d'un État qui soutient le gouvernement Karzai après avoir soutenu l'Alliance du Nord. Un ingénieur indien de la Border Roads Organization enlevé le 19.11.05 est ainsi retrouvé décapité
Contre la stabilité
But: décrédibiliser les autorités afghanes et intimider le processus de reconnaissance internationale
Cibles: l'action est dirigée contre:
Les civils
Les dirigeants des tribus ou communautés indépendantes
Les diplomates étrangers hors contributeurs du CFC-A et de la FIAS
Les sièges de partis politiques
Les étrangers en Afghanistan
Une campagne contre les journalistes étrangers est lancée en octobre 2006 pour intimider les "collaborateurs" occidentaux:
Le 7, deux journalistes allemands sont assassinés
Un journaliste italien est enlevé et séquestré du 12.10 au 3.11.06
Contre le processus électoral
But: désamorcer le processus de démocratisation
Cibles: l'action est dirigée contre:
Les bureaux de vote
Les officiels
Les candidats
L'organisation ad hoc de l'Armée rouge des moudjahidin menace ainsi de mort les 6 000 candidats aux élections parlementaires et provinciales du 18.09.05
3.1.3. Dynamique tactique: irakisation
Différences entre les IN irakienne et afghane
Certes, des différences existent entre les IN irakienne et afghane:
La topographie irakienne n'offre pas de sanctuaires naturels inexpugnables (zones inhospitalières ou inaccessibles). Ceux-ci sont donc principalement urbains ou semi-urbains, à l'exception du triangle sunnite où coexiste une guérilla rurale. Au contraire, la topographie afghane a initialement favorisé une IN rurale
L'IN afghane n'est pas autonome puisqu'elle dépend largement du sanctuaire extérieur que sont les zones ethniques pachtounes et baloutches du Pakistan: PFNO, ZTFA et Balouchistân
Le déficit de professionnalisme du MITNT – lequel n'est pas majoritairement composé d'anciens militaires et d'anciens membres des services de sécurité du régime – pourrait compromettre la prise d'une greffe irakienne
Si la probabilité d'un succès militaire de la COIN est supérieure en Afghanistan, celle d'un succès politique est supérieure en Irak où la société est moins fragmenté, déstructurée et désindustrialisée
Processus d'irakisation
Un processus d'irakisation du MITNT s'opère toutefois depuis 2003
Alimenté par une dynamique d'émulation et d'imitation inter-théâtres, ce processus désigne les transferts d'expériences entre les théâtres irakien et afghan en matière de stratégies, tactiques, techniques et procédures
Il emprunte deux vecteurs humains (indépendamment des NTIC):
Les groupes djihadistes transnationaux d'origine étrangère. Vecteurs de l'internationalisation du MITNT, les groupes radicaux le sont aussi du transfert d'expériences opéré entre les théâtres irakien et afghan
Certains Talibans. Dès 2002, le mollah Omar prescrit à certains commandants talibans un entraînement sur le théâtre irakien au côté du groupe islamiste séparatiste kurde des Partisans de la Sunna. Une fois leur périple bouclé, ces commandants se font les vecteurs de l'irakisation du MITNT. Depuis son retour d'Irak début 2004, le mollah Mahmoud Allah Haq Yar, commandant taliban, s'efforce d'unir les combattants djihadistes étrangers sur le théâtre afghan et de promouvoir la matrice insurrectionnelle irakienne – notamment la spécialisation fonctionnelle des cellules
Irakisation stratégique et tactique
Ce processus d'irakisation s'opère à deux niveaux, stratégique et tactique:
D'une part, la stratégie de communication (ou stratégie médiatique) des NT imite celle que les insurgés mettent en œuvre en Irak aux fins de propagande. Pour terroriser et intimider la population comme les forces de sécurité, les attaques et les exécutions sont mises en scène, enregistrées puis diffusées
D'autre part, aux tactiques classiques de la guérilla (embuscades, attaques au lance-grenades ou lance-roquettes, coups de main, sabotage, etc.) s'ajoutent depuis 2004 celles du terrorisme auquel les groupes irakiens recourent: engins explosifs artisanaux, terrorisme urbain suicidaire, enlèvements, décapitations
Le 9.10.06, la chaîne de télévision privée GEO TV diffuse un enregistrement vidéo dans lequel le mollah Akhond Dadullah décapite 31 individus – 2 Britanniques, 2 Afghanes et 27 Afghans
Accélération de l'irakisation des tactiques afghanes
Les nouveaux IED apparaissent en Afghanistan un mois après leur première utilisation en Irak
Non seulement le recours aux IED et au terrorisme urbain suicidaire croît depuis septembre 2005, mais encore la sophistication et la létalité des attaques augmentent:
En 2003 et 2004, l'attentat suicide est un épiphénomène: deux opérations tuent neuf personnes en 2003 et six attentats tuent quatre personnes en 2004
En 2005, 21 attentats suicides font 24 victimes et 60 blessés
En 2006, 117 opérations suicides (dont 21 en septembre) tuent 278 personnes – 18 militaires du CFC-A ou de la FIAS, 54 membres des FSA et 206 civils afghans
Attaques terroristes 2002-3 et 2005-6
Exemple d'attentats suicides 2006
Le 3.08.06, un attentat suicide fait 21 victimes à Panjwai
17 victimes à Lashkar Gah le 28.08
16 victimes à Kaboul le 8.09
Le gouverneur de la province orientale de Paktîkâ le 10.09
Quatre militaires canadiens et 18 civils dans la province de Kandahâr le 18.09
18 personnes à Lashkar Gah le 26.09
De janvier à novembre 2006, 31 opérations suicides font 57 victimes (blessés et tués) militaires / policières et 185 victimes civiles dans les provinces du sud de l'Afghanistan
Défaillances opérationnelles (I)
En théorie, l'attentat suicide permet par sa mobilité et sa flexibilité d'approcher une cible délicate puis de la frapper avec précision, partant une létalité accrue. Ses promoteurs le comparent souvent à la version islamique et tactique de la bombe atomique occidentale en tant qu'il assurerait une victoire décisive
À la différence de celles conduites par les djihadistes étrangers sur les théâtres irakien et afghan, les opérations suicides menées par les NT – majoritairement des Afghans et des Pakistanais recrutés par l'ancien directeur du renseignement dans l'est afghan sous le régime taliban, le mollah Ehsanullah – révèlent toutefois un taux de létalité exceptionnellement bas
Défaillances opérationnelles (II)
Nonobstant un entraînement de six semaines (endoctrinement religieux, disqualification des mécanismes culturels et religieux inhibiteurs de la violence suicidaire, confection d'un IED) dans l'un des 50 camps situés le long de la frontière afghano-pakistanaise (la majorité tenue par Saddique Noor et Baitullah Mehsud, respectivement commandants des Waziristâns nord et sud), les défaillances opérationnelles qui résultent d'une conception erratique et d'une exécution hâtive font souvent du candidat à l'attentat suicide son unique victime
Défaillances opérationnelles (III)
La propagande néo-talibane prétend que des cellules de candidats aux opérations suicides dormiraient dans la plupart des grandes villes afghanes
Ces candidats n'agissent cependant que sur injonction religieuse, lorsqu'une fatwa enjoint et légitime tout à la fois la conduite d'une opération
De janvier à fin octobre 2006, 97 opérations suicides ont tué 217 personnes en Afghanistan, soit un taux de létalité quatre fois moins importants qu'en Irak où 154 attaques ont fait 1 330 victimes
Urbanisation
Sur le modèle insurrectionnel irakien, l'insurrection afghane s'urbanise
Coexistent désormais une guérilla rurale et une insurrection semi-urbaine voire urbaine
3.1.4. Dynamique identitaire: re-ethnicisation
Infra- et dé- nationalisation
La re-ethnicisation identitaire:
Décline le phénomène plus large de revitalisation des identités infra-nationales primaires – ethnique, religieuse, clanique, tribale, etc.
Illustre la dénationalisation identitaire (identités infra-nationales contre identité nationale)
Profiter de la pachtounisation des identités
Dans les provinces du sud, la revitalisation de l'identité ethnique pachtoune à laquelle appartient la majorité des Talibans leur permet de profiter des riwaj et de l'application du Pashtunwali qui oblige à accorder hospitalité et protection à tout croyant cherchant refuge – en l'espèce, à couvrir les insurgés
3.1.5. Dynamique psychologique: regain de confiance
Ascendant psychologique
Bénéficiant d'un soutien pérenne qu'ils réactivent d'autant mieux que le gouvernement afghan échoue, les NT connaissent un renouveau
La conjonction de leur résurgence et des promesses dont sont lourds les succès de l'IN irakienne alimente un regain de confiance
Un blitz médiatique révèlent l'ascendant psychologique des NT
Hiver 06-07
Le commandement NT rejette désormais l'idée d'une trêve hivernale pour se regrouper, se réorganiser, recruter et réarmer
Au contraire, il:
Intensifie la campagne de propagande pour gagner les cœurs et les esprits
Remobilise les combattants
Planifie la prochaine offensive printanière: entamer le siège de Kaboul après l'avoir isolée en contrôlant ses voies d'approvisionnement et de communication
La "trêve" hivernale 06-07 est deux fois plus violente que la précédente
27.10.06
Le commandement NT formule dorénavant des menaces dans le cadre d'opérations psychologiques à prétention transnationale
Le 27.10.06, il menace d'attaquer sur leurs propres territoires les contributeurs de la FIAS en général, le Canada – perçu comme le maillon faible de la coalition internationale – en particulier
28.12.06
Dans un enregistrement vidéo de 32 minutes produit par la branche multimédia d'AQ (As-Sahab) et diffusé sur l'Internet le 28.12.06, le mollah Akhond Dadullah assimile le transfert de la responsabilité de la sécurité des provinces afghanes du CFC-A à la FIAS à une défausse des États-Unis pour échapper à leur "défaite certaine"
Le commandant militaire en chef de l'armée des NT prétend du reste contraindre les troupes étrangères à un retrait imminent dans "la honte et l'embarras"
29.12.06
Dans un communiqué en pachtoune sous-titré en anglais publié le 29.12.06 – veille du commencement de l'Eid al-Ahda (fête de "l'idéologie du sacrifice" qui marque la fin du pèlerinage sacré à La Mecque – Hajj) – par l'agence Associated Press, le mollah Mohammed Omar Mujahid se dit "confiant que le sang des innocents et des moudjahidin produira des résultats"
S'il les exhorte en cette occasion à "sacrifier" leur existence par et pour la "résistance" en Afghanistan, le commandant des NT affirme que ces derniers ne se soumettront ni n'accepteront jamais une défaite
Au contraire, fort d'une histoire afghane jalonnée de résistances armées, le "commandeur des croyants" annonce la "défaite imminente" des troupes du CFC-A et de la FIAS
Il prétend pouvoir bouter les "forces de l'agresseur" hors d'Afghanistan dans "l'humiliation et la disgrâce"
3.01.07
Dans les réponses qu'il adresse à l'agence Reuters le 3.01.07 par l'intermédiaire du porte-parole du mouvement NT (le "docteur Mohammed Hanif" arrêté le 16.01 suivant), le mollah Omar:
Promet d'abord d'intensifier la lutte armée d'un mouvement qu'il présente comme populaire, à moins que les troupes du CFC-A et de la FIAS – responsables selon lui de "l'asservissement" et du "sacrilège" de la religion et de la culture afghanes – ne se retirent puis que les institutions mises en place après 2001 ne soient démantelées
Juge ensuite "hors de question" que les NT participent aux conseils de paix conjoints afghano-pakistanais transfrontaliers initiés par les ministres afghan et pakistanais des Affaires étrangères (infra)
Impute enfin rétrospectivement la responsabilité du retard pris par son gouvernement pour satisfaire les demandes socio-politiques locales entre 1996 et 2001 aux interférences des "forces anti-talibanes" (i.e. l'Alliance du nord) alors soutenues par les "infidèles" et les "ennemis étrangers" (i.e. les États-Unis, l'Inde, l'Iran et la Russie)
27.01.07
Dans un entretien accordé à l'agence Reuters le 27.01.07, le mollah Hayat Khan avertit que les NT intensifieront leurs opérations de guérilla et leurs opérations suicides à l'été 2007
Le commandant NT prétend que le mouvement disposerait de plus de 2 000 candidats à l'attentat suicide
3.2. Difficultés de la FIAS
3.2.1. Mission de la FIAS
Environnement sécuritaire favorable
Créée en 2001, la FIAS est sous commandement OTAN depuis 2003
Commandée par le général américain Dan McNeill (depuis le 4.02.07), la FIAS a pour mission de garantir l'environnement sécuritaire favorable à la reconstruction, au développement économique et à la bonne gouvernance du pays
Elle compte cinq commandements régionaux
Elle compte 20 équipes civilo-militaires de reconstruction provinciales (PRT) qui, comprenant chacune entre 50 et 300 personnels civils et militaires, ont pour but de:
Améliorer la sécurité locale
Étendre la souveraineté de l'État central afghan sur son territoire
Amorcer la reconstruction
20 PRT = 4 dans le nord + 4 ouest + 4 sud + 11 est
Extension de la compétence ratione loci (I)
La détérioration de la situation militaro-sécuritaire sur le théâtre afghan explique la décision prise par les ministres de la Défense des États membres de l'OTAN lors du sommet qui s'est tenu en Slovénie (Portoroz) les 27-28.09.06. Afin de présenter un front uni face aux difficultés, ils ont avancé au 5.10.06 l'extension de la zone d'opérations de la FIAS à l'est (phase IV)
Depuis les 31.07 (phase III) et 5.10.06 (phase IV), la FIAS assume donc la responsabilité des opérations de stabilisation et de reconstruction dans les provinces instables du sud (six) et de l'est (14), relayant ainsi les missions de contre-terrorisme menées par le CFC-A dans le cadre de l'Opération Liberté Immuable
Extension de la compétence ratione loci (II)
Ces phases III et IV étendent la compétence ratione loci de la FIAS dans la continuité des phases I (Kaboul) et II (les 13 provinces du nord et de l'ouest du pays) entamées dès août 2003
La mission incombe essentiellement aux troupes:
Britanniques (5 200 militaires dans la province de Helmand)
Allemandes (3 000; Kôndoz, Takhâh)
Canadiennes (2 700; Kandahâr)
Néerlandaises (2 200; Târin Kowt)
Françaises (1 000; Kaboul)
Extension de la compétence ratione loci (III)
Désormais compétente sur l'ensemble du territoire afghan, la FIAS commande au 2.01.07 33 460 militaires (dont 13 000 militaires américains sous commandement CFC-A jusqu'au 5.10.06) et 25 PRT (dont 12 sous commandement CFC-A de 2003 à octobre 2006) en provenance de 37 pays membres ou partenaires de l'Alliance atlantique
Le CFC-A (9 000 militaires américains) se concentrera dorénavant sur la lutte contre-terroriste dans les provinces orientales et la formation de l'ANA
3.2.2. Difficultés rencontrées
Difficultés (I)
Pour le commandant du CFC-A, le lieutenant-général Karl Eikenberry, ce transfert de responsabilité illustre l'engagement de la communauté internationale auprès de l'Afghanistan
Mais il intervient alors que la dégradation de l'environnement sécuritaire révèle et nourrit plusieurs difficultés pour la FIAS, mettant par-là en jeu la crédibilité de l'OTAN
Difficultés (II)
Sa mission glisse perceptiblement de la stabilisation à la COIN, du maintien à l'imposition de la paix, de l'action civilo-militaire au combat de haute intensité
Elle demeure assimilée aux troupes du CFC-A perçues comme des forces d'occupation – et ce de plus en plus à mesure que leurs missions se confondent
Son mandat limite d'emblée ses moyens de lutte contre-narcotique en lui interdisant les activités d'éradication (destruction des cultures et récoltes, coercition des producteurs)
Difficultés (III)
Ses pays contributeurs n'honorent qu'à 80-90% les engagements pris en termes de mise à disposition d'effectifs et de moyens capacitaires
Ses règles d'engagement du feu sont faibles et souvent déphasées avec la situation concrète sur le terrain, excluant par exemple la poursuite d'insurgés parce qu'il s'agit d'une activité de contre-terrorisme. Ces règles d'engagement sont toutefois ajustées. Depuis septembre 2006, les troupes britanniques sont autorisées à lancer des attaques préventives alors qu'auparavant elles ne pouvaient que riposter à une attaque
Difficultés (IV)
La standardisation puis coordination de ses opérations sont entravées par le déficit d'interopérabilité ainsi que des styles de gestion et des compétences variables selon les contingents nationaux. Des restrictions sont posées dans le temps et dans l'espace – certains contingents ne sont pas autorisés à combattre, d'autres à combattre au sol, d'autres encore à combattre de nuit – tandis que toute action doit être préalablement autorisée par chacun des responsables nationaux, ce qui rigidifie la conduite des opérations
Son déficit de personnels et d'équipements hypothèque le soutien aérien et l'appui aérien rapproché
Difficultés (V)
Le taux d'attrition hebdomadaire moyen s'élève à cinq militaires. Le taux d'attrition pour 1 000 militaires déployés est plus élevé sur le théâtre afghan (> 1,5) que sur celui irakien (< 1). Le cumul des pertes militaires britanniques est plus élevé en Afghanistan qu'en Irak
Ses PRT ne peuvent mener leur mission sans une protection renforcée les obligeant à sur-militariser leurs activités. Cette sur-militarisation engendre des effets contre-productifs: elle distraie les militaires de leur tâche sécuritaire, duplique les activités militaires et militarise l'action humanitaire – laquelle perd en conséquence sa neutralité
Difficultés (VI)
L'intensification des violences l'incite à réduire les interactions avec son environnement (patrouilles et opérations conjointes) alors même que le contact avec la population est une condition sine qua non pour regagner les cœurs et les esprits et maximiser les chances de succès de la COIN
La brièveté du cycle de rotation (six mois) complique enfin l'acculturation des militaires aux dynamiques provinciales et s'oppose à l'acquisition d'une expertise. Par-là, elle hypothèque la continuité stratégique pourtant induite par une campagne de contre-insurrection
Hésitations de la FIAS
À l'image du gouvernement afghan, la FIAS hésite finalement sur la stratégie à adopter face à la montée en puissance du MITNT (infra)
L'accord de paix en 15 points dit de Musa Qala (ville de la province d'Helmand) signé le 3.10.06 entre la FIAS et les chefs de tribus locaux s'inspire du modèle de l'accord de paix dit de Miranshah signé le 5.09.06 entre le gouvernement central pakistanais, les maliks, les commandants talibans et les "moudjahidin locaux" du Waziristân du nord. Afin d'engager politiquement les acteurs locaux, il prévoit le retrait des soldats britanniques et l'interruption des opérations militaires en contrepartie de l'engagement des chefs de tribus pour que les commandants talibans cessent d'attaquer les forces de sécurité afghanes et n'établissent pas les infrastructures d'une administration civile parallèle préfigurant l'établissement d'un contre-gouvernement
Impacts équivoques puis échec
Les impacts de l'accord entré en vigueur le 17.10.06 restent un temps équivoques. Le ministre afghan de la Défense, Abdul Rahim Wardak, estime ainsi le 24.11.06 que ce "projet-pilote" pourrait constituer un précédent
Mais les troupes de la FIAS sont embusquées dès le 3.12.06 par des combattants NT près de Musa Qala – embuscade suivie d'un engagement direct de quatre heures qui se solde par la mort d'une soixantaine d'irréguliers NT. La ville devient alors une base-arrière talibane où le commandant Haji Naimatullah organise le regroupement des unités et le stockage des armes
Les NT reprennent finalement le contrôle physique de Musa Qala dans la nuit du 1er au 2.02.07
3.3. Erosion du soutien des opinions publiques
Enjeu
À la différence de l'Opération Liberté en Irak, le déclenchement de l'Opération Liberté Immuable était perçu comme légitime
Toutefois, l'enjeu se situe dorénavant au niveau des perceptions des populations – afghane comme des pays contributeurs en général, du Canada en particulier
La tolérance aux pertes humaines reflète la valeur perçue des enjeux
Le 15.10.06, la France a annoncé qu'elle retirerait ses 200 membres des forces spéciales en janvier 2007
Le 21.02.07, le Sénat italien rejette le plan du gouvernement de coalition prévoyant de maintenir les 1 800 militaires italiens déployés en Afghanistan, forçant le PM Romano Prodi à démissionner
3.3.1. Opinion publique canadienne
Risque politique
Nonobstant la volonté d'assurer une visibilité internationale à la diplomatie de défense canadienne, le parlement n'a voté qu'à une faible majorité l'extension du déploiement canadien de février 2007 à février 2009 sous l'égide de la FIAS (jusqu'au 31.07.06, le Canada opérait en Afghanistan dans le cadre de l'Opération Enduring Freedom et de la FIAS)
L'intervention militaire pose donc un risque politique pour le gouvernement minoritaire de Stephen J. Harper
Érosion du soutien
Le cumul des pertes militaires canadiennes (44 militaires et un diplomate tués de 2002 au 31.12.06, taux le plus important depuis la guerre de Corée) conjugué à l'absence de perspectives de progrès, la difficulté persistante de percevoir les gains de l'opération et la prise de conscience du glissement de la mission a déjà érodé le soutien de l'opinion publique, lequel oscille dorénavant entre 35 et 40% des sondés
53% d'entre eux vouent à l'échec la mission de stabilisation-reconstruction que les troupes canadiennes mènent dans le sud de l'Afghanistan
59% réclament le retrait des troupes avant le terme de leur mandat légal (février 2009)
2006(source: Laura King, Maggie Farley, "Afghan war takes a toll on Canada", Los Angeles Times, 29 janvier 2007)
Prévision
Le public ayant majoritairement cessé de soutenir l'intervention, l'opposition de la Chambre pourrait être tentée de se désolidariser du Parti conservateur pour chercher un vote de défiance contre le gouvernement
Le Nouveau parti démocrate et le Bloc Québécois appellent déjà au retrait des soldats d'ici à la date initialement prévue: février 2007
3.3.2. Population afghane
Enjeu
Imputable au vide politico-administratif post-taliban, le déficit de sécurité (physique, économique et psychologique) mine la transition depuis 2001
Il risque de refermer une fenêtre d'opportunité car la population afghane prêtera in fine allégeance à l'acteur qu'elle perçoit comme le moins mauvais prestataire de sécurité, GLSA ou MITNT
Certes, elle demeurera attentiste (neutre ou non-alignée) jusqu'à ce qu'elle perçoive un point culminant annonçant le basculement définitif du rapport de forces en faveur d'un des adversaires. Mais le temps joue en faveur du mouvement insurrectionnel. La population lui est de plus en plus réceptive. La temporalité insurrectionnelle (et donc contre-insurrectionnelle) n'est pas la temporalité politique démocratique, encore moins celle médiatique
Définition de l'IN
L'insurrection est une lutte politico-militaire prolongée recourant conjointement (en proportion variable selon les capacités) à l'action terroriste, l'action de guérilla, l'action conventionnelle et la mobilisation socio-politique subversive pour créer le chaos afin de délégitimer auprès d'une population – dont le soutien est parallèlement recherché et qui constitue simultanément une cible – un gouvernement incapable d'assurer la sécurité, en vue de lui ôter son contrôle (rompre le lien population-gouvernement) et de s'établir comme force socio-politique
Objectifs antagonistes
Les objectifs de l'insurgé et du contre-insurgé sont antagonistes. Le premier poursuit un changement politique auquel le second s'oppose:
Pour l'insurgé, il s'agit de créer le chaos afin de décrédibiliser auprès des citoyens un gouvernement incapable d'assurer la sécurité. Tel un pompier pyromane, l'insurgé crée un problème (instabilité) pour la solution duquel (stabilisation) il tâche de se rendre indispensable. Le succès de l'insurrection naît de la rencontre entre une direction idéologiquement motivée et une base insatisfaite – sur le plan sécuritaire, économique ou psychologique
Pour le contre-insurgé, il convient de réduire l'emploi de la violence, de quadriller les provinces et d'éradiquer les conditions qui nourrissent le mouvement insurrectionnel afin de mobiliser le soutien de la population locale pour isoler et asphyxier celui-ci
Hésitations du GLSA (I)
À l'image de la FIAS, le GLSA hésite finalement sur la stratégie à adopter face à la montée en puissance du MITNT
Face à la résurgence du MITNT, de nombreux chefs tribaux exigent du gouvernement central au minimum qu'il gèle le programme DIAG du PNUD, au mieux qu'il réarme les armées privées locales
Hésitations du GLSA (II)
Ces maliks craignent que la stratégie talibane de 1994-96 ne réussisse à nouveau:
D'abord prendre Kandahâr
Ensuite grignoter le contrôle des zones rurales de l'arc tribal pachtoune
Puis encercler les grandes villes du sud de camps retranchés établis dans les villages voisins (cordon) tout en s'emparant des axes stratégiques que sont les autoroutes Kandahâr-Herât et Kandahâr-Kaboul
Enfin tenir le siège de – voire assaillir – la capitale à partir des vallées de Musay (sud) et de Tagab (nord-est)
Contre l'avis de la communauté internationale, le président Karzai a alors pris deux mesures ayant vocation à ménager les chefs de tribus comme le mouvement NT:
Le redéploiement d'une "force de police auxiliaire" (11 200 policiers) dans les provinces instables de l'arc insurrectionnel
La restauration d'un ministère pour la Promotion de la vertu et la répression du vice (tal-Amr bi al-ma'ruf wa al-Nahi'an al-Munkir s'inspire du modèle saoudien)
Hésitations du GLSA (III)
Mais le GLSA hésite sur la stratégie à adopter pour enrayer la montée en puissance du MITNT
La rencontre des ministres des Affaires étrangères afghan et pakistanais (plus le président Karzai) du 7.12.06 prévoit de s'inspirer du modèle de l'accord de paix dit de Miranshah signé le 5.09.06 entre le gouvernement central pakistanais, les maliks, les commandants talibans et les "moudjahidin locaux" du Waziristân du nord. MM. Rangeen Dadfar Spanta et Khurshid Mehmood Kasuri projettent d'établir des "conseils de paix" conjoints afghano-pakistanais transfrontaliers afin d'engager politiquement les chefs de tribus locaux pour qu'ils se mobilisent contre les militants talibans
Érosion du soutien
Certes, le président Karzai est d'autant plus résolu à lutter contre le MITNT que les Talibans ont assassiné son père à Quetta en 1999
Mais alors que le succès de la COIN naît d'une campagne pour gagner les cœurs et les esprits, la désillusion de la population afghane est d'autant plus profonde que les attentes post-conflit étaient élevées après 23 ans d'hostilités armées – dont trois années de guerre civile fratricide (1992-4)
Soutien historiquement faible
Le sondage réalisé à l'été 2006 par The Asia Foundation apprend que la population est prioritairement préoccupée par le taux de chômage, la faiblesse de l'économie, l'incertitude sécuritaire et la pauvreté
Or, historiquement, le nombre de militaires déployés et l'aide internationale à la reconstruction post-conflit par habitant restent exceptionnellement bas en Afghanistan
Nonobstant la multiplication des conférences internationales des donateurs (Tokyo en 2002, Madrid en 04 puis Londres en 06), James Dobbins évalue cette aide à 57 dollars américains (valeur 2000) par habitant au lieu de 129 pour l'Allemagne (post-45), 206 pour l'Irak (post-03), 526 pour le Kosovo (post-99) et 679 pour la Bosnie-Herzégovine (post-95)
Recommandations (I)
Afin que le gouvernement légal puisse relégitimer son image avant que la population ne soit définitivement aliénée par ce qu'elle perçoit comme un bégaiement de l'histoire (la défaite d'une puissance étrangère face à une IN sur le territoire afghan – "cimetière des empires" – puis l'abandon des délégués afghans par leur ancien mandant), il doit rapidement agréger puis articuler les demandes sociopolitiques locales (deliver).
Il lui faut:
Restaurer la souveraineté du gouvernement central sur le territoire afghan – notamment le monopole étatique de la violence physique légitime (désarmer l'espace public, assurer l'ordre public, projeter les forces)
Rétablir le fonctionnement régulier des services publics essentiels: infrastructures – transport, électricité (seuls 6% des Afghans en bénéficient), eau potable, irrigation, extraction des minerais (cuivre, fer et charbon) –, santé et éducation
Résorber la pauvreté – la moitié de la population vit avec moins d'un dollar par jour; le revenu mensuel par habitant est inférieur à 15 dollars
Instaurer l'État de droit
Cesser de se compromettre avec les seigneurs de guerre dans la recherche d'une stabilité immédiate mais provisoire
Recommandations (II)
L'assistance de la communauté internationale doit pour cela conjuguer stratégies de contre-terrorisme / COIN et stratégies de stabilisation / reconstruction:
Volet militaire: le rapport de forces militaire doit rebasculer en faveur des forces de sécurité afghanes et internationales (reprendre l'ascendant)
Volet humanitaire: la communauté internationale doit accroître son aide à la reconstruction post-conflit et concilier satisfaction des besoins immédiats avec développement des capacités à long terme (micro- et macro- financements et projets) – notamment celles permettant d'absorber puis de redistribuer l'aide internationale
Sinon, Kaboul pourrait retomber aux mains des Talibans dix après (26.09.96). Elle redeviendrait alors la capitale de l'"Émirat islamique d'Afghanistan" établi pour la première fois en octobre 97
Sources
Articles (I)
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B. Raman, "Afghanistan: NATO's predicament", International Terrorism Monitor, n° 144, 27 octobre 2006
Jason Motlagh, "Taliban handpick their targets", Asia Times Online, 28 octobre 2006
Joanna Wright, "Police reform in Afghanistan", Jane's Intelligence Review, 1er novembre 2006
Ann Jones, "US's Afghan policies going up in smoke", Asian Times Online, 1er novembre 2006
Articles (II)
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Articles (III)
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Articles (IV)
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Monographies
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International Crisis Group, Countering Afghanistan's Insurgency: No Quick Fixes, Asia Report n°123, 2 novembre 2006, 34 p.
C. Christine Fair, Nicholas Hewenstein, J. Alexander Thier, Troubles on the Pakistan-Afghanistan Border, Washington, U.S. Institute of Peace, coll. "USIPeace Briefing", décembre 2006
International Crisis Group, Pakistan’s Tribal Areas: Appeasing the Militants, Asia Report n°125, 11 décembre 2006, 34 p.
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Documents officiels
Débat du Parlement canadien daté du 17 mai 2006
Office des Nations Unies pour les Drogues et le Crime, World Drug Report 2006. Volume II: Statistics (Chapter 3). United Nations Publications, 2006
The situation in Afghanistan and its implications for peace and security. Report of the Secretary-General, 11 septembre 2006, 18 p.