La présidente de la Chambre des représentants a pris l'initiative de s'entretenir à Damas avec des officiels syriens tandis qu'elle emmenait une délégation parlementaire bipartisane en tournée au Proche-Orient (Israël, Territoires palestiniens, Liban, Syrie puis Jordanie). Si l'administration Bush qualifie la démarche de "contre-productive", l'initiative du troisième personnage de l'État s'inscrit pourtant dans la continuité de visites de membres du Congrès. Elle vérifie l'affirmation d'une diplomatie parlementaire alternative au demeurant conforme à l'esprit de la Constitution. Elle se révèle enfin opportune.
Nancy Pelosi a pris l'initiative de s'entretenir à Damas avec le ministre des Affaires étrangères Walid al-Moallam, le vice-président Farouk al-Sharaa et le président Bachar al-Assad. Elle élève ainsi les rencontres entre officiels américains et syriens à leur plus haut niveau depuis la visite en janvier 2005 du secrétaire d'État adjoint d'alors – Richard Armitage – et le rappel de l'ambassadeur américain le mois suivant en signe de protestation après l'assassinat politique de l'ancien premier ministre libanais Rafic Hariri.
Le président Bush considère qu'une telle démarche "unilatérale" est "contre-productive" car elle rompt le front anti-syrien pour des considérations de politique intérieure. Elle brouille selon lui le signal diplomatique des États-Unis, contrarie l'effort de son administration pour (avec la France) isoler la Syrie sur la scène internationale, légitime un parrain du terrorisme international et cautionne un régime autoritaire.
L'initiative s'inscrit pourtant dans la continuité de plusieurs visites de parlementaires démocrates et républicains au lendemain de la publication du rapport Baker-Hamilton, lequel a recommandé en décembre 2006 d'engager diplomatiquement les régimes iranien et syrien pour la résolution des crises régionales – au premier rang desquelles la crise irakienne. L'éventuel brouillage du signal diplomatique résulterait plutôt du caractère transpartisan de la démarche, i.e. de l'indiscipline républicaine.
L'initiative vérifie l'affirmation d'une diplomatie parlementaire alternative au demeurant conforme à l'esprit de la Constitution. Certes, la lettre constitutionnelle ne prévoit pas le rôle diplomatique du troisième personnage de l'État. La présidence américaine est de nos jours d'autant plus impériale que les médias de masse favorisent la personnalisation du pouvoir politique tandis que le Congrès est déférent à l'égard du commandeur-en-chef en temps de guerre. Mais le régime américain reste en droit un régime congressionnel. Et l'initiative est conforme à l'esprit de la norme suprême. La doctrine des freins et contrepoids prescrit le partage de compétence entre Exécutif et Législatif en matière de politique étrangère. La pratique institutionnelle des périodes de cohabitation recèle plusieurs précédents: le Speaker démocrate Jim Wright sous la présidence Reagan, le républicain Dennis Hastert sous Clinton, etc.
Cette initiative se révèle enfin opportune. Mme Pelosi évoque d'abord les irritants bilatéraux sans complaisance: le régime syrien tolère l'utilisation de son territoire comme base-arrière et axe de pénétration des insurgés en Irak, il parraine le Hezbollah et le Hamas, il interfère de manière déstabilisante au Liban et il résiste à l'établissement d'un tribunal international compétent pour juger les assassins d'Hariri. Mme Pelosi réduit ensuite le fossé séparant les politiques syriennes des deux rives de l'Atlantique. Le premier ministre britannique Tony Blair s'est expressément distancé de l'administration Bush lorsqu'elle a rejeté l'option d'un dialogue avec Damas et Téhéran en décembre 2006. Le Haut représentant de l'Union européenne Javier Solana a visité la capitale syrienne en mars dernier. La chancelière allemande Angela Merkel y est attendue. Mme Pelosi transmet par ailleurs au régime syrien une offre israélienne conditionnelle de reprise des pourparlers de paix ajournés en mars 2000. Ce au moment où l'évaluation stratégique des Forces de défense israéliennes prévoit en 2007 – sur le fondement de l'acquisition de systèmes d'armes offensifs par Damas – la possibilité d'un conflit armé conventionnel impliquant la Syrie (avec laquelle Israël reste techniquement en guerre) et le Hezbollah. Mme Pelosi introduit enfin une ambiguïté stratégique créatrice d'une marge de manœuvre pour négocier. Elle diversifie les canaux et élargit la gamme des options diplomatiques. Elle offre à l'administration républicaine l'opportunité d'assouplir sa posture sans pour autant se dédire publiquement. Elle désidéologise la politique syrienne des États-Unis et symbolise le dégel à venir en cas de victoires électorales démocrates en 2008. Si Mme Pelosi cherche toujours à rompre l'alliance stratégique entre Damas et Téhéran en incitant la Syrie à sortir de l'orbite iranienne, elle préfère pour cela l'engager plutôt que l'isoler.
Un mois après celle de l'assistante du secrétaire d'État pour les réfugiés et les migrations (Ellen Sauerbrey), la visite de Mme Pelosi à Damas est à tel point opportune que nul ne saurait exclure l'hypothèse d'une coordination préalable avec la Maison-Blanche.