mercredi 2 mai 2007

L'escalade militaire américaine gèle le conflit armé entre communautés irakiennes

L'escalade militaire américaine en Irak maintient le rapport de forces sur le terrain. Or, les communautés irakiennes retardent la réconciliation car chacune croit que ce rapport de forces lui est favorable et fait le calcul stratégique qu'elle a intérêt à prolonger le conflit. L'escalade est donc contre-productive en tant qu'elle gèle le conflit armé entre communautés irakiennes.

L'escalade militaire américaine en Irak maintient le rapport de forces sur le terrain. D'un côté, elle affaiblit le bras insurrectionnel de la minorité sunnite tout en renforçant son bras milicien. Le Plan de sécurité de Bagdâd et le déploiement supplémentaire dans la province d'Anbâr visent de facto les seuls groupes insurrectionnels sunnites tandis que les troupes américaines assistent les tribus sunnites qui organisent la lutte contre l'activité des djihadistes étrangers dans la province insurgée, notamment à Ramâdî. Elles soutiennent par exemple le Conseil du salut d'Anbâr – bras armé de la confédération tribale du Réveil. La minorité sunnite bénéficie de l'ascendant psychologique depuis qu'une exploration géologique a conclu que les dépôts d'hydrocarbures du désert occidental (zone d'habitat sunnite) contiendraient 100 milliards de barils de pétrole brut, ce qui placerait l'Irak au second rang des réserves pétrolières mondiales derrière l'Arabie saoudite mais devant l'Iran et procurerait aux Sunnites les moyens économiques de leurs aspirations politiques. De l'autre côté, l'escalade ne dégrade pas l'Armée du Mahdi – ni matériellement, ni moralement – après que Moqtada al-Sadr a décidé que la milice basculerait temporairement dans la clandestinité et l'inactivité, tout en épargnant au gouvernement Maliki les coûts – humains, matériels et moraux – de la contre-insurrection.

Or, les communautés ethno-confessionnelles irakiennes retardent la réconciliation car chacune croit que ce rapport de forces lui est favorable et fait le calcul stratégique qu'elle a intérêt à prolonger le conflit. Chacune des parties retarde délibérément la réconciliation. Chacune ajourne les concessions qui permettraient de parvenir à un compromis politique, instaureraient la confiance et faciliteraient la coopération. L'impasse politique résulte de ce que chacune perçoit un rapport de forces favorable et calcule qu'elle a intérêt à prolonger le conflit pour sécuriser ou augmenter ses gains dans une après-occupation qu'elle perçoit comme un jeu à somme nulle. Chacune perçoit que les gains de la continuation du conflit sont supérieurs non seulement à ses coûts mais encore au manque à gagner de la réconciliation. La majorité chiite lutte pour maintenir le statu quo afin de conserver les gains politiques réalisés depuis 2003. La minorité sunnite lutte pour subvertir l'ordre post-baasiste et revenir autant que possible au statu quo ante afin de compenser les pertes subies depuis la chute de l'ancien régime. Les Kurdes oscillent entre conservation et subversion de l'ordre établi selon l'enjeu. Les Chiites ont la capacité de défendre le gouvernement – via la mobilisation des milices qu'ils soutiennent plus ou moins activement et qui infiltrent largement les forces de sécurité – pour dénier toute concession aux Sunnites et conserver leur capacité de contrôle du pouvoir politique. Concéder impliquerait des Chiites qu'ils renoncent à certains avantages. Les Sunnites ont la volonté de pressuriser le gouvernement – via la nuisance du mouvement insurrectionnel qu'ils soutiennent plus ou moins activement – pour extraire des concessions des Chiites et renforcer leur capacité d'influence du pouvoir politique. Concéder impliquerait des Sunnites qu'ils renoncent à certaines demandes. Les Chiites freinent la promulgation des amendements et lois constitutionnels (sur l'amélioration de la représentation politique des minorités, la réforme de la dé-baasification, la péréquation des ressources et revenus du pétrole, la répartition des compétences entre le gouvernement central et les provinces, les élections provinciales ainsi que le désarmement, la démobilisation et la réintégration des milices) sous-tendant la réconciliation nationale. Le grand ayatollah Ali al-Sistani, autorité morale, rejette par exemple en avril le projet de re-baasification au motif qu'il reflèterait la volonté des représentants mais non celle des représentés. Les Chiites interfèrent aussi politiquement dans la conduite des opérations militaires pour protéger la base mahdiste. Le mouvement insurrectionnel sunnite maintient ses demandes politiques: l'annulation rétroactive du processus de transition, la dissolution du gouvernement, l'organisation d'élections, le démantèlement des appareils de sécurité mis en place sous l'occupation et la restauration de l'ancienne armée. Et il pose toujours des pré-conditions aux négociations: un engagement crédible pour le retrait complet des troupes de la Force multinationale-Irak, la reconnaissance formelle de la résistance irakienne, la libération des prisonniers, la compensation des pertes humaines et matérielles, et l'amorce d'un nouveau processus politique après la tenue d'élections générales.

Sortir de l'impasse implique notamment d'altérer le rapport de forces sur le terrain en affaiblissant définitivement l'une ou l'autre des parties pour la contraindre à concéder et à rechercher un compromis politique. L'escalade militaire américaine est donc contre-productive en tant qu'elle gèle le conflit armé entre communautés irakiennes.