mardi 17 juillet 2007

Washington et Moscou: du partenariat (dit) stratégique à la confrontation géopolitique

Le partenariat américano-russe (dit) stratégique noué au lendemain du 11 septembre 2001 dégénère en une confrontation géopolitique dans laquelle chacun cherche à renforcer sa capacité d'influence relative des gouvernements de l'espace post-soviétique. Puisque la politique russe post-Guerre froide de Washington est une constante – prévenir la résurgence diplomatico-stratégique de la Russie comme hégémon régional et puissance globale concurrente –, l'explication de cette dégénérescence réside dans l'évolution de la politique étrangère russe: Moscou réagit pour resurgir comme puissance diplomatique et stratégique régionale.

Moscou a connu une décote internationale de 1993 à 2001. Son impotence géopolitique, sa retraite stratégique, son déclin économique, l'aliénation de tous ses anciens satellites et de la plupart de ses anciennes républiques (hormis la Biélorussie) et la contraction subséquente de sa sphère d'influence (le reflux de la Baltique, d'Ukraine, du Caucase et d'Asie centrale) ont alimenté la dynamique majeure du système international de l'après-Guerre froide. Forte d'un consensus bipartisan, l'administration Clinton a capitalisé sur ce déclassement international de la Russie d'Eltsine pour encercler puis confiner l'ancienne puissance devenue inutile et prévenir sa résurgence diplomatico-stratégique comme hégémon régional et puissance globale. Elle a extrait du Kremlin de coûteuses concessions géostratégiques en contrepartie de son intégration symbolique au système économique international (adhésion au G8, etc.). Moscou a retiré ses troupes d'Europe. Il a toléré que Washington consolide les institutions de la Guerre froide après son terme. Il n'a guère résisté à la première extension de l'OTAN en 1999 (Hongrie, Pologne et République tchèque). Il est passé sous les fourches Caudines de l'Alliance atlantique en persuadant le président nationaliste de la Fédération yougoslave, Slobodan Milosevic, de capituler devant les forces de l'OTAN la même année. Moscou a recouvré une pertinence géostratégique le 11 septembre 2001. Il a su capitalisé sur l'effet d'aubaine des attentats en se rendant utile aux décideurs américains dans l'après après-Guerre froide. Ce partenariat (dit) stratégique lui a permis de retrouver un levier d'influence sur Washington et de profiter de l'environnement permissif résultant de l'élévation de la sécurité nationale (la lutte contre le terrorisme) au sommet de la hiérarchie des intérêts nationaux américains. Calibrant son engagement pour ménager sa minorité musulmane (1/7ème des 140 millions de Russes), il a muselé ses oppositions internes (oligarques et insurgés tchétchènes) et étendu sa sphère d'influence régionale en s'inscrivant dans le sillage de la projection des forces américaines. Il a accepté l'insertion de militaires américains en Asie centrale et a coopéré en matière de renseignement lors du succès initial de l'opération Enduring Freedom. Il a peu résisté à la deuxième extension de l'OTAN sur son flanc occidental aux États-tampons baltes et d'Europe centrale et orientale en 2004 (Estonie, Lettonie et Lituanie; Bulgarie, Roumanie, Slovaquie et Slovénie). Mais Moscou réagit pour resurgir comme puissance diplomatique et stratégique régionale depuis 2004. Là encore étayée par un consensus bipartisan, la politique russe de l'administration Bush a continué celle de son prédécesseur nonobstant les concessions de Moscou. La stratégie consiste toujours à contrebalancer, confiner voire déstabiliser la Russie dans l'espace post-soviétique pour prévenir sa résurgence diplomatico-stratégique comme hégémon régional et puissance globale concurrente, voir l'affaiblir encore un peu plus. Washington manœuvre, interfère, pénètre les sphères d'influence malaisément défendables de Moscou pour l'en exclure, soutient les forces politiques pro domo, forme l'opposition à accoucher par la manifestation de la démocratie, multiplie les exercices (et gesticulations) militaires voire intervient et contre-intervient par procuration. Il est devenu le principal acteur extrarégional de l'espace post-soviétique – avec Bruxelles près de la Mer Baltique, Ankara dans le Caucase et Pékin en Asie centrale. Le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld a redéployé à l'est (Bulgarie, Roumanie et Pologne) la structure des forces américaines héritée de l'ordre bipolaire. Fondations et organisations américaines ont apporté un soutien financier et organisationnel aux révolutions "colorées" qui ont subverti "l'étranger proche" (Géorgie, Ukraine et Kirghizstan) et exacerbé les ethno-nationalismes des républiques autonomes majoritairement non-russes de la Fédération (Bachkortostan, Tatarstan, Yakoutie, Touva, Karelie, Kalmukie et la plupart des républiques de la Fédération du Caucase du nord). Les intérêts géopolitiques conflictuels entre Washington et Moscou ont dès lors supplanté leurs rares intérêts énergétiques et économiques complémentaires. D'autant que le commerce bilatéral reste atone et que la diaspora russe aux États-Unis n'atteint pas une masse critique. Or, le président russe a depuis 2004 les moyens de sa volonté de puissance. Vladimir Poutine jouit – contrairement à George W. Bush – d'une marge de manœuvre politique et diplomatique grâce au soutien de son opinion publique mobilisée par la régénération de l'identité nationale (de surcroît en période de campagne présidentielle) et au levier de la pétro-diplomatie étayée par la prospérité du secteur public énergétique. Il réagit, qualifie l'effondrement de l'Union soviétique de "plus grande catastrophe géopolitique du 20ème siècle", met un terme à l'attentisme diplomatico-stratégique de son pays et passe de la défensive à l'offensive rhétorique et géopolitique pour consolider l'intégrité territoriale de la Fédération puis restaurer son rang. Percevant dans la faillite stratégique américaine en Irak et en Afghanistan une fenêtre d'opportunité, il préside à la résurgence diplomatico-stratégique du Kremlin comme puissance régionale en exploitant la perte de prestige (d'autorité morale et de crédibilité stratégique) de la Maison-Blanche. Il met en garde, affiche ses intentions et récuse les critiques. Lors de la 43ème conférence de Munich sur la sécurité en février dernier, il avertit d'abord l'administration Bush que son recours unilatéral à la force armée et son projet de système de défense anti-missile balistique en Europe encouragent la nucléarisation des États voyous et une nouvelle course aux armements. Il ambitionne ensuite ouvertement de multipolariser une distribution unipolaire de la puissance "inacceptable" et "impossible" pour devenir le partenaire indispensable de l'hégémon global. Il rejette enfin la critique d'une crispation autoritaire interne – encore adressée par le vice-président Richard Cheney dans son discours de Vilnius en mai 2006.

Certes, l'interaction entre l'hégémon global américain arrogant et la puissance régionale russe ressuscitée engendre des frictions géopolitiques. Et, rétrospectivement, le partenariat noué au lendemain du 11 septembre 2001 se révèle plus une parenthèse tactique qu'une étape stratégique. Mais il est prématuré d'évoquer une nouvelle Guerre froide. La lutte d'influence est encore une guerre des mots. La politique russe de Washington demeure réaliste et pragmatique – Condoleezza Rice résiste à la demande de Richard Cheney d'évincer Moscou du G8. Surtout, cette lutte reste limitée dans l'espace: les théâtres de la rivalité américano-russe jonchent l'aire post-soviétique découverte après le reflux impérial. Nous considérerons brièvement l'Europe centrale et orientale, les Balkans, le Caucase, l'Asie centrale et le Moyen-Orient.

Europe centrale et orientale

Washington et Moscou rivalisent d'abord en Europe centrale et orientale.

Washington promeut la mise en place d'un système de défense anti-missile balistique en Pologne et en République tchèque à laquelle Moscou s'oppose. Il soutient qu'un tel système le protègera (avec ses alliés) contre la menace balistique iranienne, déniera à Téhéran l'opportunité d'une politique du chantage et dissuadera la prolifération balistique, sans pour autant entamer la dissuasion stratégique russe puisqu'il ne soustraira ni les États-Unis, ni leurs alliés, à une seconde frappe. Mais Moscou considère que l'initiative nourrit ipso facto la perception d'une vulnérabilité russe et confirme la volonté de Washington d'exploiter les craintes polonaise et tchèque du voisin dominateur pour transformer leurs territoires en avant-postes militaires. Moscou escalade donc sa rhétorique et gesticule. Alors que Washington s'est retiré unilatéralement du traité Anti-Ballistic Missile en 2002 et que le traité Strategic Arms Reduction Talks I expire en 2009, il pressurise l'administration Bush: il la menace de subvertir le régime de contrôle des armements en suspendant sa participation aux traités sur les Forces armées conventionnelles en Europe et sur les Forces nucléaires intermédiaires. Poutine menace explicitement depuis août 2006 de se retirer du traité sur les Forces nucléaires intermédiaires et de déployer des missiles à courte portée dans l'enclave de Kaliningrad (ex-Königsberg allemande) si le projet américain aboutit. (Le traité de désarmement de 1987 vise l'élimination intégrale d'une classe d'armes en proscrivant le développement/déploiement de missiles balistiques et de croisière d'une portée moyenne à intermédiaire et en prescrivant la destruction des lanceurs terrestres.) Son ministre de la Défense d'alors (désormais premier ministre adjoint) Sergei Ivanov qualifie la signature de ce traité d'erreur devant la Douma en février dernier. Le commandant des forces balistiques stratégiques Nikolai Solovtsov annonce qu'il ciblera les installations européennes du système américain de défense anti-missile quelques jours après. Poutine embarrasse son homologue américain en proposant de coopérer à l'établissement d'un tel système de défense anti-missile lors du sommet du G8 début juin – il suggère d'utiliser un système de radars russe basé en Azerbaïdjan et d'installer des intercepteurs en Irak et/ou en Turquie. Le président russe concrétise enfin son avertissement du 26 avril, lors du discours sur l'état de l'Union devant le Parlement, en suspendant le 14 juillet la participation de la Russie au traité sur les Forces armées conventionnelles en Europe. (Ce traité signé en 1990 puis révisé en 1999 assure la sécurité européenne post-Guerre froide en plafonnant le niveau des forces et en interdisant toute concentration déstabilisante de forces militaires à l'ouest de l'Oural.) Le moratoire vise à convaincre Washington d'accepter l'offre du G8. Moscou allègue qu'aucun des membres de l'OTAN n'a ratifié la version révisée du traité. Ces membres excipent qu'ils ne la ratifieront que lorsque Moscou retirera les troupes de maintien de la paix qu'il conserve depuis les années 90 sur les territoires géorgien et moldave sans mandat onusien, i.e. en violation du traité sur les Forces armées conventionnelles en Europe.

Washington promeut aussi l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN. Sortir Kiev de l'orbite moscovite ferait perdre à la Russie le pivot géopolitique qui verrouille les Balkans comme le Caucase, lui offre une masse continentale garante de sa profondeur stratégique et lui permet d'entretenir une marine. Moscou a déjà perdu les tampons baltes. Il résiste donc à l'extravasion du principal instrument d'influence géostratégique occidental. Il encourage l'Ukraine orientale pro-russe à protester contre l'organisation d'exercices militaires multilatéraux incluant des troupes américaines. Il collabore avec le pilier Politique étrangère et de sécurité commune de l'Union européenne (UE) pour contrebalancer l'otanocentrisme européen et diviser l'Alliance atlantique. Il instrumentalise les cours énergétiques pour intimider ses clients européens alliés de Washington puis extraire des concessions géopolitiques. Il pratique le chantage énergétique également contre ses anciennes républiques: la crise du gaz contre Kiev en janvier 2006 (qui révéla du reste la vulnérabilité énergétique de Varsovie, Berlin et Rome) et la crise du pétrole contre Minsk en janvier 2007 l'illustrent.

Washington isole enfin le régime biélorusse. Provoquer son réalignement pro-occidental au sein de la "nouvelle Europe" (Donald Rumsfeld) en phase avec la politique étrangère et de sécurité nationale américaine (Royaume-Uni, Espagne, Italie, Pologne, Hongrie, Bulgarie et Roumanie) priverait Moscou de l'armé biélorusse (réputée la meilleure d'Europe centrale et orientale) et de profondeur stratégique après le rapprochement de sa première ligne de défense terrestre. L'administration Bush lance une campagne interne et internationale de promotion de la démocratie pour pressuriser le régime d'Alexander Loukachenko et distendre le lien entre le Kremlin et la "dernière véritable dictature au cœur de l'Europe" (Condoleezza Rice). Le Congrès vote en octobre 2004 le Belarus Democracy Act autorisant l'administration à soutenir et financer les formations politiques d'opposition pro-occidentales en Biélorussie. La Maison-Blanche sollicite aussi l'aide des voisins pro-occidentaux. Mais le lien Minsk-Moscou est ductile. Le Kremlin réagit en dépit de l'inimitié personnelle entre le pragmatique Poutine et l'idéologue Loukachenko (le premier craint que le second ne devienne président si l'union des deux pays était formalisée) aggravée par une guerre commerciale puis la crise du pétrole de janvier dernier. Il soutient Minsk, multiplie les sommets sur l'union des deux pays (i.e. l'absorption du second par le premier, même si Poutine craint que Loukachenko ne remporte la présidence de l'union), signe des accords de coopération technico-militaire, organise des exercices militaires conjoints, prévoit un embryon de politique étrangère commune et russifie l'économie biélorusse.

Balkans

Washington et Moscou rivalisent ensuite dans les Balkans.

Washington appuie l'indépendance formelle de la province serbe majoritairement albanaise du Kosovo (techniquement serbe quoique sous administration internationale depuis 1999) contre le gouvernement central de Belgrade – après avoir emmené sans mandat onusien l'opération de l'OTAN Allied Force contre les forces serbes en 1999 – tandis que l'UE conditionne l'adhésion de la Serbie à la résolution pacifique du conflit ethno-séparatiste sur le statut du Kosovo. L'administration Bush cherche à réapprécier auprès de la communauté musulmane une image dégradée par sa guerre de choix en Irak. Elle invoque le droit de la majorité albanaise à l'autodétermination, le passif historique serbe (massacres de Kosovars albanais) et la spécificité du cas kosovar. Moscou soutient au contraire Belgrade contre l'indépendance de jure du Kosovo après avoir condamné l'intervention militaire de 1999. Certes, le président Eltsine avait persuadé Milosevic de capituler devant les forces de l'OTAN cette année là. Mais Poutine cherche désormais à démontrer à ses alliés la fermeté de ses engagements et à jauger sa réémergence diplomatique et stratégique. Il prétend s'ingérer au nom de la solidarité slave, allègue le maintien du berceau historique de l'identité nationale serbe dans le giron de Belgrade et met en garde contre un précédent séparatiste.

Washington (et Kiev) appuie le rattachement formel de la province moldave industrielle majoritairement slave et russophone – et statutairement autonome – de Transnistrie au gouvernement central (moldave et roumanophone, pro-roumain et pro-UE) de Chisinau. Il approuve l'embargo économique en vigueur contre la province autonome depuis 2003 et exige de Moscou qu'il retire ses troupes de maintien de la paix (environ 2 500 hommes) déployées en Transnistrie depuis 1992 sans mandat onusien (i.e. en violation du traité sur les Forces armées conventionnelles en Europe). Moscou avait soutenu la sécession de la province moldave contre le gouvernement central (alors aidé par Bucarest dans la perspective d'une absorption à terme de la Moldavie) et continue donc de promouvoir au contraire son indépendance formelle. Maintenir des troupes en Transnistrie est un intérêt de sécurité nationale pour le Kremlin: ne pas exposer son flanc sud-ouest et conserver un pas-de-tir pour projeter sa puissance dans les Balkans et la Mer Noire. Moscou pourrait donc concéder pour préserver le statu quo: il accepterait la réintégration formelle de la Transnistrie à la Moldavie à terme en contrepartie du maintien de ses troupes pour une décennie supplémentaire.

Caucase

Washington et Moscou rivalisent aussi dans le Caucase, lequel revêt une valeur stratégique particulière pour Washington. La région est le point de transit pour exporter les ressources énergétiques caspiennes et centrasiatiques hors de l'espace post-soviétique (via le système d'oléoducs de la Mer Caspienne) et approvisionner les troupes américaines (et otaniennes) en Afghanistan. Elle est aussi un trait d'union – en même temps qu'un tampon – entre l'Occident et l'espace arabo-musulman. La Maison-Blanche et le Kremlin rivalisent principalement sur les enjeux de l'insurrection tchétchène et des conflits "gelés" des anciens États soviétiques (l'Azerbaïdjan, l'Arménie et la Géorgie).

Washington soutient politiquement les groupes insurrectionnels qui réclament l'indépendance formelle de la république autonome de Tchétchénie par rapport à la Fédération de Russie (les insurgés islamistes réclament en plus des nationalistes l'établissement d'un califat) contre le gouvernement central de Moscou. Il cherche à éroder les forces matérielles et morales de ce dernier sans pour autant désintégrer sa structure fédérative (ou s'accommoder avec le régime afghan des Talibans qui seul avait reconnu la déclaration d'indépendance tchétchène). Il instrumentalise Ankara pour confiner l'influence russe dans la sous-région en acceptant qu'il aide financièrement les insurgés tchétchènes. Il tolère le soutien financier des organisations criminelles des anciennes républiques soviétiques et des organisations wahhabites saoudiennes. Il accepte enfin que les forces spéciales britanniques entraînent des recrues musulmanes à la fabrication puis au maniement des explosifs. Le président et le Congrès pressurisent Moscou depuis le déclenchement de la Seconde guerre de Tchétchénie en 1999 (après que des insurgés islamistes ont lancé une offensive chez la république voisine du Daghestan) pour qu'il négocie une solution politique, plutôt que militaire, avec le "bon grain" nationaliste de l'insurrection. L'influent groupe à tendance néo-conservatrice American Committee for Peace in Chechnya, coprésidé par l'ancien conseiller pour la sécurité nationale de Carter (Zbigniew Brzezinski) et l'ancien secrétaire d'État de Reagan (Alexander Haig), réclame la libération du peuple tchétchène déporté en 1943-4 puis réinstallé en 1957. Moscou perçoit dans le conflit une menace à ses intérêts nationaux vitaux: l'indépendance tchétchène accélérerait la fragmentation politique, voire la désintégration, de la Fédération en alimentant les dynamiques sécessionnistes au Daghestan, chez les républiques de la Fédération du Caucase du nord, dans l'enclave de Kaliningrad et sur les îles Kouriles. Il taxe Washington de mener une politique du double standard en préconisant en Tchétchénie ce qu'il rejette en Irak – négocier une solution politique avec les insurgés. Il lui impute de soutenir militairement le mouvement insurrectionnel via un réseau de fondations américaines, parmi lesquelles Chechen Relief Expenses, International Relief Association, Islamic Relief Worldwide ou encore Islamic Circle of North America.

Washington, nonobstant une diaspora arménienne active, soutient de plus en plus Bakou contre Erevan dans le conflit irrédentiste-séparatiste sur l'enjeu de l'enclave azérie majoritairement arménienne du Haut-Karabagh. Il réduit son aide économique (de moitié) et militaire (du tiers) à sa destination. Des considérations énergétiques et géopolitiques expliquent l'ajustement. L'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan opérationnel depuis 2005 (et auquel Moscou s'était opposé) permet d'acheminer directement le pétrole caspien vers la Méditerranée en évitant les territoires iranien et russe et en décongestionnant le trafic de la Mer Noire au niveau du détroit du Bosphore. Le rapprochement avec Bakou permet de contrebalancer celui Téhéran-Erevan-Moscou et de consolider son influence sur un verrou géopolitique régional. En dépit d'une base stratégique à Gabela en Azerbaïdjan (un système de radars), Moscou soutient (avec Téhéran) de plus en plus le gouvernement arménien. Les motivations sont énergétique, géostratégique et identitaire. Moscou souhaite participer à la coopération gazière arméno-iranienne. Il veut multiplier les installations militaires sur le territoire arménien après son retrait complet de Géorgie fin juin. Il est solidaire d'une enclave chrétienne orthodoxe dans un environnement musulman.

Washington (et les autres membres de l'OTAN) soutient le gouvernement central de Tbilissi contre les provinces de facto indépendantes d'Abkhazie et d'Ossétie du sud qui cherchent leur rattachement formel (respectivement) à la Fédération de Russie et à l'Ossétie du nord (une république autonome de la Fédération). Washington reproche à Moscou d'y conserver des forces de maintien de la paix sans mandat onusien depuis la décennie 90, là encore en violation du traité sur les Forces armées conventionnelles en Europe. Les Géorgiens majoritairement chrétiens orthodoxes diffèrent ethniquement des Abkhazes comme des Ossètes et religieusement des premiers (majoritairement musulmans). Si contrairement aux Adjars les Abkhazes et les Ossètes n'ont pas de communauté ethnique et religieuse avec les Géorgiens, Tbilissi dispose néanmoins de l'ascendant psychopolitique face aux séparatismes ethno-confessionnels depuis qu'il a formellement réintégré la province autonome d'Adjarie en 2004. Moscou décrie le soutien financier et organisationnel apporté par certains groupes américains à la révolution "des roses" en 2003 (le Freedom House, le National Endowment of Democracy et l'Open Institute de George Soros ont soutenu la première des révolutions "colorées" de l'espace post-soviétique avant celle "orange" en Ukraine et "des tulipes" au Kirghizstan). Il appuie les gouvernements provinciaux autoproclamés abkhaze et ossète sans pour autant les reconnaître expressément. Il les assiste en matière de renseignement et d'infrastructures. Il entretient une relation privilégiée avec Soukhoumi, l'ancien cœur de l'industrie touristique soviétique. Il manipule les indépendantismes pour intimider Tbilissi et le dissuader d'intégrer l'OTAN. Il proteste contre l'organisation d'exercices militaires en Géorgie dans le cadre du Partenariat pour la Paix et contre la construction de bases militaires au standard OTAN (Senaki et Gori). Tbilissi retarde en contrepartie l'adhésion russe à l'Organisation mondiale du commerce.

Asie centrale

Washington et Moscou rivalisent également en Asie centrale, laquelle revêt aussi une valeur stratégique particulière pour Washington. La région est riche de ressources énergétiques, minérales et hydrique. Elle est le point de transit pour approvisionner les troupes américaines (et otaniennes) en Afghanistan. Washington cherche à assurer le libre accès au pétrole centrasiatique et son transport sûr hors de l'espace post-soviétique. Il veut notamment désenclaver le Kazakhstan. Mais les forces armées américaines s'enlisent en Afghanistan.

Moscou capitalise sur la paralysie stratégique des États-Unis en Asie centrale pour y étendre sa sphère d'influence. Il emmène seul l'Organisation du traité de sécurité collective et initie le "triangle stratégique" Moscou-Pékin-Dehli. Il promeut l'Organisation de coopération de Shanghai – organisation de sécurité collective (se politisant parfois) qui est emmenée par le couple sino-russe, affiche l'intention de rivaliser avec l'OTAN ("OTAN orientale"), compte Téhéran parmi ses observateurs et réclame déjà publiquement le retrait des forces américaines d'Asie centrale – et multiplie les démonstrations militaires multilatérales (ainsi l'exercice Peace Mission 2007 en août). Il rationalise les structures de l'intégration économique des anciennes républiques soviétiques en fusionnant l'Organisation de coopération de l'Asie centrale (Russie, Kazakhstan, Ouzbékistan, Kirghizstan et Tadjikistan) et l'Union économique eurasienne (les mêmes moins l'Ouzbékistan et plus la Biélorussie) pour éviter la duplication des activités et créer à terme un nouveau marché commun eurasiatique. Il dénonce les ingérences étrangères lors de la révolution "des tulipes" au Kirghizstan en 2005. Il reconduit ses accords de sécurité avec le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan. Il développe une relation spéciale avec Astana, établit une base militaire à Kant (Kirghizstan) et persuade les gouvernements de Tachkent (pourtant antirusse) et Bichkek de remettre en cause la présence militaire américaine sur les bases qui servent à la conduite de l'opération Enduring Freedom (respectivement Karchi-Khanadad et Manas).

Moyen-Orient

Washington et Moscou rivalisent enfin par procuration sur le théâtre périphérique du Moyen-Orient.

Washington est frappé de discrédit diplomatico-stratégique dans la région depuis qu'il a déclenché sa guerre de choix en Irak en 2003. Moscou profite de la décote régionale des États-Unis, scelle des mariages de raison et réinvestit le processus de paix israélo-arabe pour élargir le champ des marchandages avec l'administration républicaine et se réimposer comme un acteur régional incontournable. Si le Kremlin améliore ses relations bilatérales avec Tel-Aviv depuis la fin de la Guerre froide et s'il ne remet pas en cause l'asymétrie militaire régionale, le gouvernement israélien finance toutefois ses oppositions politiques en Ukraine (antirusses) et en Russie (anti-Poutine). Le premier retisse donc les liens avec ses anciens clients: il assiste le programme nucléaire iranien à Bushehr, il allège la dette syrienne et il vend des systèmes d'armes offensifs à Damas et Téhéran (notamment des avions de combat). Il courtise les alliés traditionnels des États-Unis, proposant une assistance nucléaire à Riyad et au Caire. Il soutient le Hamas rejectionniste contre le Fatah conciliant, refusant de l'inscrire sur sa liste des organisations terroristes et recevant Khaled Mashaal en février 2006.