Plusieurs formations radicales ont récemment irakisé leur image et affirmé leur nationalisme dans la perspective des prochaines élections générales, confirmant la dynamique centripète du système politique irakien amorcée par le Courant sadriste début avril.
Quatre groupes insurrectionnels sunnites nationalistes ont d'abord créé une alternative insurrectionnelle autonome à l'égard des insurgés djihadistes, se présentant ainsi comme des interlocuteurs valables pour négocier un cessez-le-feu. L'Armée islamique en Irak, l'Armée des moudjahidin, les Partisans de la Sunna et les Brigades de la révolution de 1920 ont formé le Front du djihad et de la réforme, organisation parapluie qui décline l'allégeance à l'État islamique en Irak dont elle rejette le terrorisme indiscriminé. S'ils nouent des alliances opératives ad hoc en capitalisant sur leurs intérêts communs – la résistance aux occupations étrangères (américaine et iranienne) et la subversion du gouvernement irakien –, insurgés nationalistes et djihadistes divergent au plan stratégique. Les premiers cherchent en Irak à renforcer l'influence de la minorité sunnite, non à établir un État islamique qui serve de pas-de-tir à la mise en place d'un califat panislamique. Ils se battent pour l'Irak suivant un agenda national qui se préoccupe de l'après-occupation, non pour la nation musulmane suivant un agenda transnational. Ils considèrent donc l'Irak comme une fin et un milieu, non un moyen et un tremplin.
La principale formation politique chiite pro-iranienne a ensuite renoncé à son projet révolutionnaire et s'est distancée de l'autorité de Téhéran, s'ajustant ainsi à la situation politique post-baasiste pour sublimer l'obstacle nationaliste à la mobilisation de l'électorat. Le Conseil suprême pour la révolution islamique en Irak s'est renommé Conseil islamique irakien suprême et s'est engagé à suivre l'autorité spirituelle du grand ayatollah Ali al-Sistani plutôt que celle du guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei. La quête d'une identité irakienne s'inscrit dans le cadre des rivalités de pouvoir avec le Courant sadriste au sein de l'Alliance irakienne unie et continue une distanciation avec Téhéran entamée dès 2003. Le Conseil est un parti de cadres fondé en 1982 par des exilés irakiens chiites bourgeois avec l'aide de l'Iran pour lutter contre le régime baasiste et lui substituer une hiérocratie décalquée du modèle khomeyniste. Il promeut la fédéralisation de l'État centralisé irakien et manipule la rhétorique anti-baasiste. Le Courant est un parti de masse créé en 2003 qui recrute parmi les déshérités de Sadr City, Nadjaf et Koût pour lesquels il joue un rôle social important. Il soutient l'organisation unitaire centralisée de l'État irakien et manipule la rhétorique anti-américaine. Il nourrit un mépris socio-nationaliste résiduel pour la communauté des exilés chiites rentrés d'Iran après le changement de régime en Irak sans avoir directement subi la dictature baasiste. Si le Conseil reste proche des Pasdaran iraniens qui le financent, son président Abdul Aziz al-Hakim entretient une relative distance à leur égard depuis qu'il a acquis la conviction qu'ils ont commandité l'assassinat de son frère (Muhammad Bakr al-Hakim, alors président du Conseil) en 2003 pour ses inclinations "anti-révolutionnaires (i.e. pro-américaines) après la chute du régime.
La plus puissante organisation politico-religieuse sunnite a enfin retiré son soutien moral à l'Organisation al-Qaida en Mésopotamie, coupant ainsi court aux accusations d'ambivalence pour se positionner en vue d'une participation politique conventionnelle. L'Association des oulémas musulmans est une formation politique créée en 2003 qui représente 3 000 mosquées et joue le rôle d'acteur pivot en tant que trait d'union entre les acteurs politiques sunnites conventionnels (dans le gouvernement: le Front de la concorde irakien) et non-conventionnels (hors du gouvernement: le mouvement insurrectionnel). Elle considère que l'occupation étrangère entache d'illégitimité le processus politique post-baasiste et, par conséquent, elle a boycotté les scrutins de 2005, elle ne reconnaît pas le gouvernement légal et elle refuse le processus de réconciliation nationale tant que ses demandes inconditionnelles ne sont pas satisfaites (le retrait immédiat et complet de la Force multinationale-Irak, l'organisation d'élections générales et l'élaboration d'une nouvelle Constitution). Elle rejette le fédéralisme ethno-confessionnel du Conseil islamique irakien suprême. Le secrétaire général de l'Association, le cheikh Harith al-Dhari, entretient ses connexions avec le mouvement insurrectionnel et justifie la "résistance honorable" contre l'occupant. Il est l'autorité morale de l'insurrection. Son fils, Muthana, assure la liaison entre l'Association et les insurgés nationalistes. Son neveu, Harith Dhakir Khamis al-Dhari, commandait les Brigades de la révolution de 1920. S'il condamnait parfois le terrorisme indiscriminé, Al-Dhari soutenait moralement l'Organisation al-Qaida en Mésopotamie qualifiée de "pan de la résistance". Mais son influence s'érodait à mesure que les tribus sunnites et les insurgés nationalistes modérés qui luttent contre les insurgés djihadistes radicaux lui reprochaient son ambivalence. Il avait déjà décliné l'allégeance à l'État islamique en Irak, considérant qu'il desservirait les intérêts sunnites en ne représentant qu'une minorité du mouvement insurrectionnel. L'assassinat de son neveu (le commandant des Brigades de la révolution de 1920) par l'Organisation al-Qaida en Mésopotamie fin mars, lequel s'apprêtait à rallier le Conseil du salut d'Anbâr, l'a finalement convaincu de retirer son soutien tacite.
Ces trois réalignements nationalistes confirment la dynamique centripète du système politique irakien amorcée par le Courant sadriste début avril. Moqtada al-Sadr a depuis affirmé sa posture nationaliste dans la perspective des prochaines élections générales en organisant des manifestations massives pour réclamer le retrait des "forces d'occupation", en retirant ses ministres d'un gouvernement taxé de communautarisme, en purgeant l'Armée du Mahdi des factions extrémistes insubordonnées, en multipliant les appels à destination de la minorité sunnite, en formant une Commission de la réconciliation nationale au sein de son mouvement et en préservant son autonomie vis-à-vis de Téhéran. Les autres formations politiques se réalignent donc par mimétisme: elles font le choix stratégique de promouvoir l'unité et la réconciliation nationales pour mobiliser un électorat pan-communautaire.