mercredi 18 avril 2007

Sadr augmente la pression contre l'occupant mais renforce le gouvernement?

Le retrait des ministres sadristes du gouvernement irakien est généralement présenté comme le reflet du processus de fragmentation politique de la coalition parlementaire majoritaire chiite en raison de rivalités liées à la compétition pour le pouvoir. Or, si Moqtada al-Sadr augmente la pression politique et militaire contre l'occupant américain, le gouvernement irakien est paradoxalement renforcé par le retrait des ministres sadristes tandis que l'administration Bush feint ne pas comprendre.

Moqtada al-Sadr augmente la pression politique et militaire contre l'occupant américain. Alors que les succès tactiques relatifs des troupes américaines sur le terrain ne se traduisent pas encore par un progrès opératif, Sadr escompte conserver ainsi l'initiative stratégique. Il évince le 5 avril deux parlementaires qui se sont entretenus avec le commandant des troupes américaines en Irak – le général David Petraeus – au cours d'une réception organisée la veille chez l'ancien premier ministre Ibrahim al-Jaafari. La décision trahit moins une polarisation interne sur l'enjeu de la présence des troupes étrangères qu'elle ne confirme une posture nationaliste populaire. Il organise le 9 avril (à l'occasion du quatrième anniversaire du renversement du régime baasiste) des manifestations dans les rues des villes saintes de Koufa et Nadjaf pour réclamer le retrait des "forces d'occupation" et l'assurance qu'aucune base militaire étrangère ne sera établie sur le territoire irakien. Ces manifestations pacifiques et nationalistes confirment le double choix stratégique du mouvement sadriste: participer au processus politique et promouvoir l'unité nationale. Ces manifestations de masse disciplinées vérifient aussi les capacités mobilisatrice et organisationnelle du mouvement. Sadr accroît encore la pression le 16 avril en retirant ses six ministres du gouvernement de Nouri al-Maliki tout en maintenant ses 30 représentants dans la coalition parlementaire majoritaire chiite, l'Alliance irakienne unie. Il a déjà boycotté le gouvernement et le parlement pendant deux mois pour protester contre la rencontre entre le premier ministre irakien et le président américain à Amman (Jordanie) fin novembre. En optant pour la manœuvre calibrée d'un soutien parlementaire sans participation gouvernementale, il entend cette fois protester contre le refus de Maliki – nonobstant les manifestations de masse du 9 – de fixer un calendrier pour le retrait des troupes étrangères, sans pour autant basculer dans l'opposition parlementaire et provoquer un reclassement de majorité. L'Alliance reste divisée sur la présence de la Force multinationale-Irak: le premier ministre maintient que la décision d'un retrait doit être déterminée par la situation sécuritaire concrète sur le terrain. Sadr augmente simultanément la pression militaire. Si l'Armée du Mahdi n'oppose pas de résistance à la mise en œuvre du Plan de sécurité de Bagdâd amorcé le 14 février dernier – elle demeure dans la clandestinité, inactive –, elle résiste ouvertement au lancement de l'opération conjointe américano-irakienne Black Eagle le 6 avril dans la ville d'al-Diwaniyah. Le mouvement sadriste est tenté de réactiver son bras armé, non seulement pour protéger une communauté chiite dorénavant vulnérable dans Bagdâd, mais encore pour compenser l'amputation partielle de son bras politique – la perte du levier d'action gouvernemental. Le volume de l'activité de la milice dans la capitale se jauge déjà à l'aune des victimes d'exécutions sommaires collectées dans les rues.

Paradoxalement, le gouvernement irakien est renforcé par le retrait des ministres sadristes. Certes, Sadr est gagnant. Son mouvement se distance d'un cabinet qualifié de collaborateur, communautaire et corrompu pour réapprécier son image d'indépendance et restaurer sa liberté d'action parlementaire – la manœuvre prive effectivement le gouvernement irakien comme l'administration Bush d'un moyen d'influence sur le mouvement sadriste. Il pressurise un gouvernement politiquement vulnérable pour renforcer sa capacité de marchandage et extraire des concessions sur ses revendications nationalistes (le retrait des "forces d'occupation" et le transfert des prisonniers détenus par elles aux autorités irakiennes). Mais le gouvernement irakien n'est pas perdant pour autant. Il s'agit au contraire d'un jeu à somme positive. Sadr et Maliki, lesquels cherchent à assurer leur survie politique, sont mus par un intérêt mutuel: prévenir le retour au pouvoir de l'ancien premier ministre modéré, laïc et non-communautaire Iyad Allawi. Ils ont par conséquent intérêt à s'entendre pour jouer des rôles complémentaires faisant valoir à chacun une légitimité supplémentaire. D'où l'hypothèse d'une manœuvre concertée gagnant-gagnant. En purgeant le cabinet des radicaux sadristes, en le recentrant via une technocratisation synonyme de dé-communautarisation, Maliki crée l'opportunité de former un authentique gouvernement d'union nationale pour apprécier son image auprès de la communauté arabe sunnite irakienne et des régimes sunnites voisins, et ce en vue d'accélérer la réconciliation nationale et de favoriser la stabilisation de l'Irak. Sadr et Maliki ont donc pu s'entendre pour initier un remaniement ministériel limité – la dé-communautarisation partielle du cabinet –, donc gérable, qui suscite une dynamique de reconfiguration des rapports de force politiques – la dé-polarisation du système partisan – en vue d'ôter sa raison d'être et son pouvoir d'attraction au programme d'Allawi.

L'administration Bush feint pendant ce temps ne pas comprendre, réaffirmant son soutien au cabinet Maliki tout en interprétant positivement le retrait des ministres sadristes. Le secrétaire à la Défense Robert Gates entame le 17 avril une tournée au Moyen-Orient (Jordanie, Égypte et Israël) pour mobiliser le soutien des régimes sunnites alliés de la région au gouvernement irakien – souvent taxé d'être sous influence iranienne, communautaire, incompétent, corrompu et faible – fraîchement remanié. Il déclare le même jour que le retrait est l'opportunité de nommer des ministres compétents et de progresser sur la voie de la réconciliation nationale.