Pendant sa campagne électorale, le candidat Obama s’est engagé à réviser l’un des derniers vestiges hérités de la Guerre froide, la politique cubaine des États-Unis. Lors d’un discours fin mai devant la communauté cubaine-américaine de Miami, il a proposé d’assouplir les restrictions aux voyages et aux versements à destination de l’île, d’alléger l’embargo économique en vigueur depuis 1962, et d’engager un dialogue politique avec le président Raúl Castro.
Située à moins de 100 miles des côtes de Floride, l’île de Cuba est le territoire le plus stratégique pour les États-Unis dans leur périphérie : elle verrouille les accès Nord et Sud au Golfe du Mexique et à la Mer des Caraïbes – donc l’accès à l’embouchure de la rivière névralgique du Mississipi – et elle baigne dans des eaux territoriales riches en hydrocarbures, notamment en pétrole.
Fin 2008, la conjonction de deux dynamiques géopolitique et politique apparaît favorable à l’amorce rapide d’une normalisation de la politique cubaine des États-Unis.
La première dynamique favorable est géopolitique. D’une part, au moment où les puissances américaine et russe rivalisent à nouveau sur l’échiquier international, manœuvrant plus ou moins explicitement dans leurs sphères d’influence respectives, le régime castriste, isolé au sein de la communauté des États, est tenté de « monnayer » sa coopération au plus offrant suivant un réflexe connoté très Guerre froide. Si La Havane s’alignait politiquement sur Moscou en contrepartie d’aides militaires et d’investissements commerciaux divers, cette dernière pourrait alors dissuader Washington de continuer à pénétrer son « étranger proche » (Géorgie, Ukraine, etc.) en la menaçant de représailles dans son « hémisphère occidentale ». Plusieurs signaux ont déjà été envoyés : inscription sur l’agenda bilatéral russo-cubain d’un partage de technologie spatiale, évocation d’un projet à long terme d’installation d’un centre spatial russe sur l’île, et même « fuites » de construction d’une base pour bombardiers stratégiques à long rayon d’action. L’administration Obama aura d’autant plus intérêt à prévenir un tel rapprochement qu’il s’inscrit dans une démarche stratégique russe de redéploiement régional : en novembre dernier, après que des exercices navals conjoints des marines russe et vénézuélienne se sont déroulés dans la Mer des Caraïbes, le président Dmitri Medvedev a réalisé une tournée latino-américaine dans quatre États (Pérou, Brésil, Venezuela, Cuba) qui, tous, cherchent à renouer des partenariats extra-hémisphériques divers pour contrebalancer l’influence de l’hégémon septentrional. D’autre part, en prenant l’initiative de renouer le fil du dialogue avec l’une des bêtes noires idéologiques des États-Unis sur le continent latino-américain, l’administration Obama amoindrira la légitimité de la rhétorique anti-américaine et réappréciera l’image très détériorée de l’hégémon voisin dans son « arrière-cour ».
La seconde dynamique favorable est politique. D’un côté, plusieurs freins internes au changement de la politique cubaine se desserrent. Certes, les influents lobbys « anti-Castro » restent très actifs aux États-Unis en général et dans l’État-clef de Floride en particulier. Mais la base sociale des exilés politiques cubains « radicaux » rétrécit, l’électorat cubain-américain se fragmente, assouplit son idéologie et modère ses revendications politiques. Du reste, les dits « radicaux » militent désormais au sein du Cuban Liberty Council tant la Cuban-American National Foundation transige sur ses positions jusqu’à s’identifier de plus en plus au parti démocrate. Ayant pris conscience de leur échec de facto comme moyens de pression et leviers du changement politique sur l’île (notamment à l’occasion de « l’affaire » Elían Gonzales à l’été 2000), l’opinion publique américaine et ses représentants (y compris les six Cubains-Américains du Congrès) ne soutiennent plus la politique intransigeante d’isolement de Cuba et l’embargo économique maintenu contre l’île depuis presque un demi-siècle. Prévaut désormais l’idée selon laquelle l’exigence de changements politiques immédiats ne devrait plus être une condition préalable à la reprise du dialogue bilatéral. De l’autre côté, Obama dispose d’une marge de manœuvre politique vis-à-vis de l’électorat cubain-américain. S’il n’a remporté que 35% du vote cubain-américain en novembre, le président élu dispose d’une avance électorale suffisante en Floride (51% des voix contre 48%) pour gager son capital politique à engager La Havane.
Ayant perçu dans le retrait de Fidel Castro l’ouverture d’une fenêtre pour accélérer la transition vers l’ère post-communiste, la nouvelle administration démocrate devrait rapidement manifester sa volonté de normaliser la politique cubaine des États-Unis – Obama pourrait d’ailleurs présenter la fermeture du centre de détention de Guantánamo comme un geste de bonne volonté aussi à l’égard du peuple cubain. Quid du régime castriste ? S’il cherche dans l’immédiat à faire jouer la concurrence internationale pour maximiser l’utilité espérée d’un futur partenariat américano-cubain, il aura un intérêt financier bien compris – la levée de l’embargo économique puis les investissements ultérieurs – à répondre favorablement à la politique de la main tendue de son voisin septentrional. A condition de surmonter ses réticences idéologiques et politiques . . .