vendredi 26 décembre 2008

Obama et l'amorce d'une politique de la main tendue

Si les États-Unis continueront invariablement de gérer leurs relations internationales en vue de maximiser la poursuite de leurs intérêts nationaux, la nouvelle administration Obama, héritant d’une influence internationale en déclin, devrait amorcer une politique de la main tendue pour restaurer le leadership international américain et résoudre certains conflits en cours.

 

Les pesanteurs de la « grande stratégie » des États-Unis

 

Invariablement, les États-Unis continueront de gérer leurs relations internationales en vue de maximiser la poursuite de leurs intérêts nationaux. La formulation de la politique étrangère n’échappera pas à, au moins, trois pesanteurs de la « grande stratégie » des États-Unis qui jouent comme autant de facteurs limitant le champ des options.

Premièrement, les États-Unis s’efforceront toujours de maintenir leur périmètre de sécurité. La géopolitique de l’insularité a nourri une psychologie du sanctuaire territorial. Il s’agit pour eux de contrôler les approches maritimes du continent nord-américain – donc de dominer les océans – tout en en consolidant leur emprise sur ce continent pour assurer leur profondeur stratégique. En malmenant le mythe de l’immunité territoriale, les attentats du 11 septembre 2001 ont renforcé cette préoccupation sécuritaire.

Deuxièmement, les États-Unis s’efforceront toujours de maintenir leur domination au sein du système interétatique. Ayant pris acte de l’ordre institutionnel international, il s’agit pour eux d’abord de préserver leur leadership international au sein de la structure interétatique de la gouvernance mondiale (ONU, Banque mondiale, FMI, OMC, etc.)[1], ensuite de préserver la légitimité de cette structure (en l’ajustant à la nouvelle distribution de la puissance via l’inclusion des émergents – Chine, Brésil, Inde – dans le concert des grandes puissances) et enfin de préserver la légitimité de leur rôle au sein de celle-ci (en se présentant comme les garants en dernier ressort de la paix et de la sécurité internationales). Dans cette perspective, le multilatéralisme n’est pas un fin per se, mais simplement un des moyens de la fin qu’est la préservation de l’hégémonie américaine.

Ce qui implique, troisièmement, que les États-Unis s’efforceront toujours de prévenir l’émergence de toute puissance plus (puissance globale concurrente) ou moins (puissance régionale hégémonique) potentiellement contestataire de leur primauté dans les relations internationales. Aussi continueront-ils à diviser l’Eurasie pour freiner son émergence et y prolonger leur propre influence, à entretenir un système d’alliances militaires global garant de la « pax americana », à pérenniser des alliances « stratégiques » avec les États qui partagent leurs intérêts sécuritaires (Égypte, Israël, Jordanie, Australie, etc.) comme avec les « alliés majeurs non OTAN » (Koweït, Qatar, Thaïlande, Philippines), et à être les alliés naturels des puissances, petites ou moyennes, recherchant un contrepoids extrarégional pour contrebalancer l’hégémonie d’un voisin (Taiwan face à Beijing, les pétromonarchies de la péninsule arabique coincées entre Riyad et Téhéran, les pays d’Europe centrale et orientale intercalés entre Berlin et Moscou, etc.).

Mais l’influence internationale des États-Unis décline.

 

Une influence internationale en déclin

 

L’influence globale des États-Unis décline : leur prestige international est au plus bas dans un paysage global dont la mue s’accélère.

D’une part, le prestige international des États-Unis est au plus bas. Certes, ils sont encore la première (super)puissance économique, militaire, technologique et culturelle. Et ils jouissent toujours d’une démographie industrielle à l’âge postindustriel. Pendant les deux mandats du Président George W. Bush, le soutien à leur action politique extérieure s’est néanmoins érodé au sein de la communauté internationale. Nombreux sont les facteurs qui, depuis huit ans, ont sapé le leadership coopératif, l’autorité morale et la crédibilité diplomatique et stratégique des États-Unis :

  • Une formulation de la politique étrangère à forte teneur idéologique en général et aux accents messianiques et martiaux en particulier.
  • Les préférences accordées à l’unilatéralisme, aux alliances militaires bilatérales ad hoc et aux accords commerciaux bilatéraux aux dépens, respectivement, des organisations et traités internationaux, des alliances multilatérales permanentes et de la mise en place d’un système commercial ouvert et multilatéral.
  • Le mépris affiché pour la diplomatie classique avec « l’ennemi », souvent qualifiée d’apaisement.
  • Le dévoiement d’une « guerre globale contre le terrorisme » nivelant les standards moraux américains (Guantánamo, Abou Ghraib, etc.).
  • La personnalisation excessive – i.e. la désinstitutionnalisation – des relations bilatérales et multilatérales.
  • Des reconfigurations d’alliances dans la géopolitique de l’après-11 septembre 2001 préjudiciables à certains partenaires.
  • Une certaine instrumentalisation idéologique des programmes d’aide étrangère.
  • Et, bien sûr, la faillite géopolitique et les enlisements stratégiques sur les théâtres d’opérations afghan et irakien.

Autant de raisons pour lesquelles la détérioration de l’image des États-Unis s’est généralisée. Globalement, leur rôle dans les relations internationales est désormais considéré comme aussi négatif et crisogène que ceux de l’Iran, de la Corée du Nord et d’Israël. En Europe, leur leadership international est moins désiré que pendant la décennie 90. Dans les pays musulmans stratégiques comme l’Indonésie et la Turquie, leur action politique extérieure est très largement réprouvée. La confiance dans le Président George W. Bush a atteint un abîme inégalé pour un chef d’État américain en Turquie, en Espagne, en France, en Russie, en Allemagne, en Chine et même en Inde et au Royaume-Uni !

Pis, la détérioration de l’image des États-Unis a nourri des dynamiques géopolitiques et géostratégiques contreproductives pour leurs intérêts : la promotion de la démocratie est disqualifiée par la perception de doubles standards confinant à l’hypocrisie ; l’incubation d’un « syndrome irakien » exacerbe la tentation de l’introversion stratégique[2] ; les opinions publiques européennes réclament davantage l’autonomisation du couple PESC/PESD aux dépens de l’OTAN ; ou encore la Turquie s’éloigne pour se rapprocher des États du Moyen-Orient en général et de l’Iran en particulier.

D’autre part, la mue du paysage global s’accélère. Cette accélération de la mue du paysage global se traduit principalement par la multipolarisation de la puissance et la complexification des relations internationales.

D’un côté, la distribution de la puissance au sein du système international est de plus en plus multipolaire. Les mythes du « moment unipolaire » et de la « nation indispensable » ont vécu. L’Asie défie les vieilles puissances établies. La diffusion des nouvelles technologies de l’information et de la communication accélèrent la « désoccidentalisation » de la mondialisation – y compris sur le plan des valeurs du modèle culturel global. Le nouveau centre de gravité du paysage global est désormais ancré à l’Est. Au sein du système international polycentrique qui émerge, la puissance américaine est moins indispensable.

De l’autre côté, les relations internationales sont de plus en plus complexes. De nouvelles conflictualités apparaissent (conflits de légitimité, cyber-conflictualité) et d’anciennes réapparaissent (conflits de souveraineté, rivalités de puissance – qui prennent la forme de politiques de sphères d’intérêt et de manœuvres de zones d’influence –, compétition pour l’accès aux – et le transit des – ressources énergétiques) dans une ambiance de renationalisation de la politique internationale et de fragmentation subséquente du système international. Les nouvelles menaces prolifèrent, de la contestation des acteurs armés non étatiques contre le monopole étatique de la violence légitime (Liban, Territoires palestiniens, etc.) au réchauffement de conflits gelés (Abkhazie, Ossétie du Sud, etc.) en passant par la transnationalisation des conflits intercommunautaires (le « croissant chiite ») et le renforcement de l’islam politique radical dans « l’arc de crises » qui s’étire de l’Afrique à l’Asie.

 

L’amorce d’une politique de la main tendue

 

Si elle visera toujours le maintien de la domination internationale des États-Unis, la nouvelle administration Obama souhaitera réapprécier leur image à l’étranger et ajuster leur politique étrangère aux paramètres du nouveau paysage global. C’est la raison pour laquelle elle devrait amorcer une politique de la main tendue et faire des gestes de bonne volonté afin de restaurer le leadership international des États-Unis, tenter de résoudre certains des conflits dans lesquels ils sont impliqués et aplanir leurs différends.

Généralement, cette politique de la main tendue devrait réhabiliter la noblesse de la diplomatie (comme gestion des relations internationales par la négociation), ouvrir une nouvelle ère d’empathie stratégique et se traduire par une démarche de politique étrangère plus multilatérale et plus inclusive.

Concrètement, la nouvelle administration démocrate pourrait tenter pêle-mêle de :

  • Restaurer l’autorité morale des États-Unis en mettant fin aux dévoiements de la « guerre globale contre le terrorisme » (Obama devrait condamner les errements passés – arrestations arbitraires, détentions secrètes, extraditions illégales, techniques d’interrogatoire agressives, tortures –, fermer le camp de Guantánamo et les prisons secrètes de la CIA, mettre un terme aux transferts de prisonniers vers des pays où ils risquent d’être maltraités) et en redémarrant une promotion active des droits de l’homme (il devrait promouvoir la liberté et la démocratie en général, encourager des élections libres et pluralistes en Égypte ou encore consolider l’État de droit au Pakistan en particulier).
  • Améliorer les relations transatlantiques en élargissant le nouvel agenda transatlantique (de la relance du processus de paix israélo-arabe au paquet énergétique en passant par les pourparlers de paix israélo-syrien et la révision des postures nucléaires en faveur du désarmement nucléaire militaire) et en institutionnalisant, autant que possible, le rapprochement ainsi opéré.
  • Apaiser la Russie en ralentissant – voire en différant – l’élargissement de l’OTAN, en renonçant à l’installation du bouclier antimissile en Pologne et en République tchèque, et en engageant une réflexion sur la proposition russe d’une nouvelle architecture de sécurité euro-atlantique.
  • Stabiliser « l’arc d’instabilité » en reprenant son rôle de médiateur impartial du processus de paix israélo-palestinien et en favorisant pragmatiquement les camps des « modérés » lors des élections qui se dérouleront en 2009 dans sept de ses pays (Palestine, Israël, Liban, Irak, Iran, Afghanistan et Inde).
  • Réengager l’Iran en ouvrant à Téhéran une section d’intérêts diplomatiques américains, en lui reconnaissant le statut de protagoniste régional dans le Golfe arabo-persique et en accédant à sa demande d’un « grand marchandage » (une négociation globale plutôt que des négociations au cas par cas) sur l’Afghanistan, l’Irak, le Liban, l’énergie et le développement économique.

 

*

 

Bien sûr, de tels gestes peuvent échouer face à des interlocuteurs qui, de mauvaise volonté, refuseraient de serrer la main tendue. Amorcer une politique d’engagement conserve cependant un avantage : c’est le préalable légitimant pour dénoncer le gâchis d’une opportunité de sortie de crise et durcir une politique.



[1] Suivant une convention informelle, Washington choisit le président de la Banque mondiale parmi ses nationaux depuis 1946.