Le parti républicain a perdu tous les leviers institutionnels du pouvoir fédéral depuis sa double défaite présidentielle et parlementaire le 4 novembre dernier. La responsabilité de cet échec est moins imputable au candidat qu’au parti, elle est plus collective qu’individuelle. La panne politique du parti résulte de ce qu’il a asséché son réservoir d’idées comme son réservoir d’électeurs.
Un réservoir d’idées asséché
Le parti républicain a asséché son réservoir d’idées d’une part, car il s’est asphyxié intellectuellement et il a trahi ses propres idées dans la pratique.
L’asphyxie intellectuelle du parti procède de ce qu’il a tari ses sources d’idées en exacerbant un anti-élitisme confinant à l’anti-intellectualisme (héritage de la « culture war » des années 60 entretenu ultérieurement par la « redneck strategy ») et en mobilisant sur les seuls enjeux socioculturels et les valeurs (l’avortement, les droits des homosexuels, les cellules souches embryonnaires, etc.) aux dépens des enjeux socioéconomiques et des préoccupations quotidiennes (l’assurance-santé, l’emploi, l’éducation, etc.). Le parti s’est progressivement déphasé des enjeux nationaux structurants du moment – la stagnation des revenus du travail, le réchauffement climatique, les évolutions démographiques, etc. Il a été perçu comme le parti « anti- » (anti-immigration, anti-choix, anti-gay, anti-cellules souches embryonnaires, etc.), plus souvent contre que pour, mobilisant par la peur plutôt que par l’espoir. Dans le même temps, le parti n’a pas su juguler les conflits idéologiques rallumés entre ses courants (conservatisme socioculturel, conservatisme fiscal et conservatisme de sécurité nationale) par certains enjeux clivants : interventionnisme ou isolationnisme ; libertarisme anti-impôt ou conservatisme social ?
La dernière campagne électorale a confirmé la sclérose intellectuelle du Grand Old Party (GOP). Nonobstant la saillance de l’enjeu économique, alors que les Américains appréciaient Obama pour ses idées et ses promesses électorales concrètes (diminuer la pression fiscale sur les classes moyennes, étendre l’assurance-santé, retirer les troupes d’Irak), McCain a concouru sur sa seule personnalité et s’est révélé incapable d’articuler une doctrine politique cohérente. Dès lors que le candidat républicain s’était contenté d’extrapoler sa propre philosophie morale (individuelle) en guise de philosophie politique (collective), les électeurs pouvaient douter qu’il soit pourvu d’une philosophie de gouvernement.
La trahison des idées républicaines dans la pratique résulte de ce que le parti n’a tenu aucune des promesses de campagne du candidat Bush. En 2000, ce dernier s’était engagé à réhabiliter la responsabilité fiscale, à promouvoir un « conservatisme de compassion », à formuler une politique étrangère « humble » et à rechercher le compromis bipartisan. Mais, une fois au pouvoir, les républicains ont exacerbé l’indiscipline fiscale – sans parvenir pour autant à prévenir la crise financière actuelle –, négligé la gestion de l’après-Katrina, embrassé le messianisme démocratique des néoconservateurs – tout en se décrédibilisant dans la conduite des guerres une fois lancées – et soufflé sur les braises partisanes. Le scandale du lobbyiste Jack Abramoff en 2006 a définitivement ancré l’idée que le GOP avait également succombé aux sirènes de la culture politique de Washington, où compromis rime avec compromission et corruption. Usé par huit années d’exercice du pouvoir, le parti républicain a logiquement perdu la bataille des idées.
L’assèchement du réservoir d’électeurs
Le parti républicain a asséché son réservoir d’électeurs d’autre part, car il s’est marginalisé sociopolitiquement auprès de certains électorats et géographiquement vis-à-vis de certaines régions.
La marginalisation sociopolitique du parti auprès de certains électorats vient de ce qu’il a déjà perdu les électeurs des minorités ethniques ou culturelles, qu’il est en train de perdre les électeurs modérés et qu’il pourrait bientôt perdre les électeurs jeunes et les électeurs des banlieues. D’abord, alors que leur part dans l’électorat total ne cesse de croître aux dépens des Blancs[1], les Afro-américains, les Hispaniques et les Asiatiques ont voté respectivement à 95%, 66% et 61% contre le nominé républicain à la présidentielle. Ensuite, McCain a été distancé de 21 points chez les électeurs modérés tandis que George W. Bush ne l’avait été que de 9 points. Ses gains chez les « value voters » ont été bien loin de compenser ses pertes chez des modérés échaudés par la perception – aigüe après le choix de Sarah Palin comme colistière – d’un GOP devenu « captif » des « preneurs d’otages » fondamentalistes. Enfin, seuls 34% des jeunes de 18 à 29 ans – c'est-à-dire de l’électorat du futur – et 48% des banlieusards (contre 61% en 1984, 57% en 1988, 52% en 2004) ont voté pour McCain.
La marginalisation géographique du parti vis-à-vis de certaines régions a pour cause le reflux de son influence, de moins en moins nationale et de plus en plus régionale. Au terme des scrutins 2008, l’influence du GOP se maintient dans ses bastions du Sud tandis qu’elle s’effrite partout ailleurs – dans le Northeast, les Great Lake States, la West Coast, les Mid-Atlantic States et même les Western States – et qu’elle a déjà disparu en Nouvelle-Angleterre ! Le GOP n’a pas pris la mesure des changements démographiques de l’électorat, évolutions qui expliquent qu’à vote blanc républicain stable McCain ait perdu certains États remportés par Bush en 2004. Cette étroitesse croissante de la géographie électorale du parti de l’éléphant a elle-même pour cause une myopie stratégique : la concentration des efforts de campagne dans certains États par souci de maximisation des ressources. Inspiré au contraire par la « 50-State Strategy » du président du parti démocrate Howard Dean, le challenger Obama, suivant une démarche populaire, avait décidé de retisser du lien partisan en embauchant des organisateurs dans chaque circonscription pour reconstruire les appareils locaux du parti, et en utilisant les NTIC pour agréger les initiatives locales à l’échelle nationale (e-campagne participative, espace public numérique, etc.).
Bientôt la panne sèche ?
Le parti républicain risque-t-il pour autant de tomber en panne sèche d’idées et d’électeurs au moment où il entame sa traversée du désert politique ? Certes, son socle électoral pourrait encore s’étioler puisque ses segments porteurs (les électeurs ruraux et des petites villes) sont en voie de disparition et que la radicalisation des caucus républicains des deux chambres diminuera un peu plus l’attractivité du GOP. Pis, le parti défait s’entredéchire, dans sa quête post-électorale de responsabilités et d’une relève du leadership national, entre idéologues traditionnalistes et pragmatiques réformistes. Considérant avoir perdu par manque de conservatisme, les premiers préconisent le retour aux fondamentaux ; estimant avoir perdu par excès de conservatisme, les seconds suggèrent au contraire d’ajuster les valeurs conservatrices aux évolutions sociales.
Mais cette traversée du désert pourrait n’être ni longue ni inutile. Elle pourrait être brève car, historiquement, à l’exception de Bush en 2002, tous les présidents depuis Franklin Delano Roosevelt (1934) ont perdu des sièges aux premières élections de mi-mandat. Elle pourrait être utile au GOP s’il touchait le fond pour mieux se régénérer. Des oasis politiques existent. Le parti pourrait remplir non seulement son réservoir d’idées – en investissant les think tanks et les universités, en assouplissant son conservatisme culturel, en réunissant ses courants dans une coalition de gouvernement fantôme – mais aussi son réservoir d’électeurs – en élargissant son périmètre électoral, en mettant un terme à l’esprit partisan, en jouant la coopération constructive avec l’administration Obama dans la gestion des sorties de crises. Ironiquement, le candidat malheureux John McCain avait indiqué la voie à suivre en construisant par le truchement du compromis politique des coalitions bipartisanes sur l’immigration (avec Ted Kennedy) ou le réchauffement climatique (avec Joe Lieberman).
[1] La part de l’électorat blanc dans l’électorat total est respectivement passée de 89% à 79% et 74% entre 1980, 2004 et 2008.