L'impact de la crise des otages britannico-iranienne (23 mars-4 avril) pour l'administration Bush reste difficile à évaluer. Le recul manque. La gestion de perceptions encore fluides se poursuit. La guerre du sens continue. Si l'administration Bush endure des coûts immédiats, elle s'ajuste pour capitaliser sur l'après-crise et réaliser un gain à long terme.
Certes, l'administration Bush endure – souvent indirectement, parfois directement – des coûts immédiats. Les décideurs iraniens ont subtilement calibré l'escalade puis la désescalade. Ils ont ancré la perception d'un interlocuteur valable capable de résoudre diplomatiquement les crises et affichant sa bonne volonté – un mois avant la conférence internationale sur l'Irak prévue à Sharm al-Shaikh début mai. Ils ont détourné l'attention de la communauté internationale de l'irritant nucléaire. Ils ont signalé la détermination de l'Iran à préserver son intégrité territoriale. Ils ont renforcé leur capacité de marchandage et même obtenu des concessions: le 2 avril, les Forces spéciales du ministère irakien de la Défense ont libéré le secrétaire adjoint de l'ambassade iranienne à Bagdâd après deux mois de détention; le 3 avril, une délégation iranienne s'est vue promettre l'accès aux Pasdarans que les troupes américaines détiennent en Irak depuis janvier. Ils ont affaibli l'Occident en général et humilié la Grande-Bretagne en particulier. Ils ont décrédibilisé les enceintes de la diplomatie multilatérale (l'Union européenne, l'Organisation du Traité de l'Atlantique-Nord et l'Organisation des Nations Unies). Ils ont sublimé le double obstacle ethnique et confessionnel à la mobilisation de l'opinion arabo-musulmane, remobilisant le soutien des opinions publiques interne et régionale sans pour autant s'aliéner irréversiblement celui de l'opinion mondiale. Ils ont détourné l'attention de l'électorat iranien des difficultés socio-économiques. Ils ont raffermi son nationalisme en exacerbant le sentiment anti-impérialiste, en l'espèce anti-britannique. Ils ont démasqué les crypto-dissidents de l'establishment de politique étrangère et ont purgé le régime. Le guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, a su arbitré la compétition politique en appuyant alternativement les idéologues radicaux incarnés par le président Mahmud Ahmadinejad et les pragmatiques modérés emmenés par le conseiller pour la sécurité nationale Ali Larijani. Le téléphile président Ahmadinejad s'est enfin opportunément présenté, au dernier acte, tel un libérateur.
Mais l'administration Bush s'ajuste pour capitaliser sur l'après-crise et réaliser un gain à long terme. Les gains de la République islamique d'Iran sont provisoires voire contre-productifs. Ils cachent mal un coût perceptuel à long terme. L'administration républicaine anticipe que l'actuelle perception d'un rapport de forces favorable à Téhéran a vocation à s'estomper à mesure qu'émerge l'image d'une puissance qui se grise de sa propre ascension et verse dans l'hubris en abusant de l'intimidation. Elle est appuyée par la communauté internationale dans sa réprobation d'une diplomatie du chantage au bord du gouffre – une "diplomatie des otages" qui consiste à instrumentaliser la prise (et les confessions) d'otages comme outil de politique étrangère. Elle se montre capable d'une conduite tout à la fois humble, créative et ferme – oscillant au diapason d'une puissance moyenne alliée (Grande-Bretagne), alternant canaux de communication publics et privés et négociant sans concéder (publiquement). Elle profite de l'ostracisme qui frappe l'Iran pour remobiliser la communauté transatlantique sur l'enjeu nucléaire, resserrer l'étau des sanctions multilatérales et pressuriser un régime iranien encore plus vulnérable économiquement. Elle tire avantage du polycentrisme caractérisant le processus décisionnel de politique étrangère iranien en présentant un front uni alors que la crise expose crûment la fragmentation politique et les rivalités de pouvoir à Téhéran.
La configuration de l'après-crise pourrait aussi s'avérer un jeu à somme non nulle. L'affichage des volontés diplomatiques, l'exploration de canaux de communication alternatifs, la mise en place de procédures de prévention des conflits et la prise de conscience par les États-Unis et l'Iran de leur interdépendance complexe sur le dossier irakien pourraient permettre d'instaurer les mesures de confiance facilitant une coopération future. Chacun profiterait alors du nouvel équilibre post-crise.